Par Kä Mana
Un événement a dominé la vie de la RDC au cours de la
première quinzaine du mois de février : l'échec des pourparlers de Kampala. Ou
plus exactement : la pénible certitude qui s'est emparée de l'esprit des
Congolaises et des Congolais concernant cette occasion historique sur laquelle
personne ne se fait plus aucune illusion. Une occasion contre laquelle de plus
en plus de voix s'élèvent pour dénoncer l'inconsistance, l'incohérence, les
mensonges et l'irresponsabilité des acteurs chargés de proposer à la nation les
perspectives d'une paix durable.
C'est à cet événement historique et à ses conséquences
que je consacre la réflexion que vous allez lire.
1. La faillite de nos rêves de paix
Quand on considère la manière dont les pourparlers de
Kampala se sont déroulés depuis leur ouverture comme espace de dialogue jusqu'à
leur lamentable fin qui se profile à l'horizon comme un échec complètement
destructeur pour le pays, on se rend compte que les deux camps des négociateurs
n'ont jamais eu conscience de l'enjeu historique de leur tâche. Ils ont
considéré Kampala comme une arène de lutte politicienne dans des intérêts sans
consistance pour le destin d'un pays comme la RDC en Afrique et dans le monde.
Au lieu d'entrer dans une aire de recherche d'une paix fondée sur la vérité
globale de la situation de la nation et sur le souci d'une véritable concorde
nationale assumée en toute responsabilité, ils ont fait la politique au sens
piteux que les Congolais connaissent bien : l'art tragique de se mentir à
soi-même, de mentir à tout un peuple et de vouloir mentir au monde entier sur
les intentions réelles que l'on porte en soi.
L'attitude catastrophique du gouvernement de Kinshasa
Dans cette arène de Kampala, Kinshasa a menti du début
à la fin. Malgré la bonhomie fatiguée du ministre des affaires étrangères
Raymond Tshibanda et son langage de sagesse qui ont fait espérer des
négociations sérieuses dans l'esprit des Congolaises et des Congolais, le gouvernement
ne veut pas la paix et n'a jamais voulu la paix avec le M23 dans l'est de la
RDC. Il considère ce mouvement comme une force négative et fait semblant de
parler avec lui alors que son souhait est de lui tordre militairement le cou à
plus ou moins brève échéance, quand l'occasion lui en sera offerte. J'ai acquis
cette conviction lorsque, en visite à Kampala avec mes collègues pour remettre
un document des conclusions d'une partie de la société civile du Kivu aux
négociateurs, je me suis trouvé pour la première fois en face de l'abbé Malu
Malu, coordinateur politique de la délégation gouvernementale aux pourparlers
gouvernement-M23. Dans son langage comme dans son attitude, rien ne traduisait
un quelconque respect pour le camp adverse. Il me donnait plus l'impression du
général Mac Arthur attendant la capitulation du Japon que de Nelson Mandela
cherchant la paix avec les seigneurs de l'apartheid. Il oubliait seulement
qu'il n'était pas Mac Arthur et que le M23 n'était pas le Japon. Attendre une
capitulation pure et simple du M23 pendant que Raymond Tshibanda sème partout
des espoirs d'un compromis acceptable révélait une fissure profonde dans le
camp gouvernemental : la fissure d'un mensonge conscient où l'on veut souffler
le chaud et le froid alors que l'on ne dispose ni de véritables moyens de
souffler le chaud ni d'une véritable intention de souffler le froid.
Quand je me suis mis à réfléchir profondément sur
l'énorme différence de tempérament entre le ministre et le coordinateur
technique de la délégation gouvernemental, j'ai compris qu'aucune proposition
de paix véritable ne peut venir du côté de Kinshasa. J'en suis même venu à
penser que la guerre dans l'est du pays servait plus les intérêts et
l'étourdissante propagande du pouvoir de Kinshasa que la recherche de la paix.
Issu de la guerre de l'AFDL, alimenté par une histoire de feu et de sang avec
le RCD, avec le CNDP et avec l'actuel M23 qui lui ont servi d'épouvantail pour
se légitimer et masquer ainsi une politique qui pose problème dans sa substance
comme dans son exercice de tous les jours, ce pouvoir qui règne sur la capitale
ne veut la paix que du bout des lèvres. Son cœur et son esprit veulent la
guerre, surtout contre le M23 qui, dans la géographie des mouvements armés, est
le seul capable d'inquiéter la condescendance satisfaite et de bousculer la
morgue délirante des seigneurs de Kinshasa. Ceux-ci veulent la guerre avec
d'autant plus de vigueur qu'ils peuvent aujourd'hui se fier aux perspectives
d'une armée africaine et sur les drones américains qui leur assureraient un
ordre de pérennité d'une politique dont tout le monde sait qu'elle n'est ni
vraiment l'émanation d'une volonté populaire claire, ni réellement l'expression
du souci de répondre aux aspirations profondes des populations congolaises. La
seule paix qui intéresse Kinshasa, c'est la paix néocoloniale d'un règne
despotique à la Mobutu, au temps où les gouvernements américain, belge et
français avaient fait du Zaïre le bastion anticommuniste dans le contexte de la
guerre froide. Tous les Congolais et toutes les Congolaises savent que cette
paix mobutiste n'était qu'une guerre contre le peuple et que Mobutu ne réussit
jamais à donner au Zaïre un élan de développement ni une dynamique de sécurité
véritable. Le jour où ses parrains le lâchèrent, son despotisme fit basculer le
pays dans une avalanche des guerres qui sont devenues aujourd'hui le réflexe
conditionné du pouvoir à Kinshasa. C'est ce réflexe qui se pavane à Kampala
dans l'espoir de compter sur de nouveaux parrains et de détruire le pays dans
tous ses ressorts de développement et de grandeur.
En s'enfermant dans cette logique et en la promouvant
comme voie face au M23, le gouvernement de Kinshasa se trompe totalement
d'intérêt, de vision et de perspective d'avenir. L'ordre de tutelle militaire
de la SADEC ou de la CIRGL et le parapluie néocolonial des drones américains,
qui lui semblent constituer maintenant un principe de pérennité de son pouvoir,
pourraient vite devenir une faiblesse et un handicap fatals, surtout quand les
parrains prendront conscience de ce qu'ils ne voient pas encore clairement
maintenant. A savoir que le peuple dans le Kivu est à bout de souffle et qu'il
veut une bonne politique pour sa destinée aujourd'hui. Une politique de
reconstruction et de concorde dont le moteur n'est ni la violence despotique ni
la paix néocoloniale, mais le génie créateur de toutes les Congolaises et de
tous les Congolais rassemblés dans une même puissance de développement et de
grandeur, qui puisse imposer partout le respect à l'égard de notre nation dans
le monde. C'est cette bonne politique qu'il s'agit de construire et Kinshasa ne
l'a pas encore construite. A Kampala, le gouvernement a caché son incapacité à
penser et à construire une telle politique dans une stratégie de concentration
sur les vieux accords avec le CNDP et sur une comptabilité superficielle entre
ce qui a été réalisé et ce qui ne l'a pas été. Dans la capitale même de notre
pays, il a imposé aux médias une pensée unique pour clamer que le M23 est une
" fiction " et que la seule réalité est celle de la guerre
d'agression du Rwanda contre le Congo. Guerre à laquelle ne peut répondre
qu'une autre guerre, celle de la libération du pays par la mobilisation de tous
les citoyens et de toutes les citoyennes. On aurait aimé que le centre des
discussions à Kampala ne fît pas seulement celui du débat contre une fiction ou
de la rage de combattre un tigre agresseur venu du Rwanda, mais aussi celui de
savoir ce que le gouvernement est en train de faire concrètement du pays, ici et
maintenant. Et surtout ce que sa gouvernance amène comme instinct séparatiste
que l'on voit dans les mouvements sécessionnistes comme " Kata-Katanga
", sans aucun lien entre des agresseurs surgis du côté de nos
circonvoisins. Si on avait ouvert les yeux sur ce côté du problème congolais,
on n'aurait pas manqué de voir que la politique du gouvernement, dans ses
errances et ses incohérences, entraîne le pays dans la logique de la guerre, de
la division, de la balkanisation de fait et de l'implosion irrémédiable. Elle
le fait dans le discours, dans les actes et par omission de prendre ses
responsabilités pour construire une paix durable.
Dans le discours : au moment où se déroulent les négociations de
Kampala, le président de la République ne parle que de reconquête militaire du
pays, " centimètre par centimètre ". Il donne aux responsables de la
communication gouvernementale toute la latitude pour chauffer à blanc
l'imaginaire du peuple afin de lui faire accepter la logique de la guerre
destructrice, convaincu que la guerre est le chemin vers la paix alors que les
négociations se fondent sur l'idée que seul le dialogue est la voie vers une
paix durable.
Dans les actes : la lourde responsabilité de Kinshasa dans la
circulation des armes partout dans le Kivu est connue de tous. Les groupes
armés de toutes obédiences, les milices de tous acabits, les forces qui
s'affichent dans le Kivu et dan l'Ituri en roulant les mécaniques de la
terreur, les factions militarisées incontrôlées que l'on qualifie de forces
négatives le jour quand elles sont contre le gouvernement et qui deviennent la
nuit des forces positives d'appui au gouvernent, avec un armement toujours plus
abondant, personne n'ignore ces réalités de terrain. Personne n'ignore non plus
qu'on ne construit pas la paix dans une telle oscillation d'intérêts et dans un
tel tangage d'attitudes et d'alliances, encore moins dans la militarisation des
esprits et des espaces vitaux des populations. Si on ajoute à cela le recours
aux armées étrangères et aux mercenaires, qui correspond aussi à l'appel aux
armées étrangères et aux mercenaires étrangers dans le camp adverse, on fait du
pays une poudrière qui explosera totalement un jour au visage de ceux qui
jouent avec le feu. L'histoire, depuis la nuit des temps, est pleine d'exemples
de la chute et de la ruine des princes qui ont cru asseoir leur pouvoir sur le
soutien des forces étrangères et qui ont fini par perdre et le pouvoir et la
vie. Il n'y a qu'à Kinshasa qu'on oublie que l'Occident a les intérêts et qu'au
nom de ces intérêts, il peut retourner sa veste contre un gouvernement qu'il
soutenait hier. Il n'y a qu'à Kinshasa qu'on oublie le sort d'un Congo où un
Premier Ministre fit appel aux militaires des Nations Unies et fut assassiné
sans que les Nations-Unies lèvent le moindre et secourable petit doigt. On a
même oublié que la mort de Laurent Désiré Kabila est venue de l'imbroglio des
armées étrangères incontrôlables sur fond d'une politique erratique et
chaotique, où le mensonge, le retournement d'alliances et l'élimination
physique d'opposants et des concurrents se déployaient comme du grand art
maléfique. Quand un gouvernement oublie qu'une politique chaotique et erratique
conduit à sa propre perdition, il finit par se noyer dans son propre gouffre,
malgré le système de violence et de peur qu'il met en place pour se protéger. A
Kampala, les négociateurs du gouvernement ont fait montre d'une amnésie totale
sur ces évidences, pour faire croire au monde entier qu'au Congo, seules les
armes apporteront la paix. Faux calcul et pari abondamment risqué.
Que faut-il dire à un pouvoir politique qui s'embourbe
dans un faux calcul et un pari risqué ? Essentiellement ceci : aujourd'hui,
tous les Congolais et toutes les Congolaises qui, au pays comme partout dans le
monde, soutiennent la ligne politique guerrière de Kinshasa pour une raison ou
pour une autre, se trompent d'analyse et d'enjeux sur les intérêts de notre
pays. J'ai de la peine à croire qu'ils puissent ne pas voir les difficultés et
les entraves que constitue la ligne politique actuelle du gouvernement qui
barre la route à toute paix durable au Congo. Tant que l'option de fond à
Kinshasa ne sera pas une politique de prospérité économique, de choix éthique
contre la corruption, de confiance dans la démocratie participative,
d'engagement dans une décentralisation féconde et de souci de liberté et de
responsabilité pour donner aux citoyens le sens de leurs droits, de leurs
devoirs et de leurs pouvoirs d'action pour changer le pays et résoudre ses
problèmes aux plans local, provincial et national, nous allons tout droit dans
le mur au Congo. Et à grande vitesse.
J'ose alors l'hypothèse suivante : que Kinshasa cesse
de penser et de vivre en termes de guerre, qu'il dépose les armes et s'engage
dans une bonne politique de construction économique et sociale du pays dans une
dynamique de gestion responsable des richesses de la nation, la guerre cessera,
faute de carburant interne qui sert de justification et de légitimation aux
rébellions de toutes sortes. Pour reprendre les mots du penseur congolais
Benoît Awazi Mbambi Kungwa dans son livre De la postcolonie à la mondialisation
néolibérale (Paris, L'Harmattan, 2011), il faut à notre pays " une culture
politique de la responsabilité éthique, de la bonne gouvernance, de la transparence
et de l'imputabilité dans la gestion des affaires publiques. "
Le M23 et la logique du désastre
" Et le M23 ? " vous demandez-vous, sans
doute. Le M23 a commis trois erreurs monumentales qui l'ont conduit aux
négociations de Kampala en position de faiblesse, d'incertitude et de
désorientation, même s'il a tout fait pour masquer cela.
Premièrement, il a commis l'erreur, lorsqu'il s'est
retiré de Goma en décembre 2012, d'adopter le comportement d'une force
incontrôlée de razzia et de terre brûlée. Les populations de Goma en ont gardé
le souvenir d'une armée sans rêve pour le peuple, sans dynamique d'alternative
politique globale crédible ni volonté de donner à la nation un nouveau rêve
d'ordre et de grandeur. Les pillages, les ravages et le désordre n'ayant jamais
constitué un chemin d'avenir pour un mouvement qui a l'ambition de faire une
révolution, il était difficile d'avoir à Kampala l'image de dignité, de
responsabilité et de responsabilité crédible. Surtout quand la campagne
militaire a causé des morts, brisé des vies humaines, mis les populations sur
les routes de l'exil, dans des camps de fortune pour déplacés ou dans les
misères sans limites.
Deuxièmement, la M23 a commis l'erreur d'aller
négocier à Kampala en maintenant le revolver braqué sur la tempe de la ville de
Goma, comme s'il ne voulait pas renoncer une fois pour toutes à l'option de la
guerre destructrice au profit d'une paix constructrice. En maintenant dans
l'esprit des populations un fond de peur et d'anxiété, il n'était pas possible d'entrer
en négociation avec le gouvernement dans une posture de respectabilité
confiante.
Troisièmement, le M23 a commis l'erreur de présenter à
Kampala deux sons de cloche relevant l'un de l'aile politique du mouvement,
l'autre de l'aile militaire, comme si on voulait d'un côté la paix et de
l'autre la guerre. Ou plus exactement : comme si on mettait deux marrons dans
le feu, le marron du sourire et le marron de la terreur, en espérant que les
populations seront dupes et aveugles, incapables de voir que tout sourire qui
masque la terreur est une tombe ouverte au cœur de la destinée d'un peuple.
Quand on négocie, rien n'est de plus néfaste effet que
de chercher la paix en demeurant dans l'esprit d'une guerre partisane. De ce
point de vue, M23 a agi comme le gouvernement de Kinshasa, dans un double
langage et la stratégie de dissimulation des intentions réelles sur les enjeux
de la négociation.
Avec ces trois erreurs, le M23 a lui-même cassé sa
propre image et conduit le peuple congolais à penser soit que ce mouvement ne
représente qu'une aile d'agression extérieure sans aucune considération pour la
stabilité du pays (comme le dit à profusion la propagande du gouvernement),
soit qu'il n'est qu'une puissance d'aventurisme cherchant une place au sein du
système même du pouvoir de Kinshasa, pour une nouvelle distribution des faveurs
et des grâces (selon la dynamique d'intérêts à court terme, comme au temps du
RCD et du CNDP).
A Kampala même, le mouvement du 23 mars s'est enfermé
dans un système de revendications à géométrie variable, sans réelle colonne
vertébrale permanente du changement profond du système de gouvernance du pays.
Le gouvernement a eu beau jeu de surfer sur cette maladresse et diaboliser la
rébellion en toute mauvaise foi, sans trouver dans l'opinion une résistance
radicale à la politique désastreuse du gouvernement, cause des malheurs
profonds dont souffre la nation.
La rébellion a encore aggravé la destruction de son
image quand elle a menacé de reprendre Goma par les armes, si les négociations
de Kampala öchouaient.
Or, dans l'état d'esprit actuel du monde sur les
problèmes du Congo, on ne tire aucun avantage à utiliser la guerre comme moyen
pour libérer le pays, quelles que soient les raisons que l'on exhibe pour faire
cette guerre. La vraie libération est un combat éthique et politique pour
mobiliser la masse critique des Congolais qui peuvent se révolter de manière
constructrice par la transformation de leur être, de leur imaginaire, dans des
initiatives concrètes de changement aux échelles locale, provinciale, nationale
et même mondiale. Je sais que le M23 ne peut pas ignorer que sa guerre actuelle
telle qu'il peut l'envisager ne conduit nulle part. Même s'il prend de nouveau
la ville de Goma et qu'il passe par Bukavu et Kisangani pour s'ouvrir la route
de Kinshasa par le fleuve, il ne pourra pas s'emparer des rênes du pouvoir sans
alliance avec d'autres forces politiques, surtout sans l'adhésion de tout le
peuple à une vision commune d'un nouveau destin pour la nation. Ou à un nouveau
projet de changement responsable et fondé en raison Un projet qu'il convient
encore de construire dans la paix.
Actuellement, les pourparlers stériles de Kampala
n'ont pas révélé le M23 sous cet angle d'un mouvement qui peut séduire tout le
Congo et forger un nouveau grand rêve pour la nation.
2. Ouvrir de nouvelles perspectives
Est-il possible d'ouvrir de nouvelles perspectives
dans cette situation bloquée ? A quel prix pourra-t-on le faire ?
Le temps d'une metanoia
A Kampala, le gouvernement et le M23 auraient dû commencer
par reconnaître qu'ils font fausse route tous les deux, que leurs visées comme
leurs stratégies de négociation ne sont pas, aux yeux des aspirations profondes
de nos peuples, une voie de grand rêve ou de réalisations fertiles pour le
Congo. Il n'y a dans leurs visions ni opportunité, ni limon, ni levier pour
pousser la nation vers la plus haute idée qu'elle devrait avoir d'elle-même
dans sa philosophie de base. Ce n'est pas dans la violence, dans la guerre ou
dans des débats qui masquent la violence et la guerre qu'on construit un grand
destin pour un peuple.
Le gouvernement congolais devrait le savoir : il n'est
en lui-même le modèle ni de la bonne gouvernance, ni du sérieux politique, ni
de l'excellence éthique, ni de la volonté de grandeur pour le pays. Il faut
qu'il lutte d'abord vigoureusement contre ces pathologies qui le minent avant
d'imaginer devenir le parangon efficace dans le dialogue avec la rébellion et
dans toute forme de concertation entre congolais pour la paix.
La rébellion devrait à son tour savoir ceci : elle
n'est le modèle ni de la liberté créatrice, ni d'une grande vision du Congo à
bâtir, ni de la force d'invention de l'avenir, ni de la capacité mobilisatrice
au-delà du Kivu, ni de la capacité de séduire les grandes puissances mondiales
par un nouveau pouvoir d'action transformatrice au service du Congo. Il faut
lutter fortement contre ces faiblesses en vue de présenter un visage crédible
dans les négociations avec le gouvernement et dans toute forme de dialogue
entre forces vives de la nation.
A Kampala, il a manqué au gouvernement et au M23 une
profonde conscience de la " metanoia " d'eux-mêmes, susceptible de
les engager dans des pourparlers fertiles. Cela a donné lieu à des blocages
dont l'échec du dialogue donne maintenant l'image désastreuse du Congo et de
ses forces politiques.
Tout est-il fini ? Non. Je connais dans la rébellion
des hommes et des femmes qui portent en eux l'idéal d'une bonne politique et
qui croient en un Congo d'avenir. Ils s'attelleront sans doute à tirer toutes
les leçons nécessaires de l'échec des négociations de Kampala pour hisser le
M23 vers le haut, dans une dynamique de nouveaux rêves et de nouvelles
ambitions pour la nation, loin des turpitudes que la guerre a partout semées
dans les esprits, dans les consciences et dans les corps des citoyens et des
citoyennes.
De même, il y a dans le camp gouvernemental des hommes
et des femmes qui ont foi dans le génie congolais et qui veulent que la nation
change en bien, devienne forte et soit guidée par de nouvelles forces
émergences, de nouvelles dynamiques de gouvernance et de nouvelles ambitions
créatives. Eux aussi travailleront sans doute à conduite le pays vers le sommet
de toutes ses possibilités.
L'espoir est dans les mains de ces Congolaises et Congolais
qui s'engageront un jour dans un dialogue entre les personnes porteuses
d'espérances et d'énergies de transformation sociale, des consciences vives et
ardentes, décidées à faire de la RDC une communauté de destinée réussie.
Casser la logique binaire, maîtriser la complexité
congolaise
Si je me tourne vers l'horizon du dialogue qui
engagerait toutes les forces du changement et de l'invention d'un nouveau
Congo, c'est parce que l'analyse des pourparlers entre le gouvernement et le
M23 révèle que ces négociations ont êté plombées du fait d'avoir été un
processus binaire dans un contexte où la guerre est d'une extrême complexité
dans ses logiques et dans ses enjeux. Alors que les groupes armés naissent et
pullulent en abondance dans un territoire dont le gouvernement ne contrôle en
fait que les grandes villes, le tropisme sur le M23 a fait croire qu'il
suffisait de signer un accord de paix avec ce mouvement pour que la paix règne
au Congo. On n'a pas vu que le territoire entre les mains du M23 n'est que l'arbre
qui cache l'immense forêt de la guerre en RDC, avec des crimes, des massacres,
des viols commis par d'innombrables milices, dans une mosaïque d'incohérences
meurtrières dont les noms des groupes armés incarnent toutes les horreurs :
Mai-Mai Shetani, Raia Mutombokii, FDLR, FNL, ADF-NALU, M26, Nyatura, etc). On a
oublié qu'il est possible que d'autres groupes militaires naissent encore et
pullulent encore dans des divers endroits, selon des agendas que le
gouvernement ne contrôle pas. Même comme on pense et on affirme allègrement que
la force interafricaine fournie par la CIRGL et intégrée à la Monusco
éradiquera les forces négatives, on a tendance à oublier qu'une guerre aux
visages et aux enjeux aussi complexes peut changer de visage, qu'elle peut passer
de l'actuelle configuration meurtrière dans le monde rural pour devenir une
guérilla urbaine ou un terrorisme disséminé partout, même dans une ville comme
Kinshasa dont le chaos humain peut nourrir beaucoup d'attentats intelligemment
ciblés. Faudra-t-il alors chercher plus de forces étrangères encore et faire du
Congo un immense champ de guerre, alors qu'il est beaucoup plus sûr de
s'attaquer aux questions de gouvernance, de démocratie et de modes de gestion
de la nation ? Cela dans un dialogue de fond pour mettre sur pied des
institutions solides et fiables capables de garantir la paix aux populations et
de les mettre au travail de construction du futur du pays.
A mon sens, le vrai horizon pour réussir la paix au
Congo, ce n'est pas de donner au gouvernement des armées étrangères en
abondance pour intensifier la logique de la violence, même légale, mais d'aider
le peuple congolais à réfléchir à fond sur ses problèmes dans un dialogue
sérieux et serein de toutes ses forces vives, dans le cadre des institutions
fiables, avec des dirigeants fiables, dans une gouvernance fiable au sein d'un
Etat fiable.
Tant que l'on n'aura pas compris cela, au Congo ou
dans les organisations internationales, on ne fera que maintenir le pays dans
les impasses de la situation néocoloniale et de ses rages destructrices,
surtout quand l'enjeu est la conquête et la mise en coupe réglée d'un
territoire aux ressources immenses.
Pour tout dire : la solution au problème de la RDC
n'est pas militaire, elle est dans l'éthique du leadership et dans la
responsabilité des populations congolaises à trouver encore des raisons d'être
et de vivre ensemble. Cela devrait être le cœur du nouveau dialogue
inter-congolais, au-delà de l'échec des pourparlers entre le gouvernement et le
M23.
La profondeur de l'analyse de la complexe situation politique dans laquelle s'enlise la RDC en proie à l'amateurisme gouvernemental face à une série de rébellions qui n'arrêtent de naître de leur cendres attestent de l'amour de Kä Mana pour la paix dans son pays et la création d'un espace favorable au développement durable. Il échappe à l'auteur pourtant de mettre en relief les principes de la bonne gouvernement et les mécanismes fonctionnels de la démocratie moderne. Les ressorts à l'origine de la reviviscence sans discontinuité des rébellions sont passés sous silence, la complicité des intérêts étrangers tapis derrière la force de M23 ignorés, la capacité des organismes internationaux de résolution des conflits mis sous le boisseau. La RDC est signataire d'accords internationaux qui engagent les Nations Unies et les puissances membres. L'exemple de la récente intervention de la France au Mali est de nul impact sur la réflexion de l'auteur. Le problème de la RDC ne doit pas, pour sa résolution, n'être qu'une affaire des Congolais quand les structures gouvernementales de la RDC ont été, comme le monde le sait, réduites, à cause de l'entropie post-coloniale, réduites à une quasi complète léthargie.
RépondreSupprimer