Pole Institute en action
La semaine
universitaire de Goma
Un
cadre éducatif pour changer la société
Du 17 au 23 mai 2014, Pole Institute
et l’Institut supérieur catholique de Goma ont organisé une semaine
universitaire de réflexion sur le thème : « Révoltes constructrices et mythes porteurs de changement
sociopolitique en République Démocratique du Congo. » Cette semaine
s’inscrit dans le cadre du lancement de la coopération entre les deux instituts
en matière de formation au leadership et d’éducation aux valeurs citoyennes
face à la crise de l’Etat, à la léthargie des institutions publiques et à l’effondrement de l’éthique civique au
Congo.
Pour donner aux jeunes universitaires
l’idée de la lutte contre cette situation de fait et sur les stratégies à
mettre en œuvre pour la changer de fond en comble, Pole Institute travaille
depuis un temps sur le concept de révoltes
constructrices comme force d’éveil citoyen pour les générations montantes et sur l’urgence de penser des mythes porteurs de changements fertiles en
RDC. La semaine universitaire était destinée à faire comprendre aux jeunes
le contenu, le sens et la dynamique de ces concepts afin d’en saisir les
impératifs d’action, d’en incarner concrètement le souffle par des initiatives
visibles et d’en reprendre de manière créative l’ambition et les espérances au
sein des institutions de formation supérieure.
63 jeunes venus de l’Institut
Supérieur catholique (Issa), de l’Université libre des Pays des Grands Lacs
(ULPGL) et de l’Institut Supérieur Technique des arts et du Développement
(ISTAD) ont activement participé à cette semaine de formation.
La question des mythes porteurs
Les deux premiers jours ont été
consacrés à l’introduction aux mythes comme forces motrices de l’esprit humain.
Il s’agissait de réfléchir sur une réalité : depuis les vieilles
civilisations de la Mésopotamie, de l’Egypte pharaonique et de la Grèce antique
jusqu’à nos jours, les hommes inventent des récits qui peuplent leur vie
quotidienne sous formes de contes, légendes, fables, paraboles, fabliaux ou
romans. Parmi ces récits, les mythes occupent une place centrale comme
explication des origines du monde, de la marche de l’histoire et du sens de la
vie. A quoi peuvent servir ces vieux récits aujourd’hui ? Pourquoi y faire recours alors que nous
vivons dans un monde où les événements qu’ils évoquent sont perdus dans la nuit
des temps ?
Pour répondre à cette question, deux
mythes ont été proposés aux jeunes dans un effort de compréhension et d’analyse
pour notre temps : le mythe d’Œdipe
dans la Grèce antique, et le mythe d’Isis et Osiris dan l’Egypte
ancienne.
Deux mythes connus
Les deux histoires sont connues.
Enfant abandonné et fils adopté du Roi
Polype de Thèbes, Œdipe n’échappe pas au
diktat que le destin lui avait prescrit : il tue son père et épouse sa
mère. Cela amène sur Thèbes, dont il est devenu Roi, souffrances sur souffrances,
calaminés sur calamités, ruines sur ruines. Quand il découvre qu’il est, par
les actes qu’il a commis, responsable des malheurs de sa société, Œdipe se
crève les yeux, quitte le pouvoir et se retire loin de sa société. Quant à
Osiris, il est le modèle d’une gouvernance de prospérité et de bonheur. Mais il
est tué par son frère dont l’exercice dictatorial du pouvoir ruine le pays. Ce
frère, Seth sera vaincu par le fils d’Osiris, Horus, grâce à la puissance
créatrice d’Isis, sa mère. Le pays sera ainsi pacifié de nouveau, la prospérité
sera retrouvée et le bonheur partagé par
tous.
Plongeant dans ces histoires à partir
de la situation actuelle du Congo, les participants à la semaine universitaire
ont saisi d’emblée la dimension éducative des mythes antiques :
-
la
dimension de production des valeurs éthiques pour fonder
l’être-ensemble (le bien et le mal);
-
la
dimension de révélation des logiques sociales de base (le permis et
l’interdit) ;
-
la
dimension d’impulsion d’énergies créatrices pour construire la personnalité
sociale et l’identité collective (les héros-modèles et les contre-modèles) ;
-
la
dimension d’ouverture des possibilités nouvelles grâce au pouvoir que chaque
mythe donne à ceux qui l’écoute de devenir un créateur d’avenir et de résoudre
les problèmes auxquels la société est confronté ici et maintenant.
Saisir ainsi les mythes anciens
conduit à se demander quels problèmes contemporains ces récits nous permettent
de penser et de résoudre et quels mythes nous devons nous-mêmes inventer pour
les générations futures
Trois faisceaux des problèmes ont été
identifiés :
-
Le faisceau de la critique politique. Beaucoup de leaders responsables du
désastre du continent africain gagnerait à méditer le mythe d’Oedipe pour « se
crever les yeux » devant leur bilan et faire le choix de céder le pouvoir
à des successeurs plus responsables. Dans le mythe d’Isis et d’Osiris, le
pouvoir se légitime par la capacité de créer un ordre de prospérité et du
bonheur partagé. Quand on s’éloigne de cette ligne d’action, il faut qu’émergent
des forces de révolte pour casser les ressorts de la dictature et fonder un
ordre nouveau.
-
Le faisceau de l’éducation éthique de la jeunesse, pour la production,
la création et la construction d’un imaginaire du refus des antivaleurs et de
la promotion d’une société de responsabilité et de prospérité. Les modèles
mythiques comme Osiris et son fils Horus sont des énergies pour fertiliser la
conscience éthique de la jeunesse.
-
Le faisceau d’invention d’utopies et
d’espérances d’une autre Afrique possible. Le mythe d’Œdipe et le mythe d’Isis et Osiris sont des
récits pour faire rêver les esprits et les engager dans la bataille des
changements en profondeur.
Avec ces faisceaux d’actualisation,
on comprend ce que signifient les révoltes constructrices dont les générations
africaines montantes devraient faire le cœur de leurs stratégies pour changer
la société : refuser l’ordre de destruction de l’Afrique par les Africains
et les pouvoirs de démolition de l’avenir du continent par des pouvoirs
incultes ; s’indigner devant l’inacceptable dans tous les domaines et
s’engager de manière pacifique dans des initiatives de changement
créatif ; rêver d’un avenir de grandeur et d’émergence d’une nouvelle
Afrique dans l’ordre mondial et agir en conséquence.
Un domaine a
été choisi pour montrer en quoi peut consister les révoltes constructrices
aujourd’hui : le genre comme construction d’un nouvel ordre social.
On l’a considéré d’abord comme lieu
des dynamiques de domination dont les femmes sont victimes dans l’Afrique
actuelle, à travers les coutumes rétrogrades des atavismes culturels mal
digérées, des traditions coloniales centrées sur des hiérarchies implacables et
d’une mauvaise lecture des livres sacrés dont on se sert pour dominer les femmes,
les inférioriser et les marginaliser. Il faut s’indigner et se révolter contre
cela pour qu’une nouvelle société émerge, autour des valeurs de respect, de
collaboration, d’équité et de bonheur partagé. Cela demande des initiatives
concrètes prises par des hommes et des femmes pour un mode nouveau d’être
ensemble et de vivre ensemble dans une société de paix.
Selon cette perspective, les révoltes
constructrices sous le signe du genre concernent toutes les inégalités, toutes
les injustices, toutes les discriminations et tous les ostracismes dans la
société. Les jeunes devront s’indigner face à tout cela et s’engager à
constituer des groupes d’action pour l’émergence d’une nouvelle société. Leurs
révoltes deviendront ainsi des énergies constructrices dans les domaines
politiques, économiques et politiques.
Dans les débats sur les mythes
porteurs de changement et les révoltes constructrices, l’attention des jeunes
s’est concentrée sur l’horizon des responsabilités qui s’ouvre à eux et sur les
décisions qu’ils doivent prendre maintenant dans la perspective du changement
en RDC.
Quelques affirmations des jeunes,
parmi les plus fortes de la semaine universitaire :
-
« Je
sais maintenant ce que je dois faire : entrer dans la politique du
changement ».
-
« Beaucoup
des choses m’indignent, mais je ne savais pas que l’indignation doit conduire à
une révolte constructrice ».
-
« Je
crois maintenant aux mythes que sont les personnalités africaines :
Lumumba, Sankara ou Mandela. Je vois à quoi ils servent ».
-
« Ma
révolte constructrice, c’est la révolution agricole. C’est là désormais mon cheval de bataille avec les jeunes qui
seront avec moi ».
-
« Les
mythes servent à éduquer les leaders pour le changement. »
-
« Monsieur,
on fait comment pour devenir un mythe ».
Prochaine session :
Le Mythe africain de Kaïdara et le mythe grec de Dédale et Icare. Quelles
valeurs sociales exaltent-ils ? Quelles logiques sociales
révèlent-ils ? Quelles impulsions donnent-ils à l’être humain et aux
sociétés ? Quelles utopies proposent-ils ? A quelles révoltes
constructrices nous engagent-ils ?
Solange Gasanganirwa et
Kä Mana
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