La RDC au risque de son avenir
Pour une pédagogie de
la transformation sociale et du changement politique positifs
Par Kä Mana
Si l’on cherche à comprendre la vie
de la RDC à partir des faits majeurs qui ont marqué les esprits et dominé
l’espace de la société en ce début d’année 2013, trois événements s’imposent à l’analyse et à
la réflexion.
Kampala : quand on ne sait pas ce que l’on négocie
Le premier événement, ce sont les
pourparlers entre le M23 et le gouvernement à Kampala. Ce processus de
négociation pour la paix à l’Est de la RDC a repris dans une ambiance de
tangage entre l’espoir, les désillusions, les revendications foisonnantes, les
méfiances et les incompréhensions irrémédiables entre les deux camps et
l’impression d’un manque de volonté d’aborder les vrais problèmes de la nation
sur la base des enjeux de fond qui intéressent le destin du peuple congolais.
Du côté du
M23, la question de savoir ce que la rébellion négocie véritablement à Kampala
n’a de réponse ni claire ni convaincante aujourd’hui. A un moment, le discours
du M23 a été celui d’une force de révolution qui veut le changement radical de
l’ordre politique et social, dans une visée de rupture totale avec la vision de
l’Etat, de la gouvernance, de l’esprit et des ambitions incarnées par le régime
en place à Kinshasa. A un autre moment, la rébellion a semblé vouloir se
contenter d’une portion du territoire congolais à administrer et elle devait
négocier alors une sorte de décentralisation à son avantage ou de fédéralisme
qui ne remettrait pas en cause l’unité du pays. On sentit alors planer sur les
négociations des rumeurs d’une division masquée que les journaux à sensation à
Kinshasa qualifièrent de balkanisation en marche. Après la vague du discours
sur cette orientation décriée par les populations, la rébellion s’est engagée
dans un virage tendant à donner d’elle-même l’image d’un mouvement prêt à
dé-radicaliser ses exigences, au nom des intérêts du peuple congolais. Ce
peuple dont l’aspiration majeure est la paix immédiate, qui commencerait par un
cessez-le-feu unilatéral. Dans une initiative de charme et de séduction, le M23
mit au cœur de ses revendications ce cessez-le-feu qu’il appliqua tout de suite
afin de permettre au dialogue de se poursuivre à partir d’une relecture des
accords signés entre le CNDP et le gouvernement un certain 23 mars 2009, à
l’hôtel Ihussi à Goma. On ne devait plus négocier les perspectives des changements
révolutionnaires pour une réorientation globale de la destinée du peuple et du
pays, mais des points précis sur ce que la rébellion devrait avoir comme
garantie pour s’intégrer dans l’ordre politique et social existant, en un jeu
de partage du pouvoir et des avantages que la participation au pouvoir rend
possible. Le regard ne devait plus être tourné vers l’avenir ni déterminé par
le souci de l’avenir, mais vers le passé, celui du beau temps où le CNDP, ses
chefs et ses militants rêvaient d’être des leviers importants dans la gestion
de la RDC et de ses institutions essentielles. La revendication emblématique de
ce virage est celle que propose la rébellion de devenir une force intégrée dans
l’ordre militaire du gouvernement de Kinshasa en vue de combattre les forces
négatives constituées par les multiples groupes armés qui pullulent actuellement
dans l’Est du pays.
Du côté du
gouvernement, les enjeux des négociations de Kampala ne sont pas non plus très
lisibles ni cohérents. Un jour, on affirme que l’on n’est pas à Kampala pour
négocier, mais pour écouter le M23 qui n’est qu’une fiction derrière laquelle
se cache le Rwanda, vrai maître de la rébellion et vrai agresseur dont le but
est de s’emparer des richesses du Congo. Comme il sent que ce genre de discours
fait plaisir aux populations et donne un élan à la volonté d’unité au cœur du
peuple congolais, le pouvoir de Kinshasa en a fait un insatiable leitmotiv
destiné à donner l’image d’une force qui ne cédera sur aucune revendication des
rebelles. Un autre jour, le pouvoir joue
sur le registre de l’émotion et parle du M23 comme d’un mouvement de
compatriotes égarés, des enfants prodigues dont on attend qu’ils reviennent
dans la maison du Père, sans préciser qu’elle veau gras sera préparé pour eux
et dans quel festin il sera plantureusement consommé. Ce discours du pouvoir en
place qui se prend pour un Père magnanime masque son incapacité à s’interroger
sur les causes mêmes du surgissement d’une rébellion comme le M23 ainsi que
d’autres mouvements armés dans l’espace politique, économique et social
congolais. On ne s’interroge ni sur le type d’Etat que l’on a, ni sur le mode
de gouvernance que l’on anime, ni sur le style de pouvoir que l’on exerce, ni
sur l’image de soi que l’on se donne comme gouvernement dans un pays criblé de
problèmes. Un jour encore, Kinshasa enfourche le cheval du discours guerrier et
casse les ressorts de négociation en parlant d’éradication de la rébellion
purement et simplement, grâce aux armées des pays amis, à la transformation de
la mission de la MONUSCO en force de combat, avec des drones américains qui
sortiraient la guerre de l’Est du Congo de l’ère des machettes et des
kalachnikovs pour la faire entrer dans l’ère de l’électronique high tech, avec des nouveaux massacres
qui élèveraient les carnages nègres à un
niveau d’intérêt qu’ils n’ont pas encore à l’échelle mondiale aujourd’hui.
Quand on
perçoit Kampala du point de vue des acteurs des pourparlers congolais, il saute
aux yeux que le vrai problème est l’absence d’enjeux clairement partagés, sur
la base des valeurs communes acceptées et vécues. Dans la capitale ougandaise,
le camp des rebelles et le camp du gouvernement, ne savent pas de quoi ils
parlent vraiment et ils parlent deux langues incompréhensibles l’un pour l’autre. Ils sont dans une logique
de l’échec programmé, car pour négocier, il faut avoir des enjeux communs, des
valeurs communes et un même langage sur les intérêts collectifs à défendre. Le
M23 et le gouvernement ne donnent pas l’impression de disposer de tout cela. En
disant qu’ils négocient la paix en RDC, ils savent qu’ils se mentent chacun à
lui-même et ils se mentent également l’un à l’autre. Aucune éthique de la
communication ne guide leurs ambitions.
Une impasse à Addis-Abeba : la logique du nœud gordien
Le deuxième
événement qui a dominé ce mois de janvier concernant la RDC et son destin s’est
déroulé à Addis-Abeba. Par-dessus la tête des négociations de Kampala qui se
déroulent dans le cadre de la CIRGL, une autre dynamique de recherche d’une
solution au problème congolais s’est enclenchée à l’échelle de l’Union
Africaine, selon une logique qui montre comment le problème congolais n’est pas
qu’un problème congolais. C’est un problème africain à ampleur mondiale, qui
met en jeu une multitude d’intérêts dans lesquels sont impliqués beaucoup
d’acteurs, ceux de l’ombre comme ceux de la lumière.
Dans ce
problème congolais, l’attention avait été jusqu’ici concentré sur les relations
tumultueuses entre le RDC et ses voisins rwandais et ougandais. On avait
cru que tout serait réglé si, à
l’échelle africaine comme à l’échelle mondiale, on neutralisait les ambitions
des gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda sur les richesses du Congo et qu’on
brisait les reins à la puissance militaire de ces pays dont le gouvernement
congolais affirme partout qu’ils sont le cœur de son problème. Les solutions
conçues par les instances internationales consistaient à sécuriser les
frontières à l’Est du Congo avec une armée neutre, comme si c’étaient ces frontières
qui entretenaient la guerre.
A
Addis-Abeba, cette vision de la situation congolaise a battu de l’aile. Il est
devenu évident que d’autres acteurs ont aussi leurs intérêts en RDC et que
leurs relations avec le Rwanda et l’Ouganda sont loin d’être claires dans leurs
enjeux économiques et géopolitiques. L’Afrique du Sud apparaît maintenant non
pas comme une solution à la crise congolaise, mais comme une puissance de
complication et de complexification de ce problème. La Tanzanie surgit aussi au
cœur de ce problème et sa voix, jusqu’ici inaudible, se fait entendre soit dans
la perspective de l’envoi d’une armée neutre au Congo, soit dans la perspective
d’un partage de gâteau au cas où le Congo imploserait. Les intérêts économiques
sud-africains sont tels en RDC aujourd’hui que le gouvernement de Jacob Zuma ne
peut pas accepter que l’on traite de la question congolaise dans un cadre dont
il ne maîtrise ni ne domine les tenants et les aboutissants. Par ces intérêts,
il tient le pouvoir de Kinshasa en respect et rend impossibles toutes
négociations directes entre la RDC et le Rwanda dans le cadre d’une solution à
la guerre de l’Est du pays. Quand on sait que la Zambie, le Zimbabwe et
l’Angola ont toujours leurs propres visions de la RDC et leurs agendas dont on
ne peut pas se passer pour la sortie de crise, il devient clair que le Congo
est un nœud gordien difficile à dénouer corde par corde tant la complexité des
logiques en présence défie toute analyse simple et simplificatrice.
Si on ajoute
à tout cela la géopolitique des grandes puissances du monde actuel, avec les
Etats-Unis, l’Union Européenne, la Chine et la Russie en tête, il ne faut pas
être magicien pour comprendre que le Congo est un enjeu mondial trop important
pour être laissé aux Congolais. Le secrétaire général des nations Unies a eu
cela en tête lorsqu’il a proposé une solution globale à ratifier par tous les
acteurs en jeu en fonction de leurs intérêts. Ce qu’il a moins bien compris,
c’est la tessiture des divergences entre ces acteurs et la difficulté de tracer
un schéma de compréhension et de résolution qui paraitrait à l’un ou à l’autre
comme quelque chose d’imposé d’en haut. Si Addis-Abeba a accouché d’une souris
au moment où l’on croyait que l’horizon s’éclaircirait, c’est parce que les
Nations Unies n’ont pas su prendre en compte toutes les susceptibilités et
toute la complexité des attentes des acteurs actuels de la crise de la RDC à
l’échelle internationale. Dans la substance de l’analyse comme dans la méthode,
il aurait fallu prendre le temps d’une connaissance de chaque corde du nœud
gordien congolais au lieu de penser, à tort, que le problème du Congo est
réductible à la guerre dans le Kivu, surtout quand on ne s’est pas donné la
peine de connaître ce que les populations congolaises, dans leur complexité et
dans leur diversité, pensent globalement
de la situation de leur pays.
Il faut que
les instances internationales comprennent cela. Sinon, elles s’enfonceront dans
les fausses solutions diplomatico-militaires ou économico-géostratégiques là où
le peuple exige une nouvelle vision de l’Etat congolais, un nouveau type de
gouvernance et une dynamique de révolution dans les institutions et les
pratiques sociales pour un être-ensemble cohérent et fertile.
Quand les altermondialistes envahissent Kinshasa
Le troisième
événement qui mérite réflexion concernant
la RDC, on n’en a pas beaucoup entendu parler dans les grands médias du monde.
Concentrés sur Kampala et Addis-Abeba, ces médias n’ont pas vu qu’à Kinshasa se
tenait en janvier le Forum social africain, un rassemblement des associations
de la société civile de nombreux pays d’Afrique.
A Kinshasa,
ces associations ont déployé les rituels habituels de la liturgie des messes
altermondialistes :
-
les
marches populaires pour dire qu’un autre monde est possible, qu’une autre
Afrique est possible et qu’un autre Congo est possible ;
-
l’implantation
des tentes pour des ateliers de réflexion sur les grands problèmes du
monde ;
-
l’ambiance
bon-enfant des rêveurs que les souffrances des peuples ne découragent ni ne
brisent dans leur volonté de bâtir une nouvelle société ;
-
la
dénonciation du mal de l’ultralibéralisme et des effets catastrophiques sur les
pays exploités et appauvris, en Afrique comme partout dans le monde.
Tout cela est bien connu, mais le
Forum de Kinshasa ne s’y est pas arrêté, fort heureusement. Le plus important
dans ce Forum, ce furent les lignes d’avenir que la société civile congolaise a
tracées dans les discours de ses représentants sur le pays et dans leurs
analyses de la situation actuelle de la RDC.
Alors qu’à Kampala s’affrontent le
gouvernement et le M23 autour d’une image désespérante et calamiteuse d’un
Congo en désarroi ; alors qu’à Addis-Abeba se confrontaient des intérêts
économico-politiques et géostratégiques des vautours au-dessus d’un pays
visiblement cadavre, les acteurs de la société civile célébraient, eux, le
nouveau rêve du Congo-Kinshasa. Ils voyaient dans la guerre de l’Est et dans
les souffrances de toute la nation une exigence d’enfantement, une parturition
dont chaque Congolaise et chaque Congolais ont le devoir d’assumer le pouvoir
créateur dans l’avènement d’un génie inventif congolais. Le problème de la RDC y était pensé comme un
gigantesque défi au peuple même, pour qu’il se mette debout dans une révolte
constructrice et un nouvel élan d’espérance, à travers des initiatives à
prendre et des orientations à ouvrir face à l’avenir.
Il ne s’agissait pas seulement d’un
immense et splendide rêve. Il s’agissait surtout de l’élaboration d’une sorte
de pédagogie de transformation sociale dont les réflexions des membres de la
société civile congolaise au Forum social africain de Kinshasa ont donné les
grands axes.
Ils avaient tous et toutes l’ambition
de répondre à une question capitale pour le pays : comment
change-t-on positivement une communauté historique confrontée à une
crise de grande ampleur et de très haute portée comme celle que traverse
la société congolaise à travers ses guerres à répétition, sa politique
délirante, son économie incohérente, sa culture du fatalisme, son instinct de
victimisation et sa décomposition morale et spirituelle partout visible ?
Face à
cette question, j’ai vu briller à Kinshasa une puissante ambition : celle de
susciter des vocations de nouveaux leaders politiques, de nouveaux organisateurs
de dynamiques socio-économiques, de nouveaux acteurs culturels et de nouveaux
ouvreurs de piste de vie pour la construction d’une nouvelle société et d’une
nouvelle communauté humaine sur la terre de la RDC.
Les lignes directrices de cette ambition, je les
ai gardées dans ma mémoire sous la forme de cinq orientations d’action pour
changer l’ordre sociopolitique au Congo aujourd’hui :
-
L’action
sur les esprits, les consciences, les intelligences et les rêves des individus
et des communautés, en vue d’une mutation de l’imaginaire à partir des
aspirations porteuses de changements de fond et de nouvelles espérances.
-
L’action
sur les institutions politiques et les structures socio-économiques pour
l’émergence des rationalités, des valeurs et des normes collectivement
partagées comme l’âme même de notre être-ensemble et le souffle de notre
communauté de destinée.
-
L’action
sur les instruments de transformation sociale et les outils méthodologiques du
changement dans une dynamique éducative solide.
-
L’action
sur le pouvoir d’organisation de la société face des défis qu’il faut maîtriser
pour mieux les relever.
-
L’action
sur le pouvoir d’action que toute société soucieuse de sa destinée doit pouvoir
développer pour se changer elle-même et construire son avenir.
Depuis
que je suis revenu du Forum social africain de Kinshasa, je pense constamment à
cette pédagogie du changement social comme force pour sortir de l’impasse des
négociations de Kampala et pour montrer à ceux qui ont négocié le destin de la
RDC à Addis-Abeba ce que veut vraiment le peuple congolais dans son splendide
et fascinant rêve d’avenir.
Kä
Mana
Président
de Pole Institute
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire