mercredi 27 février 2013

Un nouvel horizon s’ouvre-t-il à la RDC après l’accord-cadre pour la paix signé à Addis-Abeba ?



Un nouvel horizon s’ouvre-t-il à la RDC après l’accord-cadre pour la paix signé à Addis-Abeba ?
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Par Kä Mana

Je voudrais commencer cette réflexion par un regard sur les doutes et les critiques abondamment suscités en RDC par l’accord-cadre signé à Addis-Abeba pour la paix dans notre pays, alors que les chancelleries, les gouvernements étrangers et les grandes organisations internationales manifestent ostensiblement leur joie.

Tutelle, balkanisation ou blague de mauvais goût

           La nuit après la signature de cet accord, la sonnerie de mon téléphone portable m’a brusquement tiré de mon profond sommeil. Il était 2  heures 3 à Goma. Les ténèbres étaient denses. Le silence s’étendait partout dans un calme où seuls se pressentaient, au plus profond de mes oreilles, un petit bourdonnement paisible venant des insectes nocturnes. Ou d’un bruit de fond presque imperceptible qui est, dit-on,  l’essence même de l’univers. Ou même de « la voix de fin silence » qu’entendit un prophète biblique dans une grotte au passage de l’Eternel Dieu, il y a longtemps, en terre de Palestine.
            Je pris mon téléphone et reconnus le numéro d’un ami de Kinshasa. Sa voix sonnait dans fort, dans une excitation coléreuse.  
            Lui : Tu as appris la nouvelle, tu as appris ?
            Moi : C’est la fin du monde cette nuit ou quoi ?
            Lui : Sans blague, c’est plus sérieux que la fin du monde.
            Moi : Je pensais que c’est seulement pour la fin du monde que tu me réveillerais à 2h3, en pleine nuit.
            Lui : Il est 2heures  là-bas ? Ici il n’est que 1 heure. Je voulais te dire, qu’ils ont signé l’accord à Addis-Abeba.
            Moi : J’ai appris cela et tu vois bien que cela ne m’empêche pas de dormir.
            Lui : Cela ne t’empêche pas de dormir quand la nation est maintenant sous tutelle de l’ONU ?
            Moi : Calme-toi et va dormir. J’ai lu l’accord-cadre d’Addis-Abeba et je crois qu’il nous donne plus à réfléchir qu’à troubler le sommeil d’un juste.
            Lui : Juste toi-même !
            Il coupa la conversation. La voix de fin silence me reprit dans ses tendres bras de sommeil calme.

            C’est le matin que je me suis mis à réfléchir sur l’événement et que j’ai compris  la première interprétation qu’en font certains congolais : le pays est sous tutelle. J’eus alors l’idée de discuter abondamment avec tous ceux que je rencontrais, sur mon chemin ou par téléphone.
            Les phrases crépitaient dans les discussions orageuses.  Par exemple :
-          Ne voyez-vous pas qu’Addis-Abeba est un nouvel ordre du despotisme international et l’imposition des nouvelles lois du marché dans un nouveau pacte colonial ?
-          Oui, nous sommes en plein pacte néocolonial, la situation néocoloniale où les pays africains qui ont un certain poids politique et économique vont s’occuper du Congo, chacun son morceau,  sous la tutelle du capitalisme néolibéral mondialisé.
            D’autres interprétations fusaient :
-          La vraie grille d’interprétation de l’accord d’Addis-Abeba, c’est l’accomplissement de la balkanisation : l’Accord  est la tropicalisation de ce que les Nations Unies ont fait en Yougoslavie avec succès et qui a déjà été appliqué au Soudan.
-          La fameuse théorie de la balkanisation est en marche, elle s’accomplit sous nos yeux.
-          Oui, nous sommes en pleine balkanisation, les Anglo-Saxons nous ont eus. Ils nous tiennent par les couilles, je vous le dis, ils nous tiennent par les couilles.

            Deux lignes de lecture donc : la ligne du Congo sous tutelle et la ligne d’un Congo dépecé.
            Je téléphonai à un autre ami pour lui faire part de ce que j’avais entendu.
Moi : Es-tu d’accord avec ces clés de lecture ?
Lui : Je crois que nous sommes devant une nouvelle blague après toutes les autres blagues de sortie de crise comme à Lusaka, à San-City ou à Kampala.
Moi : Tu as une grille inutilement pessimiste.
Lui : Et toi, tu en as une autre ?

Réflexions d’un rêveur solitaire

            C’est face à cette question que j’ai pris conscience d’un fait : ma propre vision du problème pouvait éclairer l’interprétation  à donner à l’accord-cadre d’Addis-Abeba. Si cet accord apparaît comme piège de tutelle et de balkanisation ou comme une blague â tant de mes compatriotes révoltés, c’est que personne n’en perçoit un sens positif. Il faut construire ce sens.
Je relançai le dialogue avec mon ami :
Moi : Et si la réalité n’était pas celle de la balkanisation ou de la mise sous tutelle ni d’une blague de mauvais goût !
Lui : Elle serait alors quoi, à ton avis ?
Moi : Elle serait  celle de la mise en lumière du vrai problème auquel nous-sommes confrontés et qui est maintenant clairement visible dans le miroir de l’accord-cadre d’Addis-Abeba.
Lui : Quel problème ?
Moi : je ne nie pas qu’il puisse y avoir, quelque part,  risque d’une tutelle internationale ou d’un nouveau dépeçage du Congo dans une nouvelle logique d’économie politique néocoloniale sous chapiteau planétaire. J’affirme seulement qu’il est aussi possible que nous soyons  devant des possibilités d’un grand rêve de paix pour la RDC, si les Congolais donnent eux-mêmes le sens qu’ils veulent au document d’Addis-Abeba en s’appropriant sa recherche  de la paix  en donnant eux-mêmes à cette paix une substance conforme aux intérêts du peuple congolais. Addis-Abeba, tout dépend de ce que le Congo en fera et comment il décidera d’en définir l’esprit. Bien orienté à l’intérieur du pays, il pourra aboutir non pas à la mort de notre liberté, mais à la redécouverte de notre responsabilité.
Lui : Vous croyez ?
Moi : C’est la grille d’intelligibilité que je privilégie.
Lui: Pourquoi ?
Moi : Le problème que devons résoudre, nous Congolais, est un problème plus radical que les dimensions politiques et économiques de la question de la guerre au pays actuellement. Quand un peuple a perdu, comme c’est le cas pour nous, son pouvoir de décision sur son propre destin et sur ses propres choix à faire face à l’avenir, il devient le jouet des forces politiques et économiques qui cherchent à l’organiser à leur profit. Selon des canons et des codes qu’il ne peut pas maîtriser. Il se dissout dans sa substance, selon un processus d’abêtissement où s’effondrent et ses capacités de réflexion, et son dynamisme  d’organisation et ses puissances  de créativité. Ses ressources humaines entrent dans ce que les philosophes nomment l’errance ontologique : l’errance de l’être, maladie des peuples affaiblis, fragilisés, anéantis par un sort qui les décentre par rapport à eux-mêmes, à leurs problèmes, à leurs capacités de se forger une destinée. Au Congo, nous sommes dans ce processus depuis la table ronde de 1960 à Bruxelles jusqu’à l’accord Ban Ki-Moon à Addis-Abeba en 2013. On ne peut rien faire pour sauver réellement une nation avec un tel processus. Il faut que la nation elle-même rentre au cœur de son propre être, réactive ses énergies de vie et ses puissances de l’être, qu’elle revienne dans son centre même comme pouvoir d’identité inventive. Quand les Nations Unies sont intervenues au Congo en 1960, la guerre froide était telle que nous ne disposions pas d’une grande marge de manœuvre et d’action pour échapper à une fausse indépendance et au destin de faiblesse néocoloniale. Nous n’avions pas vraiment droit à la parole. Ceux qui pouvaient parler, comme Lumumba, sont devenus martyrs. C’était le règne de l’assujettissement. A Addis-Abeba, nous participons à un processus de dialogue et de débat réels, comme des sujets réellement capables d’assumer un choix historique, le choix d’une paix vraie et durable, à laquelle nous donnons une substance. C’est un nouveau paradigme de décision qui émerge, qui nous oblige à nous regarder tels que nous sommes face aux autres et à décider de la voie à prendre.
Lui : Le Congo en est-il capable ?
Moi : Voilà la vraie question.
Lui: : Tu  y réponds comment, si je peux le savoir ? 
Moi : C’est sous l’angle de notre histoire comme l’histoire hors du centre de nous-mêmes et comme volonté actuelle de notre part de re-habiter ce centre qu’il faut considérer l’accord Ban Ki-moon. Il est  le sommet d’un processus, sa saturation, pour ainsi dire, l’exigence de considérer qu’un cycle est fini et qu’un autre doit commencer, sous des nouveaux augures, avec de nouvelles énergies de vie, avec de nouveaux pouvoirs de l’être. C’est avec l’intervention des Nations Unies sous Lumumba qu’a commencé le chemin de croix de notre pays. Avec l’accord Ba Ki-moon, il fat considérer que la boucle se boucle et que nous devons, nous Congolais, casser le cercle vicieux de nos malheurs. Nous-mêmes. Mis en présence de nos voisins, des organisations africaines et de la communauté internationale à qui nous pouvons aussi dire la vérité, les yeux dans les yeux. Si nous prenons ce courage de parler comme des hommes debout et de nous faire respecter, nous faisons surgir cet autre paradigme du respect de nous-mêmes. C’est l’esprit avec lequel nous devons  vivre l’accord d’Addis-Abeba et  montrer que nous sommes un pays sérieux. Plus exactement : c’est maintenant le moment de devenir un pays sérieux, avec des citoyens sérieux porteurs et bâtisseurs de leur propre avenir.
Lui   : Tu refuses de voir  le côté néocolonial de cet accord-cadre.
Moi : Le côté néocolonial me préoccuperait si nous vivons cet accord sans dire clairement que nous refusons qu’il soit autre chose que ce qu’il est : un dialogue large et fructueux sur les conditions de la paix en RDC. Si nous assumons cette substance de l’accord, nous n’accepterons rien qui n’entre dans le cadre de ce dialogue de vérité et de respect.  A savoir que quelqu’un d’autre que le peuple congolais n’a le droit de décider du sort du peuple congolais et du destin de notre pays.  Le principe de souveraineté responsable,  ouverte et capable de discuter avec le monde entier dans le sens du bien du pays.
Lui : Vraiment ?
Moi : C’est cela même. Il faut refuser l’extranéité des analyses, des débats, des choix et des décisions pour pouvoir  rentrer au centre de nous-mêmes, dans une endogénéité créatrice et responsable, comme diraient les philosophes. Les gens craignent la balkanisation et l’implosion du pays. Ils ignorent que ce qui nous est arrivé depuis la table ronde de Bruxelles et qui peut s’achever  dans l’accord d’Addis-Abeba est la pire des catastrophes. Je l’ai dit : notre tragédie, c’est  la perte de l’être, la perte du pouvoir d’être, la perte de la puissance et de l’énergie de l’être, la perte de la capacité d’être le sens de nous-mêmes. Certains au Congo veulent voir Addis-Abeba comme le stade suprême de ce processus de perte de notre être. Ils se trompent. Nous devons tout faire, nous Congolais, qu’il en soit autrement. Qu’Addis-Abeba devienne un grand moment de révélation de ce que nous devons être et faire : devenir le cerveau, le cœur, le souffle, le moteur, le levier et l’indomptable ferment de nous-mêmes, mais avec les autres et au service d’une grande idées de l’Afrique et de sa place dans le monde.
Lui : Une révolution de tout notre être créateur, comme tu le dis à saturation depuis des années
Moi : C’est le leitmotiv du nouveau rêve du Congo rêve congolais.

Le temps de nouveaux espoirs
            Le lendemain de cette conversation, assis dans la cour d’une université qui donne vue sur le volcan Nyirangongo à Goma, je me suis mis à relire le fameux accord-cadre de paix pour la RDC. Je voulais l’intérioriser, me l’approprier vraiment et lui donner le sens créateur que je sentais en lui.  D’avoir vu la mine réjouie de Ban Ki-Moon à la signature de l’accord et l’assurance tranquille du président Joseph Kabila lors de sa conférence de presse sur l’événement, j’avais eu un temps le sentiment qu’on était peut-être là au balbutiement d’un commencement d’une issue définitive à la tragédie de l’est de la RDC. 
-          Une issue définitive, dites-vous ?
            C’était la voix de ma propre conscience qui s’était réveillée dans mon regard vers le volcan et qui me posait cette question, sur un ton de doute calme.
            Je lui répondis, en reprenant une réflexion d’un collègue chercheur  à Goma :
-          Il est vrai que quelque chose bouge avec cet accord-cadre mais il est difficile de savoir encore quoi actuellement. Le texte de Ban Ki-Moon est suffisamment vague et ondoyant pour permettre toutes les interprétations possibles et recueillir toutes les signatures nécessaires. Mais il a au moins le mérite de les avoir, toutes ces signatures des présidents africains.
-          Mais a-t-on vraiment signé l’engagement pour une paix profonde et durable ? m’interpella encore la voix de ma conscience.
-          Il est trop tôt pour le savoir mais l’opportunité s’offre d’aller dans cette direction, au plan politique du moins.
            Je sentis que ma réponse n’avait pas le poids qu’elle devrait avoir face à une question aussi lourde d’insinuations. Je cherchais à clarifier pour moi-même le sens de ces insinuations, sans y parvenir. Spontanément, j’ai fixé intensément le sommet du volcan et j’ai plongé dans son fond mystérieux.
             Ma conscience prit la voix d’un autre de mes collègues chercheurs à Goma et me posa de bout en blanc la question :
-          Ne voyez-vous pas des similitudes avec 1885, à Berlin, quand les grandes puissances se divisèrent l’Afrique et créèrent le Congo comme Etat indépendant bâti sur le principe du libre échange pour toutes les grandes nations de l’époque ? Aujourd’hui, ce sont les puissances africaines, à l’initiative des Nations unies, qui créent un nouveau Congo du libre échange théorique dans un marché ouvert dont on peut craindre qu’il conduise à un nouveau léopoldisme dont personne ne connaît pas encore la forme ?
            Je répondis :
-          Il y a pourtant dans ce texte quelque chose qui ne va pas dans ce sens : c’est sa structuration comme texte d’aveux. Je n’avais pas encore eu devant mes yeux, concentrés en à peine deux pages, dans une analyse limpide, toutes les causes de la tragédie de l’est du Congo. Une analyse proposée par ceux-là même qui sont responsables de cette tragédie et qui le disent t dans une magnifique langue de bois et dans un plaisant langage diplomatique pour que ceux qui ont des oreilles pour entendre entendent.
Ma conscience se tut un moment avant de reprendre la parole.
Elle : Où voyez-vous les aveux dans cet accord ? Où voyez-vous une parole de demande de reconnaissance de responsabilité ?
Moi : les aveux sont clairs, même si le chemin de demande  du pardon est encore quelque peu problématique.
Elle ; Que voulez-vous dire ?
Moi : Regardez ce que l’accord-cadre recommande au gouvernent congolais. J’ai dis bien : au gouvernement congolais et pas au peuple congolais. A ce gouvernement, il est demander, ni plus ni moins, que de devenir capable d’assurer la sécurité de son peuple,  de ne pas soutenir des groupes armés sur son terrain contre ses voisins, de s’occuper du développement économique pour tous, de décentraliser et de démocratiser le pays, de constituer un vrai Etat avec des finances saines et de réconcilier tous les habitants qui sont sur son territoire.  Voilà la belle et fine langue diplomatique. En français courant et cru, cela donne ceci : la cause de la tragédie congolaise, c’est d’avoir un gouvernement incapable d’assumer ses responsabilités fondamentale dans un Etat ayant un respect de ses citoyens, une gouvernance sans corruption ni gabegie, une parole crédible par rapport à ses voisins, un refus d’armer les milices contre les autres pays  et une capacité de faire vivre ensemble dans la paix tous les citoyens de son pays, les Tutsi surtout, qui se sont engagés massivement dans la rébellion du M23. . Notre président a signé cela. Il avoue par là qu’il est responsable de ce qui arrive à son pays et à son peuple, lui est son gouvernement. Il y a du courage politique dans un tel aveu, En filigranes, tous ceux qui savent lire comprennent que Joseph Kabila a demandé pardon pour sa gestion du pays. Si ce pardon peut conduire à la repentance, l’Accord-cadre d’Addis-Abeba aura été un grand moment de vérité humaine, au-delà des aspects purement politiquess des choses.
Elle : C’est là la lecture que vous faites concernant le Congo.
Moi : C’est aussi celle que je fais concernant le Rwanda. Je regarde ce qui lui est demandé  à ce pays et à l’Ouganda : non-ingérence dans les affaires intérieures des voisins, non--assistance aux troupes armés qui déstabilisent les voisins, .non-atteinte à l’intégrité territoriale des voisins, développement de la coopération régionale dans la promotion des intérêts mutuels entre voisins dans la sécurité garantie, refus « d’héberger ni de fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies », et facilitation d’un de « l’administration de la justice, grâce à la coopération judiciaire de la région ». Jusqu’à ce jour, je n’aurais pensé que le gouvernement rwandais signerait un texte qui reproduit noir sur blanc tous les griefs clamés urbi et orbi par le gouvernement congolais. Le président Kagame l’a signé dans une reconnaissance explicite de ce que dit le langage diplomatique du texte. Contrairement au discours constant de la diplomatie rwandaise qui criait partout : « Nous ne sommes pour rien dans le naufrage du Congo », le courage politique du président Kagame reconnait que le Congo n’est devenu un volcan en éruption que parce que le Rwanda l’a voulu ainsi, tout comme l’Ouganda. Il suffit de creuser encore à fond pour comprendre que les autres griefs non exprimés clairement dans le texte, comme celle d’une logique de prédation et de balkanisation que le Congo répand partout à tue-tête, n’étaient pas si dénués de fondement que l’on avait cru, surtout quand on pensait que le gouvernement de Kigali devait jouir, dans toute l’analyse de la situation, d’un bénéfice du doute. L’aveu d’Addis-Abeba rend les choses claires en même temps qu’il exprime une repentance humaine qui vaut, politiquement,  une aspiration à une demande de pardon. En politique, reconnaître, c’est entrer dans la dynamique d’un autre choix de relations, même si on ne dit pas explicitement ce que l’on suggère en profondeur. Dans les sphères politico-diplomatiques, on ne peut pas aller pas plus loin que cela. Il faut que ceux qui ont les oreilles pour entendre entendent.
            Je sens au fond de moi qu’une certaine gêne secoue ma conscience. Une voix cherche à me pousser à reconnaître qu’il est difficile qu’un tel aveu puise être pris comme une demande sincère de pardon, alors qu’il ne peut être qu’une manœuvre de distraction ou d’endormissement du Congo. Elle me rappelle tous les commentaires écrits, radiodiffusés ou télévisés qui, de Kinshasa à la diaspora congolaise dans le monde, cherchent à faire croire qu’une conversion de Kigali et de l’Ouganda à la paix serait trop belle pour être vrai, surtout quand on connaît la substance de la politique agressive de ces pays à l’égard du Congo. On ne convertit pas le tigre en herbivore, clame-t-on, même avec toute la bonne volonté du monde. La révolution à ce niveau, pour reprendre les mots de Houellebecq, ne peut pas être mentale, mais génétique. Qui peut vraiment changer la génétique rwandaise ou ougandaise ?
            Je réponds :
-          A Kinshasa, on ne lit pas suffisamment bien les recommandations du texte de l’Accord-cadre d’Addis-Abebbas à l’égard de la communauté internationale. Il y a là aussi un aveu très clair de l’idiotie des grandes puissances du monde actuel dans la gestion de la crise congolaise et de l’implication des forces internationales dans la perpétuation de l’état de guerre dans l’est du pays. Quand le secrétaire général des Nations Unies signe un texte qui reconnaît, en langage diplomatique, les limites de la mission onusienne en RDC, il fait aveu, en langage courant,  de l’incompétence non seulement de la Monusco dans sa mission de stabilisation du Congo, mais surtout de son manque de soutien réel « à la stabilité à long terme » et à la construction d’une paix durable. Une phrase comme celle-ci, malgré sa structure alambiquée et sibylline, donne à réfléchir, quand le texte demande à la communauté internationale, « un engagement renouvelé des partenaires bilatéraux à demeurer mobilisés dans leur soutien à la République démocratique du Congo et la région, y compris avec les moyens appropriés pour assurer la durabilité de ces actions sur le long terme ; et d’appuyer la mise en oeuvre des protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands lacs ». Cela veut dire : nous n’avons pas fait en tant que communauté internationale pour aider la RDC à entrer dans la logique de la paix. ; nous n’avons pas été attentifs aux logiques mafieuses et prédatrices du marché mondial dans son cynisme et son cannibalisme destructeur dont le Congo est devenu un champ d’expérimentation commode ; nous n’avons pas mis tous nos moyens et toutes nos structures de paix en branle dans un contexte du manque d’Etat et de gouvernance ; aujourd’hui, nous prenons les choses en main et nous nommons comme proconsul au Congo «  un Envoyé spécial des Nations Unies pour soutenir les efforts pour trouver des solutions durables avec un plan à plusieurs volets qui permettra la convergence de toutes les initiatives en cours », nous le faisons en accord avec l’accord, le soutien et la participation de l’Union africaine, de la CIRGL, de la SADEC, garant d’une paix régional dont le Congo devrait bénéficier. Bel aveu, magnifique aveu et demande de pardon pour une politique désastreuse menée jusqu’à ce jour.

            L’accord .cade donne à réfléchir et à rêver
            Je regarde le Nyiragongo et il me regarde. Je suis serein en moi-même et il est tranquille au fond de lui, sans aucune manifestation d’un grondement interne. Je sens que la paix est à portée de main dans mon pays. Pour une fois, un accord pour la paix se fonde sur le courage de la vérité et sonne vrai, derrière le rituel diplomatique qui sied à ce genre de textes. On peut éprouver de la méfiance et garder une distance prudente nécessaire, mais  on ne peut pas dire que ce qui a été signé à Addis-Abeba va dans la mauvaise direction.
            Il y manque cependant deux dimensions importantes qui devraient, dans l’avenir, être prises en compte, si les Nations-Unies, aujourd’hui moteur et levier dans la recherche de la paix au Congo, veulent arriver à des résultats fiables.
            Il manque avant tout au texte de l’accord-cadre une vraie foi à la paix. Le langage adopté, les méthodes proposées, les perspectives ouvertes présupposent toujours l’usage de la force militaire et de la violence des gouvernements pour contraindre ceux qui refuseraient d’obéir à se soumettre. Les peuples ne sont ni évoqués dans leur capacité d’être des bâtisseurs de paix, ni invoqués comme pouvoirs créateurs de paix par des initiatives de l’intelligence, de la culture et des actions économico-financières. Oublier ainsi la dynamique profonde des énergies des peuples, c’est s’enfermer dans une logique politico-militaire dont les résultats risquent fort mitigés. Si aucun investissement dans l’imaginaire des nations ne s’effectue pour une éducation durable à la paix durable, il y a lieu d’aller vers un échec des politiques mises en œuvre, surtout quand on sait le peu de poids que les hommes politiques accordent à la parole donnée.
            L’autre dimension qui manque, c’est la perspective d’une rencontre avec tous les responsables des groupes armés, non pas dans le but d’exercer sur eux des sanctions internationales ou de la livrer à la justice internationale de la Haye, mais pour une justice constructrice qui commence par de vraies propositions de paix sur la bases des moyens de paix. Une telle perspective montrerait que l’avenir ne peut pas être un simple recours à la justice punitive, mais au pouvoir de construire un ordre de paix ensemble, sur la base d’une table rase difficile à accepter et à comprendre mais indispensable quand on veut fonder un nouvel être ensemble. ‘est seulement à celui qui refuserait cette paix de fécondité et de sécurité pour tous que s’ouvrirait les portes de la justice punitive, dans son pays ou à la Haye.
            Aujourd’hui, après le temps des aveux à Addis-Abeba, une réflexion sereine sur la situation actuelle exige une ère du Grand Pardon. Un pardon qui ne concernerait pas seulement les protagonistes étatiques, mais les forces armées que nous devrions cesser de considérer seulement contre des forces négatives pour qu’ils deviennent des partenaires dans la paix.  
            Si Addis-Abeba n’a pas prévu cela, c’est que nous sommes là au cœur du problème le plus difficile de la tragédie congolaise : la capacité d’embrasser dans la même humanité et de mettre sur la voie de la construction de la paix toujours les forces aujourd’hui esclaves des logiques des crimes, des carnages et de banalisation de la mort.
            Un nouveau courage nous attend sur cette route. C’est sans doute là le sens de la vraie réconciliation que l’Accord-cadre évoque sans en comprendre vraiment toutes les exigences pour les pays et les peuples des Grands Lacs aujourd’hui.

Kä Mana
Président de Pole Institute