mercredi 18 juin 2014

SEMAINE UNIVERSITAIRE DE GOMA : Mythes porteurs de vie et Révoltes constructrices




Pole Institute en action

La semaine universitaire de Goma


 Un cadre éducatif pour changer la société

Du 17 au 23 mai 2014, Pole Institute et l’Institut supérieur catholique de Goma ont organisé une semaine universitaire de réflexion sur le thème : « Révoltes constructrices et mythes porteurs de changement sociopolitique en République Démocratique du Congo. » Cette semaine s’inscrit dans le cadre du lancement de la coopération entre les deux instituts en matière de formation au leadership et d’éducation aux valeurs citoyennes face à la crise de l’Etat, à la léthargie des institutions publiques  et à l’effondrement de l’éthique civique au Congo.
Pour donner aux jeunes universitaires l’idée de la lutte contre cette situation de fait et sur les stratégies à mettre en œuvre pour la changer de fond en comble, Pole Institute travaille depuis un temps sur le concept de révoltes constructrices comme force d’éveil citoyen pour les générations montantes  et sur l’urgence de penser des mythes porteurs de changements fertiles en RDC. La semaine universitaire était destinée à faire comprendre aux jeunes le contenu, le sens et la dynamique de ces concepts afin d’en saisir les impératifs d’action, d’en incarner concrètement le souffle par des initiatives visibles et d’en reprendre de manière créative l’ambition et les espérances au sein des institutions de formation supérieure.
63 jeunes venus de l’Institut Supérieur catholique (Issa), de l’Université libre des Pays des Grands Lacs (ULPGL) et de l’Institut Supérieur Technique des arts et du Développement (ISTAD) ont activement participé à cette semaine de formation.

La question des mythes porteurs
Les deux premiers jours ont été consacrés à l’introduction aux mythes comme forces motrices de l’esprit humain. Il s’agissait de réfléchir sur une réalité : depuis les vieilles civilisations de la Mésopotamie, de l’Egypte pharaonique et de la Grèce antique jusqu’à nos jours, les hommes inventent des récits qui peuplent leur vie quotidienne sous formes de contes, légendes, fables, paraboles, fabliaux ou romans. Parmi ces récits, les mythes occupent une place centrale comme explication des origines du monde, de la marche de l’histoire et du sens de la vie. A quoi peuvent servir ces vieux récits aujourd’hui ?  Pourquoi y faire recours alors que nous vivons dans un monde où les événements qu’ils évoquent sont perdus dans la nuit des temps ?
Pour répondre à cette question, deux mythes ont été proposés aux jeunes dans un effort de compréhension et d’analyse pour notre temps : le mythe d’Œdipe dans la Grèce antique, et  le mythe d’Isis et Osiris dan l’Egypte ancienne.

Deux mythes connus
Les deux histoires sont connues. Enfant abandonné et fils  adopté du Roi Polype  de Thèbes, Œdipe n’échappe pas au diktat que le destin lui avait prescrit : il tue son père et épouse sa mère. Cela amène sur Thèbes, dont il est devenu Roi, souffrances sur souffrances, calaminés sur calamités, ruines sur ruines. Quand il découvre qu’il est, par les actes qu’il a commis, responsable des malheurs de sa société, Œdipe se crève les yeux, quitte le pouvoir et se retire loin de sa société. Quant à Osiris, il est le modèle d’une gouvernance de prospérité et de bonheur. Mais il est tué par son frère dont l’exercice dictatorial du pouvoir ruine le pays. Ce frère, Seth sera vaincu par le fils d’Osiris, Horus, grâce à la puissance créatrice d’Isis, sa mère. Le pays sera ainsi pacifié de nouveau, la prospérité sera retrouvée et le bonheur  partagé par tous. 
Plongeant dans ces histoires à partir de la situation actuelle du Congo, les participants à la semaine universitaire ont saisi d’emblée la dimension éducative des mythes antiques :
-          la dimension de production des valeurs éthiques pour fonder l’être-ensemble (le bien et le mal);
-          la dimension de révélation des logiques sociales de base (le permis et l’interdit) ;
-          la dimension d’impulsion d’énergies créatrices pour construire la personnalité sociale et l’identité collective (les héros-modèles et les contre-modèles) ;
-          la dimension d’ouverture des possibilités nouvelles grâce au pouvoir que chaque mythe donne à ceux qui l’écoute de devenir un créateur d’avenir et de résoudre les problèmes auxquels la société est confronté ici et maintenant.
Saisir ainsi les mythes anciens conduit à se demander quels problèmes contemporains ces récits nous permettent de penser et de résoudre et quels mythes nous devons nous-mêmes inventer pour les générations futures
Trois faisceaux des problèmes ont été identifiés :
-          Le faisceau de la critique politique. Beaucoup de leaders responsables du désastre du continent africain gagnerait à méditer le mythe d’Oedipe pour « se crever les yeux » devant leur bilan et faire le choix de céder le pouvoir à des successeurs plus responsables. Dans le mythe d’Isis et d’Osiris, le pouvoir se légitime par la capacité de créer un ordre de prospérité et du bonheur partagé. Quand on s’éloigne de cette ligne d’action, il faut qu’émergent des forces de révolte pour casser les ressorts de la dictature et fonder un ordre nouveau.
-          Le faisceau de l’éducation éthique de la jeunesse, pour la production, la création et la construction d’un imaginaire du refus des antivaleurs et de la promotion d’une société de responsabilité et de prospérité. Les modèles mythiques comme Osiris et son fils Horus sont des énergies pour fertiliser la conscience éthique de la jeunesse.
-          Le faisceau d’invention d’utopies et d’espérances d’une autre Afrique possible. Le mythe d’Œdipe et le mythe d’Isis et Osiris sont des récits pour faire rêver les esprits et les engager dans la bataille des changements en profondeur.
            Avec ces faisceaux d’actualisation, on comprend ce que signifient les révoltes constructrices dont les générations africaines montantes devraient faire le cœur de leurs stratégies pour changer la société : refuser l’ordre de destruction de l’Afrique par les Africains et les pouvoirs de démolition de l’avenir du continent par des pouvoirs incultes ; s’indigner devant l’inacceptable dans tous les domaines et s’engager de manière pacifique dans des initiatives de changement créatif ; rêver d’un avenir de grandeur et d’émergence d’une nouvelle Afrique dans l’ordre mondial et agir en conséquence.
            Un domaine a été choisi pour montrer en quoi peut consister les révoltes constructrices aujourd’hui : le genre comme construction d’un nouvel ordre social.
On l’a considéré d’abord comme lieu des dynamiques de domination dont les femmes sont victimes dans l’Afrique actuelle, à travers les coutumes rétrogrades des atavismes culturels mal digérées, des traditions coloniales centrées sur des hiérarchies implacables et d’une mauvaise lecture des livres sacrés dont on se sert pour dominer les femmes, les inférioriser et les marginaliser. Il faut s’indigner et se révolter contre cela pour qu’une nouvelle société émerge, autour des valeurs de respect, de collaboration, d’équité et de bonheur partagé. Cela demande des initiatives concrètes prises par des hommes et des femmes pour un mode nouveau d’être ensemble et de vivre ensemble dans une société de paix.
Selon cette perspective, les révoltes constructrices sous le signe du genre concernent toutes les inégalités, toutes les injustices, toutes les discriminations et tous les ostracismes dans la société. Les jeunes devront s’indigner face à tout cela et s’engager à constituer des groupes d’action pour l’émergence d’une nouvelle société. Leurs révoltes deviendront ainsi des énergies constructrices dans les domaines politiques, économiques et politiques.
Dans les débats sur les mythes porteurs de changement et les révoltes constructrices, l’attention des jeunes s’est concentrée sur l’horizon des responsabilités qui s’ouvre à eux et sur les décisions qu’ils doivent prendre maintenant dans la perspective du changement en RDC.
Quelques affirmations des jeunes, parmi les plus fortes de la semaine universitaire :
-          « Je sais maintenant ce que je dois faire : entrer dans la politique du changement ».
-          « Beaucoup des choses m’indignent, mais je ne savais pas que l’indignation doit conduire à une révolte constructrice ».
-          « Je crois maintenant aux mythes que sont les personnalités africaines : Lumumba, Sankara ou Mandela. Je vois à quoi ils servent ».
-          « Ma révolte constructrice, c’est la révolution agricole. C’est là désormais  mon cheval de bataille avec les jeunes qui seront avec moi ».
-          « Les mythes servent à éduquer les leaders pour le changement. »
-          « Monsieur, on fait comment pour devenir un mythe ».

Prochaine session : Le Mythe africain de Kaïdara et le mythe grec de Dédale et Icare. Quelles valeurs sociales exaltent-ils ? Quelles logiques sociales révèlent-ils ? Quelles impulsions donnent-ils à l’être humain et aux sociétés ? Quelles utopies proposent-ils ? A quelles révoltes constructrices nous engagent-ils ?

Solange Gasanganirwa et Kä Mana
  

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