Un
nouvel horizon s’ouvre-t-il à la RDC après l’accord-cadre pour la paix signé à
Addis-Abeba ?
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Par Kä
Mana
Je
voudrais commencer cette réflexion par un regard sur les doutes et les
critiques abondamment suscités en RDC par l’accord-cadre signé à Addis-Abeba
pour la paix dans notre pays, alors que les chancelleries, les gouvernements étrangers
et les grandes organisations internationales manifestent ostensiblement leur
joie.
Tutelle, balkanisation ou blague de
mauvais goût
La nuit après la
signature de cet accord, la sonnerie de mon téléphone portable m’a brusquement
tiré de mon profond sommeil. Il était 2
heures 3 à Goma. Les ténèbres étaient denses. Le silence s’étendait
partout dans un calme où seuls se pressentaient, au plus profond de mes
oreilles, un petit bourdonnement paisible venant des insectes nocturnes. Ou
d’un bruit de fond presque imperceptible qui est, dit-on, l’essence même de l’univers. Ou même de « la voix de fin silence »
qu’entendit un prophète biblique dans une grotte au passage de l’Eternel Dieu,
il y a longtemps, en terre de Palestine.
Je pris mon téléphone et reconnus le
numéro d’un ami de Kinshasa. Sa voix sonnait dans fort, dans une excitation
coléreuse.
Lui :
Tu as appris la nouvelle, tu as appris ?
Moi :
C’est la fin du monde cette nuit ou quoi ?
Lui :
Sans blague, c’est plus sérieux que la fin du monde.
Moi :
Je pensais que c’est seulement pour la fin du monde que tu me réveillerais à
2h3, en pleine nuit.
Lui :
Il est 2heures là-bas ? Ici il
n’est que 1 heure. Je voulais te dire, qu’ils ont signé l’accord à Addis-Abeba.
Moi :
J’ai appris cela et tu vois bien que cela ne m’empêche pas de dormir.
Lui :
Cela ne t’empêche pas de dormir quand la nation est maintenant sous
tutelle de l’ONU ?
Moi :
Calme-toi et va dormir. J’ai lu l’accord-cadre d’Addis-Abeba et je crois qu’il
nous donne plus à réfléchir qu’à troubler le sommeil d’un juste.
Lui :
Juste toi-même !
Il coupa la conversation. La voix de fin silence me reprit dans ses
tendres bras de sommeil calme.
C’est le matin que je me suis mis à
réfléchir sur l’événement et que j’ai compris
la première interprétation qu’en font certains congolais : le pays est sous tutelle. J’eus alors
l’idée de discuter abondamment avec tous ceux que je rencontrais, sur mon
chemin ou par téléphone.
Les phrases crépitaient dans les
discussions orageuses. Par exemple :
-
Ne voyez-vous pas qu’Addis-Abeba est un nouvel ordre
du despotisme international et l’imposition des nouvelles lois du marché dans
un nouveau pacte colonial ?
-
Oui, nous sommes en plein pacte néocolonial, la
situation néocoloniale où les pays africains qui ont un certain poids politique
et économique vont s’occuper du Congo, chacun son morceau, sous la tutelle du capitalisme néolibéral
mondialisé.
D’autres
interprétations fusaient :
-
La vraie grille d’interprétation de l’accord
d’Addis-Abeba, c’est l’accomplissement de la balkanisation : l’Accord est la tropicalisation de ce que les Nations
Unies ont fait en Yougoslavie avec succès et qui a déjà été appliqué au Soudan.
-
La fameuse théorie de la balkanisation est en
marche, elle s’accomplit sous nos yeux.
-
Oui, nous sommes en pleine balkanisation, les
Anglo-Saxons nous ont eus. Ils nous tiennent par les couilles, je vous le dis,
ils nous tiennent par les couilles.
Deux lignes de lecture donc :
la ligne du Congo sous tutelle et la ligne d’un Congo dépecé.
Je téléphonai à un autre ami pour lui faire
part de ce que j’avais entendu.
Moi : Es-tu d’accord avec ces clés de
lecture ?
Lui : Je crois que nous sommes devant une
nouvelle blague après toutes les autres blagues de sortie de crise comme à
Lusaka, à San-City ou à Kampala.
Moi : Tu as une grille inutilement pessimiste.
Lui : Et toi, tu en as une autre ?
Réflexions
d’un rêveur solitaire
C’est face à cette question que j’ai pris conscience
d’un fait : ma propre vision du problème pouvait éclairer l’interprétation
à donner à l’accord-cadre d’Addis-Abeba.
Si cet accord apparaît comme piège de tutelle et de balkanisation ou comme une
blague â tant de mes compatriotes révoltés, c’est que personne n’en perçoit un
sens positif. Il faut construire ce sens.
Je
relançai le dialogue avec mon ami :
Moi : Et si la réalité n’était pas celle de la
balkanisation ou de la mise sous tutelle ni d’une blague de mauvais goût !
Lui : Elle serait alors quoi, à ton avis ?
Moi : Elle serait celle de la mise en lumière du vrai problème
auquel nous-sommes confrontés et qui est maintenant clairement visible dans le
miroir de l’accord-cadre d’Addis-Abeba.
Lui : Quel problème ?
Moi : je ne nie pas qu’il puisse y avoir,
quelque part, risque d’une tutelle
internationale ou d’un nouveau dépeçage du Congo dans une nouvelle logique
d’économie politique néocoloniale sous chapiteau planétaire. J’affirme seulement
qu’il est aussi possible que nous soyons devant des possibilités d’un grand rêve de
paix pour la RDC, si les Congolais donnent eux-mêmes le sens qu’ils veulent au
document d’Addis-Abeba en s’appropriant sa recherche de la paix
en donnant eux-mêmes à cette paix une substance conforme aux intérêts du
peuple congolais. Addis-Abeba, tout dépend de ce que le Congo en fera et
comment il décidera d’en définir l’esprit. Bien orienté à l’intérieur du pays,
il pourra aboutir non pas à la mort de notre liberté, mais à la redécouverte de
notre responsabilité.
Lui : Vous croyez ?
Moi : C’est la grille d’intelligibilité que je
privilégie.
Lui: Pourquoi ?
Moi : Le problème que devons résoudre, nous
Congolais, est un problème plus radical que les dimensions politiques et
économiques de la question de la guerre au pays actuellement. Quand un peuple a
perdu, comme c’est le cas pour nous, son pouvoir de décision sur son propre
destin et sur ses propres choix à faire face à l’avenir, il devient le jouet
des forces politiques et économiques qui cherchent à l’organiser à leur profit.
Selon des canons et des codes qu’il ne peut pas maîtriser. Il se dissout dans
sa substance, selon un processus d’abêtissement où s’effondrent et ses capacités
de réflexion, et son dynamisme
d’organisation et ses puissances de créativité. Ses ressources humaines entrent
dans ce que les philosophes nomment l’errance ontologique : l’errance de
l’être, maladie des peuples affaiblis, fragilisés, anéantis par un sort qui les
décentre par rapport à eux-mêmes, à leurs problèmes, à leurs capacités de se
forger une destinée. Au Congo, nous sommes dans ce processus depuis la table
ronde de 1960 à Bruxelles jusqu’à l’accord Ban Ki-Moon à Addis-Abeba en 2013.
On ne peut rien faire pour sauver réellement une nation avec un tel processus.
Il faut que la nation elle-même rentre au cœur de son propre être, réactive ses
énergies de vie et ses puissances de l’être, qu’elle revienne dans son centre
même comme pouvoir d’identité inventive. Quand les Nations Unies sont
intervenues au Congo en 1960, la guerre froide était telle que nous ne
disposions pas d’une grande marge de manœuvre et d’action pour échapper à une
fausse indépendance et au destin de faiblesse néocoloniale. Nous n’avions pas
vraiment droit à la parole. Ceux qui pouvaient parler, comme Lumumba, sont
devenus martyrs. C’était le règne de l’assujettissement. A Addis-Abeba, nous
participons à un processus de dialogue et de débat réels, comme des sujets
réellement capables d’assumer un choix historique, le choix d’une paix vraie et
durable, à laquelle nous donnons une substance. C’est un nouveau paradigme de
décision qui émerge, qui nous oblige à nous regarder tels que nous sommes face
aux autres et à décider de la voie à prendre.
Lui : Le Congo en est-il capable ?
Moi : Voilà la vraie question.
Lui: : Tu
y réponds comment, si je peux le savoir ?
Moi : C’est sous l’angle de notre histoire
comme l’histoire hors du centre de nous-mêmes et comme volonté actuelle de
notre part de re-habiter ce centre qu’il faut considérer l’accord Ban Ki-moon.
Il est le sommet d’un processus, sa
saturation, pour ainsi dire, l’exigence de considérer qu’un cycle est fini et
qu’un autre doit commencer, sous des nouveaux augures, avec de nouvelles
énergies de vie, avec de nouveaux pouvoirs de l’être. C’est avec l’intervention
des Nations Unies sous Lumumba qu’a commencé le chemin de croix de notre pays.
Avec l’accord Ba Ki-moon, il fat considérer que la boucle se boucle et que nous
devons, nous Congolais, casser le cercle vicieux de nos malheurs. Nous-mêmes.
Mis en présence de nos voisins, des organisations africaines et de la
communauté internationale à qui nous pouvons aussi dire la vérité, les yeux
dans les yeux. Si nous prenons ce courage de parler comme des hommes debout et
de nous faire respecter, nous faisons surgir cet autre paradigme du respect de
nous-mêmes. C’est l’esprit avec lequel nous devons vivre l’accord d’Addis-Abeba et montrer que nous sommes un pays sérieux. Plus
exactement : c’est maintenant le moment de devenir un pays sérieux, avec
des citoyens sérieux porteurs et bâtisseurs de leur propre avenir.
Lui : Tu
refuses de voir le côté néocolonial de
cet accord-cadre.
Moi : Le côté néocolonial me préoccuperait si
nous vivons cet accord sans dire clairement que nous refusons qu’il soit autre
chose que ce qu’il est : un dialogue large et fructueux sur les conditions
de la paix en RDC. Si nous assumons cette substance de l’accord, nous
n’accepterons rien qui n’entre dans le cadre de ce dialogue de vérité et de
respect. A savoir que quelqu’un d’autre
que le peuple congolais n’a le droit de décider du sort du peuple congolais et
du destin de notre pays. Le principe de souveraineté
responsable, ouverte et capable de
discuter avec le monde entier dans le sens du bien du pays.
Lui : Vraiment ?
Moi : C’est cela même. Il faut refuser
l’extranéité des analyses, des débats, des choix et des décisions pour
pouvoir rentrer au centre de nous-mêmes,
dans une endogénéité créatrice et responsable, comme diraient les philosophes.
Les gens craignent la balkanisation et l’implosion du pays. Ils ignorent que ce
qui nous est arrivé depuis la table ronde de Bruxelles et qui peut s’achever dans l’accord d’Addis-Abeba est la pire des
catastrophes. Je l’ai dit : notre tragédie, c’est la perte de l’être, la perte du pouvoir
d’être, la perte de la puissance et de l’énergie de l’être, la perte de la
capacité d’être le sens de nous-mêmes. Certains au Congo veulent voir
Addis-Abeba comme le stade suprême de ce processus de perte de notre être. Ils
se trompent. Nous devons tout faire, nous Congolais, qu’il en soit autrement.
Qu’Addis-Abeba devienne un grand moment de révélation de ce que nous devons
être et faire : devenir le cerveau, le cœur, le souffle, le moteur, le
levier et l’indomptable ferment de nous-mêmes, mais avec les autres et au
service d’une grande idées de l’Afrique et de sa place dans le monde.
Lui : Une révolution de tout notre être créateur,
comme tu le dis à saturation depuis des années
Moi : C’est le leitmotiv du nouveau rêve du
Congo rêve congolais.
Le temps de nouveaux espoirs
Le lendemain de cette conversation, assis
dans la cour d’une université qui donne vue sur le volcan Nyirangongo à Goma,
je me suis mis à relire le fameux accord-cadre de paix pour la RDC. Je voulais
l’intérioriser, me l’approprier vraiment et lui donner le sens créateur que je
sentais en lui. D’avoir vu la mine
réjouie de Ban Ki-Moon à la signature de l’accord et l’assurance tranquille du
président Joseph Kabila lors de sa conférence de presse sur l’événement,
j’avais eu un temps le sentiment qu’on était peut-être là au balbutiement d’un
commencement d’une issue définitive à la tragédie de l’est de la RDC.
-
Une issue définitive, dites-vous ?
C’était la voix de ma propre
conscience qui s’était réveillée dans mon regard vers le volcan et qui me
posait cette question, sur un ton de doute calme.
Je lui répondis, en reprenant une
réflexion d’un collègue chercheur à Goma :
-
Il est vrai que quelque chose bouge avec cet
accord-cadre mais il est difficile de savoir encore quoi actuellement. Le texte
de Ban Ki-Moon est suffisamment vague et ondoyant pour permettre toutes les
interprétations possibles et recueillir toutes les signatures nécessaires. Mais
il a au moins le mérite de les avoir, toutes ces signatures des présidents
africains.
-
Mais a-t-on vraiment signé l’engagement pour une paix
profonde et durable ? m’interpella
encore la voix de ma conscience.
-
Il est trop tôt pour le savoir mais l’opportunité
s’offre d’aller dans cette direction, au plan politique du moins.
Je sentis que ma réponse n’avait pas
le poids qu’elle devrait avoir face à une question aussi lourde d’insinuations.
Je cherchais à clarifier pour moi-même le sens de ces insinuations, sans y
parvenir. Spontanément, j’ai fixé intensément le sommet du volcan et j’ai
plongé dans son fond mystérieux.
Ma conscience prit la voix d’un autre de mes
collègues chercheurs à Goma et me posa de bout en blanc la question :
-
Ne voyez-vous pas des similitudes avec 1885, à
Berlin, quand les grandes puissances se divisèrent l’Afrique et créèrent le
Congo comme Etat indépendant bâti sur le principe du libre échange pour toutes
les grandes nations de l’époque ? Aujourd’hui, ce sont les puissances
africaines, à l’initiative des Nations unies, qui créent un nouveau Congo du
libre échange théorique dans un marché ouvert dont on peut craindre qu’il
conduise à un nouveau léopoldisme dont personne ne connaît pas encore la
forme ?
Je répondis :
-
Il y a pourtant dans ce texte quelque chose qui ne
va pas dans ce sens : c’est sa structuration comme texte d’aveux. Je
n’avais pas encore eu devant mes yeux, concentrés en à peine deux pages, dans
une analyse limpide, toutes les causes de la tragédie de l’est du Congo. Une
analyse proposée par ceux-là même qui sont responsables de cette tragédie et
qui le disent t dans une magnifique langue de bois et dans un plaisant langage
diplomatique pour que ceux qui ont des oreilles pour entendre entendent.
Ma
conscience se tut un moment avant de reprendre la parole.
Elle : Où voyez-vous les aveux dans cet
accord ? Où voyez-vous une parole de demande de reconnaissance de
responsabilité ?
Moi : les aveux sont clairs, même si le chemin
de demande du pardon est encore quelque
peu problématique.
Elle ; Que voulez-vous dire ?
Moi : Regardez ce que l’accord-cadre recommande
au gouvernent congolais. J’ai dis bien : au gouvernement congolais et pas
au peuple congolais. A ce gouvernement, il est demander, ni plus ni moins, que
de devenir capable d’assurer la sécurité de son peuple, de ne pas soutenir des groupes armés sur son
terrain contre ses voisins, de s’occuper du développement économique pour tous,
de décentraliser et de démocratiser le pays, de constituer un vrai Etat avec
des finances saines et de réconcilier tous les habitants qui sont sur son
territoire. Voilà la belle et fine
langue diplomatique. En français courant et cru, cela donne ceci : la
cause de la tragédie congolaise, c’est d’avoir un gouvernement incapable
d’assumer ses responsabilités fondamentale dans un Etat ayant un respect de ses
citoyens, une gouvernance sans corruption ni gabegie, une parole crédible par
rapport à ses voisins, un refus d’armer les milices contre les autres pays et une capacité de faire vivre ensemble dans
la paix tous les citoyens de son pays, les Tutsi surtout, qui se sont engagés
massivement dans la rébellion du M23. . Notre président a signé cela. Il avoue
par là qu’il est responsable de ce qui arrive à son pays et à son peuple, lui
est son gouvernement. Il y a du courage politique dans un tel aveu, En filigranes,
tous ceux qui savent lire comprennent que Joseph Kabila a demandé pardon pour
sa gestion du pays. Si ce pardon peut conduire à la repentance, l’Accord-cadre
d’Addis-Abeba aura été un grand moment de vérité humaine, au-delà des aspects
purement politiquess des choses.
Elle : C’est là la lecture que vous faites
concernant le Congo.
Moi : C’est aussi celle que je fais concernant
le Rwanda. Je regarde ce qui lui est demandé à ce pays et à
l’Ouganda : non-ingérence dans les affaires intérieures des voisins, non--assistance
aux troupes armés qui déstabilisent les voisins, .non-atteinte à l’intégrité
territoriale des voisins, développement de la coopération régionale dans la
promotion des intérêts mutuels entre voisins dans la sécurité garantie, refus
« d’héberger ni de fournir une protection de quelque nature que ce soit
aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité,
d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime
de sanctions des Nations Unies », et facilitation d’un de
« l’administration de la justice, grâce à la coopération judiciaire de la
région ». Jusqu’à ce jour, je n’aurais pensé que le gouvernement rwandais
signerait un texte qui reproduit noir sur blanc tous les griefs clamés urbi et
orbi par le gouvernement congolais. Le président Kagame l’a signé dans une
reconnaissance explicite de ce que dit le langage diplomatique du texte.
Contrairement au discours constant de la diplomatie rwandaise qui criait
partout : « Nous ne sommes pour rien dans le naufrage du Congo »,
le courage politique du président Kagame reconnait que le Congo n’est devenu un
volcan en éruption que parce que le Rwanda l’a voulu ainsi, tout comme
l’Ouganda. Il suffit de creuser encore à fond pour comprendre que les autres
griefs non exprimés clairement dans le texte, comme celle d’une logique de
prédation et de balkanisation que le Congo répand partout à tue-tête, n’étaient
pas si dénués de fondement que l’on avait cru, surtout quand on pensait que le
gouvernement de Kigali devait jouir, dans toute l’analyse de la situation, d’un
bénéfice du doute. L’aveu d’Addis-Abeba rend les choses claires en même temps
qu’il exprime une repentance humaine qui vaut, politiquement, une aspiration à une demande de pardon. En
politique, reconnaître, c’est entrer dans la dynamique d’un autre choix de
relations, même si on ne dit pas explicitement ce que l’on suggère en
profondeur. Dans les sphères politico-diplomatiques, on ne peut pas aller pas
plus loin que cela. Il faut que ceux qui ont les oreilles pour entendre
entendent.
Je sens au fond de moi qu’une certaine
gêne secoue ma conscience. Une voix cherche à me pousser à reconnaître qu’il
est difficile qu’un tel aveu puise être pris comme une demande sincère de
pardon, alors qu’il ne peut être qu’une manœuvre de distraction ou
d’endormissement du Congo. Elle me rappelle tous les commentaires écrits,
radiodiffusés ou télévisés qui, de Kinshasa à la diaspora congolaise dans le
monde, cherchent à faire croire qu’une conversion de Kigali et de l’Ouganda à
la paix serait trop belle pour être vrai, surtout quand on connaît la substance
de la politique agressive de ces pays à l’égard du Congo. On ne convertit pas
le tigre en herbivore, clame-t-on, même avec toute la bonne volonté du monde. La
révolution à ce niveau, pour reprendre les mots de Houellebecq, ne peut pas
être mentale, mais génétique. Qui peut vraiment changer la génétique
rwandaise ou ougandaise ?
Je réponds :
-
A Kinshasa, on ne lit
pas suffisamment bien les recommandations du texte de l’Accord-cadre
d’Addis-Abebbas à l’égard de la communauté internationale. Il y a là aussi un
aveu très clair de l’idiotie des grandes puissances du monde actuel dans la
gestion de la crise congolaise et de l’implication des forces internationales
dans la perpétuation de l’état de guerre dans l’est du pays. Quand le secrétaire
général des Nations Unies signe un texte qui reconnaît, en langage
diplomatique, les limites de la mission onusienne en RDC, il fait aveu, en
langage courant, de l’incompétence non
seulement de la Monusco dans sa mission de stabilisation du Congo, mais surtout
de son manque de soutien réel « à la stabilité à long terme » et à la
construction d’une paix durable. Une phrase comme celle-ci, malgré sa structure
alambiquée et sibylline, donne à réfléchir, quand le texte demande à la communauté
internationale, « un engagement renouvelé des partenaires bilatéraux
à demeurer mobilisés dans leur soutien à la République démocratique du Congo et
la région, y compris avec les moyens appropriés pour assurer la durabilité de
ces actions sur le long terme ; et d’appuyer la mise en oeuvre des
protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité
et le développement dans la région des Grands lacs ». Cela veut
dire : nous n’avons pas fait en tant que communauté internationale pour
aider la RDC à entrer dans la logique de la paix. ; nous n’avons pas été
attentifs aux logiques mafieuses et prédatrices du marché mondial dans son
cynisme et son cannibalisme destructeur dont le Congo est devenu un champ
d’expérimentation commode ; nous n’avons pas mis tous nos moyens et toutes
nos structures de paix en branle dans un contexte du manque d’Etat et de
gouvernance ; aujourd’hui, nous prenons les choses en main et nous nommons
comme proconsul au Congo « un Envoyé spécial des Nations Unies pour
soutenir les efforts pour trouver des solutions durables avec un plan à
plusieurs volets qui permettra la convergence de toutes les initiatives en
cours », nous le faisons en accord avec l’accord, le soutien et la
participation de l’Union africaine, de la CIRGL, de la SADEC, garant d’une paix
régional dont le Congo devrait bénéficier. Bel aveu, magnifique aveu et demande
de pardon pour une politique désastreuse menée jusqu’à ce jour.
L’accord .cade donne à réfléchir et
à rêver
Je regarde le Nyiragongo et il me regarde.
Je suis serein en moi-même et il est tranquille au fond de lui, sans aucune
manifestation d’un grondement interne. Je sens que la paix est à portée de main
dans mon pays. Pour une fois, un accord pour la paix se fonde sur le courage de
la vérité et sonne vrai, derrière le rituel diplomatique qui sied à ce genre de
textes. On peut éprouver de la méfiance et garder une distance prudente
nécessaire, mais on ne peut pas dire que
ce qui a été signé à Addis-Abeba va dans la mauvaise direction.
Il y manque cependant deux
dimensions importantes qui devraient, dans l’avenir, être prises en compte, si
les Nations-Unies, aujourd’hui moteur et levier dans la recherche de la paix au
Congo, veulent arriver à des résultats fiables.
Il manque avant tout au texte de
l’accord-cadre une vraie foi à la paix. Le langage adopté, les méthodes
proposées, les perspectives ouvertes présupposent toujours l’usage de la force
militaire et de la violence des gouvernements pour contraindre ceux qui
refuseraient d’obéir à se soumettre. Les peuples ne sont ni évoqués dans leur
capacité d’être des bâtisseurs de paix, ni invoqués comme pouvoirs créateurs de
paix par des initiatives de l’intelligence, de la culture et des actions
économico-financières. Oublier ainsi la dynamique profonde des énergies des
peuples, c’est s’enfermer dans une logique politico-militaire dont les
résultats risquent fort mitigés. Si aucun investissement dans l’imaginaire des
nations ne s’effectue pour une éducation durable à la paix durable, il y a lieu
d’aller vers un échec des politiques mises en œuvre, surtout quand on sait le
peu de poids que les hommes politiques accordent à la parole donnée.
L’autre dimension qui manque, c’est
la perspective d’une rencontre avec tous les responsables des groupes armés,
non pas dans le but d’exercer sur eux des sanctions internationales ou de la
livrer à la justice internationale de la Haye, mais pour une justice
constructrice qui commence par de vraies propositions de paix sur la bases des
moyens de paix. Une telle perspective montrerait que l’avenir ne peut pas être
un simple recours à la justice punitive, mais au pouvoir de construire un ordre
de paix ensemble, sur la base d’une table rase difficile à accepter et à
comprendre mais indispensable quand on veut fonder un nouvel être ensemble.
‘est seulement à celui qui refuserait cette paix de fécondité et de sécurité
pour tous que s’ouvrirait les portes de la justice punitive, dans son pays ou à
la Haye.
Aujourd’hui, après le temps des
aveux à Addis-Abeba, une réflexion sereine sur la situation actuelle exige une
ère du Grand Pardon. Un pardon qui ne concernerait pas seulement les
protagonistes étatiques, mais les forces armées que nous devrions cesser de
considérer seulement contre des forces négatives pour qu’ils deviennent des
partenaires dans la paix.
Si Addis-Abeba n’a pas prévu cela,
c’est que nous sommes là au cœur du problème le plus difficile de la tragédie
congolaise : la capacité d’embrasser dans la même humanité et de mettre
sur la voie de la construction de la paix toujours les forces aujourd’hui
esclaves des logiques des crimes, des carnages et de banalisation de la mort.
Un nouveau courage nous attend sur
cette route. C’est sans doute là le sens de la vraie réconciliation que
l’Accord-cadre évoque sans en comprendre vraiment toutes les exigences pour les
pays et les peuples des Grands Lacs aujourd’hui.
Kä
Mana
Président
de Pole Institute