Par Kä Mana
A l’heure actuelle où les
perspectives pour la paix dans l’est de la RDC s’ouvrent de manière crédible
grâce à l’engagement de plus en plus ferme des Nations Unies pour une solution
durable à la crise et à la tragédie
congolaises, il est frappant de voir qu’à l’intérieur même de notre pays, les
forces en guerre ne saisissent pas les opportunités qui s’offrent à elles pour
assumer leurs responsabilités dans la construction d’un ordre de sécurité solide et porteur de progrès
décisifs. Un étrange aveuglement et un sidérant manque du sens de la
perspective pour le développement pacifique de la nation caractérisent
aujourd’hui leur discours et risquent de plomber toutes les possibilités pour
le Congo de devenir un pays conscient des enjeux de son présent et de son
avenir.
Un
étrange aveuglement
Le gouvernement congolais ne semble
pas voir ce que voit la communauté internationale en ce moment précis de
l’évolution des rapports de forces dans la guerre de l’est du pays. Il est
convaincu que la neutralisation des groupes armés par une brigade
interafricaine dans un processus de transformation de la Monusco en puissance
militaire d’attaque lui donne des ailes pour un triomphalisme de délire. En
réalité, il s’agit d’un appui à des possibilités nouvelles pour faire avancer
des négociations inter-congolaises sérieuses, fondées sur un profond sens de
responsabilité politique et de passion pour le renouveau, l’essor et
l’émergence de la nation. Au moment où les équilibres de puissance jouent en sa
faveur et lui donnent l’opportunité de discuter avec un mouvement comme le M23
sur base d’une volonté de paix clairement affichée pour sortir le Congo de la
crise, le gouvernement joue la montre aux pourparlers de Kampala en attendant
que l’armée interafricaine arrive sur le terrain. Il ne perçoit pas ce que
l’arrivée de cette force signifie en termes de perte de souveraineté et de mise
sous tutelle politique d’un Etat qui ne pourra plus assumer ses fonctions
régaliennes et se trouvera condamné à une paix de vassaux ou d’esclaves
incapables de penser et de vivre leur existence en termes de liberté et de
capacité de décision autonome. Aujourd’hui même, partout où l’on analyse la
politique et la gouvernances congolaises, tout le monde voit dans notre Etat
congolais l’exemple extrême d’un Etat fantôme qui peine à revenir parmi les
vivants. Faudra-t-il qu’à cela s’ajoute un destin de zombi errant qui travaille
pour des Maîtres qui se sont emparés de son âme pour l’éternité ?
Du côté du M23, le discours qui consiste
à accabler le gouvernent de toutes les turpitudes sur les blocages des
négociations de Kampala et d’accuser les Nations Unies de vouloir la guerre au
Congo est un aveuglement incompréhensible. Même l’arrogance qui laisse croire
que les troupes de la rébellion sont capables de mener une guerre victorieuse
contre l’armée interafricaine soutenue par la Monusco est un leurre dangereux
et une illusion funeste : un bluff rhétorique inutile. Au lieu de jouer à
rouler les mécaniques pour une guerre que le M23 ne peut pas gagner, il serait
clairvoyant pour le mouvement rebelle de tout faire pour éviter l’affrontement
dont je suis convaincu qu’il n’est ni souhaité ni attendu par la communauté
international. Mobutu roula les mécaniques lorsque un certain Richardson lui
expliqua que les Etats-Unis souhaitaient son départ du pouvoir et ne
souhaitaient voir son cadavre trainaient dans la poussière par des foules
enragées. Il ne comprit pas et s’aveugla sur ses propres capacités de puissance.
Nous savons tous ce qui advint. Son ami Savimbi a subi le même sort, trahi par
les Américains, abattu comme un chien par l’armée angolaise et exposé en plein
soleil comme une bête de foire. A moins qu’ils ne se soient déjà vêtus de l’étoffe des martyrs et qu’ils aspirent à
rester dans l’imaginaire africain comme des victimes expiatoires dont raffole
l’Occident, Bissimwa et Makenga, qui sont aujourd’hui à la tête du M23, ne
peuvent pas ne pas avoir dans leur esprit ces exemples macabres qui donneraient
à réfléchir à tout dirigeant africain aux prises avec les ambitions et les
intérêts des Maîtres du monde. Ils ont
mieux à faire pour le pays : imaginer et proposer une paix durable et
fertile pour la nation et la terre congolaises.
Il est aussi étonnant de voir à quel
point les forces dites négatives, qui constituent des poches et des faisceaux
d’insécurité partout dans l’est du pays, restent silencieuses face aux
bouleversements qui se préparent et s’enferment dans l’obsolescence des stratégies
ruineuses et insensées. Ces stratégies consistent à croire que la voie de la
guerre a encore un avenir et une consistance, alors que la seule voie de consistance
humaine et de chance pour l’avenir est de prendre l’initiative de recherche la
paix et la sécurité pour tous, après
toutes les folies effroyables que la nation a endurées. Vouloir persévérer dans
la voie des crimes et des dévastations au moment où la paix est à portée de
main dans des négociations globales est non seulement une erreur d’analyse et
d’aiguillage, mais surtout un cul-de-sac militaire et un suicide insensé. Il y
a eu un temps où les petites révoltes de brousse et le statut des potentats qui
massacrent, violent et détruisent tout sur leur passage tout en affirmant lutter
pour défendre les intérêts des groupes ethniques contre les envahisseurs
suscitait un certain intérêt médiatique et conférait une certaine aura de héros
aux yeux d’un certain public. Le vent de l’histoire a tourné et le crime est
maintenant considéré pour ce qu’il est : une violation des droits humains
fondamentaux, passible des peines prévus par la loi, à l’échelle nationale
comme à la Haye, symbole d’une justice au-delà des Etats. Taylor, Gbagbo,
bemba, Lubanga et Ntangana sont là pour rappeler à chaque congolais et à chaque
Africain cette épée e Damocl`s de la
nouvelle justice du monde global.
Plus étonnant encore : les forces de
l’intelligence et de la société civile ne semblent pas non plus voir dans
quelle direction va l’histoire. Nombreux en leur sein enfourchent le cheval du
pouvoir gouvernemental au moment où le vrai danger est celui de la mise sous
tutelle du pays dans une paix de valets et d’esclaves. D’autres ont choisi de
ne pas faire de vagues et d’attendre que l’histoire se fasse d’elle-même, sans
aucune action d’envergure pour fasse pencher la balance de la réalité dans le
sens d’une paix qui ne détruise ni notre liberté comme citoyens congolais
responsables, ni notre souveraineté en tant que nation crédible parmi les nations, ni notre pouvoir
créateur en tant que peuple doté d’une force intérieure véritablement
indomptable.
Quant à la majorité des populations congolaises,
elle est entrée dans une logique de lassitude face à la guerre dans l’est du
pays, sans voir qu’une telle attitude l’aveugle sur ses capacités de pression
face aux autorités politiques et sur ses propres problèmes de développement que
la guerre empêche de résoudre. En même temps, cette majorité s’enferme dans les
slogans guerriers dont les medias idéologiquement conditionnés l’inondent, sans
voir que la guerre n’a plus d’avenir et que le pays a le devoir de se
construire sur des défis que seule la paix permet de relever : le défi de
la prospérité, le défi du progrès, le défi d intégration régionale et le défi
du rayonnement mondial de la nation. Dans un tel contexte, les populations
perdent de vue qu’elles sont elles mêmes les forces de paix et qu’elles sont
partie intégrante de la solution au problème du pays, à travers une multitude d’initiatives
possible à lancer et d’engagements innombrables à prendre pour changer l’ordre
des choses.
Un
sidérant manque du sens des perspectives pour l’avenir
L’aveuglement dont je viens de mettre les dimensions en lumière se double d’une absence sidérante du sens de la perspective pour la paix dans notre pays. Conditionné par la guerre dans ses aberrations et dans les justifications fallacieuses ou spécieuses que l’on en donne, il ne permet pas de prendre sérieusement en compte les facteurs qui ont conduit l’est de la RDC à s’enliser dans une tragédie indicible depuis le génocide des Tutsi au Rwanda ni de comprendre que c’est en agissant sur ces facteurs de manière décisive que les perspectives pour la paix peuvent sérieusement s’ouvrir en dessinant avec ardeur une nouvelle configuration de l’être pour l’essor, le renouveau et l’émergence du pays.
Les facteurs politiques sont sans doute
les plus visibles depuis la fin calamiteuse et chaotique du règne de Mobutu
Sese Seko jusqu’aux tangages actuels de la Troisième République entre vertiges,
turbulences, folies, fureurs et périodes de calme relatif et d’espoirs toujours
relancés. Tout au long de ces temps d’incertitudes et d’illusions, la politique
en RDC ne se joue ni ne se décide sur un projet national de fond, au nom duquel
on se positionnerait en vue d’être avec le pouvoir en place, contre lui ou
au-delà des vicissitudes qui rythment son existence au jour le jour. Elle se
joue et se décide en fonction des enjeux de ventre, de jouissance et de survie.
Ceux-ci ont fait du champ politique chez nous un espace d’irresponsabilité
chronique, une aire sans ambition supérieure dans le concert des peuples et des
nations. C’est ce manque de perspective de grandeur et de puissance qui est au
fond du problème congolais et qui rend notre pays fragile et fragilisable à
merci, pour ainsi dire. On ne peut réagir avec fécondité à un tel problème de
fond que par un énergique projet national de renouveau, d’essor et d’émergence
du pays. Dans un dialogue franc de concorde nationale. Autour d’une question
politique qui me paraît capitale : que nous faut-il faire pour que la politique,
dans la vision qui la porte, dans les institutions qui l’incarnent et dans les
valeurs qu’elles devraient promouvoir, soit à la hauteur des grands enjeux
d’avenir ? C’est-à-dire : les enjeux de la construction d’un pays qui
compte dans le monde et sur lequel le monde peut compter aujourd’hui et dans les siècles qui viennent.
Seule une telle perspective politique donnerait une chance et un sens à la paix
à l’intérieur de nos frontières. Nous avons ignoré cette vérité fondamentale
depuis notre indépendance au Congo. Nous en avons payé le prix le plus
cruel : une guerre de plus six millions de morts, selon les estimations
les plus basses ; de dix millions, selon les estimations les plus hautes.
La perspective politique à long terme, que
je considère comme décisive pour notre nation, conditionne la réussite des
enjeux économiques de l’avenir congolais. Avec ses indices désastreux du
développement humain et l’absence de maîtrise des rênes de son économie dans
l’ordre mondial actuel, le Congo a besoin d’une refondation énergique de son
sens des batailles économiques de notre temps. On ne peut pas subir autant le
joug d’un ordre économique mondial féroce, n’avoir aucune prise sur les
réalités financières de la planète et prétendre en même temps que l’on va être
un pays de paix durable, surtout quand ce pays est un gigantesque répertoire
des trésors stratégiques dont il ignore lui-même la valeur et qu’il ne sait
même pas mettre en valeur pour son propre enrichissement et sa sortie de
l’engrenage de la misère et de la pauvreté. Ce qui manque à la RDC et qu’il
faut impérativement construire aujourd’hui, c’est une puissance économique de
première grandeur, avec des grands
théoriciens de l’économie, des grands industriels et patrons d’entreprises,
dans un dynamisme créateur populaire animé par un Etat ambitieux et décidé à
mettre ses énergies pour la conquête du marché mondial par les forces
économico-financières congolaises, dûment armées pour cette tâche. Seule une
telle mise en perspective de l’intelligence économique congolaise peut être la
vraie garantie pour la paix dans notre pays. Pour avoir été insensibles à cette
vérité fondamentale, nous sommes devenus la proie des ombres prédatrices qui
veulent conquérir économiquement notre territoire et mettre en coupe réglée
tout notre pays pour le mettre à leur profit exclusif, « centimètre par
centimètre », pour reprendre la célèbre expression du président de la République.
Ces
considérations sur la force économique d’une nation me conduisent à insister
sur les facteurs culturels de la paix en RD Congo. Plus exactement, elles
mettent en lumière le fait que la paix est une culture. C’est-à-dire : une
ensemble dynamique de modes de pensée, de manière d’être et des habitus mentaux
forgés dans l’incandescence des rêves, d’utopies et d’espérances vives. Au
Congo, les problèmes quotidiens des populations sont tels que la violence, sous
une multitude de formes cruelles et de modulations macabres, est devenue un
mode de vie dans la culture dominante. Depuis les Kuluna, ces jeunes qui
insécurisent et terrorisent les populations dans une ville comme Kinshasa
jusqu’aux groupes armés, milices et forces militaires qui tuent, pillent,
violent et anéantissent tout sans état d’âme comme dans certains territoires dans l’est du
pays, en passant par les agressions des citoyens par des bandes de bandits sans
fois ni loi, c’est dans la violence et par la violence que se structure la
culture au quotidien. C’est en elle et par elle que la guerre est devenue un
phénomène mental et un cadre de vie pour les populations dans le Kivu. Avec la
perspective de la voir embraser, si rien n’est fait, l’ensemble du pays, comme
on le voit déjà dans les prémisses que sont les Maï-Maï de Ba Kata,Katanga dans
leurs revendications indépendantistes. L’est de la RDC, avec ses identités
meurtrières, ses carnages, ses viols de masse, ses crimes contre l’humanité et
ses inimaginables explosions de barbaries est une réalité féroce dont l’onde de
choc est susceptible d’atteindre n’importe quel coin de notre pays. Il n’y a
pas d’avenir de paix possible sans une dynamique nationale de pensée et
d’action sérieusement construite pour endiguer ce phénomène de fond, à travers
des configurations d’imaginaire et des structures institutionnelles
d’engagement contre les dérives mentales meurtrières. Pour n’avoir pas pris en
compte cette vérité fondamentale dans notre pays, nous avons fait du Congo un
brasier. Il est temps d’en faire ce qu’il peut être vraiment : l’eldorado
africain, par la force d’un imaginaire de paix et de créativité.
Quand on a fait de la préoccupation de
construire un imaginaire de paix et de créativité une priorité d’avenir, les
facteurs militaires de la sécurité et de la défense de la nation prennent une
signification vitale. L’armée devient un facteur et un instrument de paix et
non une mécanique de terreur pour les populations. Elle se constitue en armée
pour la paix et non en monstre de plomb pour la guerre. Sous cet angle, qu’on
la considère selon le principe de dissuasion face aux menaces extérieures ou selon le principe de garantie de sécurité à
l’intérieur des frontières, son rôle sera celui d’une présence d’anticipation
des conflits, celui de socle d’épanouissement d’une citoyenneté responsable
dans un esprit de patriotisme ouvert et éclairé. Il sera cela et non pas une puissance
brute ou une mécanique aveugle de terreur et d’anéantissement. Avec une telle
armée, c’est le peuple lui-même qui devient une instance de paix dans un ordre
démocratique capable de décourager toute velléité d’agression extérieure, d’où
qu’elle vienne et dans quel que domaine qu’elle se manifeste : politique,
économique, culturel ou militaire. On peut alors voir dans les forces armées
des instruments pour « construire des relations pacifiquement
stables » avec les voisins, selon une expression que j’emprunte à Eric Sottas.
Pour n’avoir pas compris cette vérité fondamentale sur le sens de l’armée, nous
avons subi au Congo des défaites qui nous ont humiliés devant les armées
étrangères ou devant des groupes de rebelles pourtant moins nombreux et moins équipés
que nos propres bataillons. Il faut que plus jamais cela ne nous arrive.
Vers
de grands horizons
Aujourd’hui, au gouvernement comme au M23, aux milices d’autodéfense comme aux forces dites négatives, selon le vocabulaire convenu, il faut assener ces vérités comme des coups éthiques qui réveillent les consciences, en vue de sursauts salutaires et de ruptures décisives, pour aller vers de nouveaux et vastes horizons, vers d’amples dynamiques d’espoirs qui brisent les reins de la guerre comme volonté et comme représentation, selon la belle expression de Schopenhauer. Ces horizons sont ceux du renouveau, de l’essor et de l’émergence du Congo comme nation de grandeur politique, économique et culturelle, dans une vision géostratégique d’une puissance militaire au service de la paix. Je rêve pour la nation cette destinée qu’elle doit incarner, envers et contre tout.
En RDC actuellement, je sais que nous
sommes nombreux à porter ce rêve salutaire. C’est le commencement d’une
nouvelle destinée.
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