lundi 14 janvier 2013

Pour une paix durable dans l’est de la République démocratique du Congo et dans la région des Grands Lacs. Conditions, orientations et facteurs déterminants


 Introduction

Nous nous proposons de réfléchir ici sur les conditions nécessaires, les orientations indispensables et les facteurs déterminants pour une paix durable dans l’est de la République démocratique du Congo et dans la région des Grands Lacs aujourd’hui. Les conditions, les orientations et les facteurs dont il s’agit sont constitués par ce que nous appelons les quatre verrous à faire sauter  pour que le Kivu devienne une société de paix heureuse et un espace de promotion humaine solide.
Le premier verrou est celui des tribalismes meurtriers dont il convient de bien saisir la dramatique réalité et le fonctionnement terrifiant pour pouvoir les combattre et les éradiquer non seulement dans le Kivu, mais sur l’ensemble du territoire congolais.
Le deuxième verrou est celui de nos relations avec le Rwanda et l’Ouganda, des pays avec lesquels les tensions et les conflagrations sont telles qu’il n’est pas possible d’imaginer une quelconque paix, une quelconque sécurité et une quelconque cohabitation harmonieuse sans transformer radicalement nos liens actuels de mort avec eux en liens de vie pour le peuple congolais, pour le peuple ougandais et pour le peuple rwandais.
Le troisième verrou est celui des étroitesses de vision et d’horizon des pays des Grands Lacs : leur incapacité à se donner une communauté de destinée sans laquelle le Congo ne serra jamais tranquille dans ses frontières héritées de la colonisation.
Le quatrième verrou est celui de la communauté internationale et de ses institutions qui traitent du problème de l’est du Congo et des moyens pour le résoudre.

Faire sauter le verrou des tribalismes meurtriers

Le phénomène qui caractérise le Kivu et que l’on retrouve dans beaucoup d’autres régions de notre pays, c’est le fait, orageusement massif, d’un tribalisme devenu meurtrier : une arme de destruction des esprits et de l’espace social tout entier. Avec des identités nuisibles qui sont revendiquées sans complexes et qui servent d’idéologie de haine et d’ostracisme. Ces identités sont portées et exhibées par des milices dressées pour tuer, des groupes armés terrifiants, qui sèment la mort en toute bonne conscience, banalisent les carnages et rêvent de voir certaines tribus disparaître purement et simplement de la carte de leur région, selon une implacable nécessité que l’on justifie par d’innombrables raisons, les unes toujours plus tonitruantes que les autres.
Nous devons nous poser la question de savoir comment nos identités sont devenues meurtrières et pourquoi leur logique de destruction s’est implantée dans les esprits de manière aussi profondément tragique.
Il y a des  tribalismes dans beaucoup de pays et dans beaucoup de régions du monde. Certains demeurent des luttes souterraines et larvées. D’autres grondent sans exploser. Certains, malheureusement implosent en terreurs sanglantes ou éclatent en logiques destructrices. Le Kivu est dans cette dernière catégorie et il serait intéressant de savoir comment et pourquoi.
Ce qui frappe tout chercheur qui se pose cette question, c’est la manière dont a fonctionné le tribalisme et les formes de plus en plus inquiétantes que la question ethnique a prises au point de faire du Kivu un cimetière à ciel ouvert et une aire de toutes les souffrances, de toutes les misères et de toutes les désespérances.

Tout ne s’est pas fait en un jour

L’exacerbation des identités tribales devenues aujourd’hui meurtrières ne se s’est pas faite en un jour. Il eut des temps de cohabitation et de coexistence entre communautés vivant au Kivu. Il eut aussi des temps des tensions et des conflits sur des enjeux fonciers et sur des conflits d’hégémonie sans conséquences dramatiques. C’était aux heures où le Congo était un Etat fort et où il était difficile aux forces centrifuges de le déstabiliser avec des revendications tribalistes sans déclencher, de la part du pouvoir central, une réaction vigoureuse et ferme, au nom de l’identité nationale.
On ne peut pas ne pas évoquer ici une période de notre pays où les gouverneurs de provinces devaient être automatiquement d’une autre région que celles qu’ils dirigeaient, où les investisseurs du Kivu pouvaient s’installer à Kinshasa ou au Katanga sans être inquiétés, où toute Congolaise et tout Congolais pouvaient s’installer où ils voulaient sans vivre la peur dans le ventre. Tout cela montrait à quel point la construction d’un Etat digne de ce nom pouvait casser les ressorts des ethnismes dangereux et pernicieux. Ressorts dont on avait déjà vu le fonctionnement à l’indépendance du pays, quand l’Etat était encore fragile et précaire. A cette époque-là, les Baluba furent chassés du Katanga et du Kasaï occidental, dans une logique meurtrière liée aux enjeux de pouvoir manipulés par les autorités coloniales. Lorsque l’Etat se consolida et que le pays eut une vraie colonne vertébrale politique et un cerveau solide pour assumer l’autorité de l’Etat, les velléités tribalistes diminuèrent et ses volcans entrèrent en période froide, en attendant le moment favorable pour entrer en ébullition.
Ce moment vint avec la crise du Zaïre et la lente agonie du régime de Mobutu Sese Seko. C’est au cours de cette lente agonie que l’affaiblissement de l’Etat, son effondrement et le vide qu’il a laissé dans nos sociétés donnèrent aux ethnismes pernicieux un nouveau champ d’essor. Le régime de Mobutu avait lui-même commencé à précipiter le pays dans cette logique lorsqu’il fit d’une armée complètement tribalisée l’un des piliers de sa pérennisation, à côte du pouvoir de l’argent et du règne de la terreur. A partir de cette période, un nouveau processus de réveil du volcan tribaliste débuta.
Le Congo des tribus unies dans le régime fort de Mobutu commença à se disloquer, à craquer de partout, dans des fracas macabres qui firent craindre la décomposition même du pays. Symbole de cette résurgence : les Baluba furent de nouveau persécutés au Katanga et chassés comme des animaux malades de la peste. Les Bakongo firent resurgir la nostalgie de leur grandeur passée, dans un messianisme politique et religieux renouvelé, dont le but ne faisait aucun mystère : avoir une place de choix dans l’espace congolais et exploiter les richesses locales au seul profit des autochtones. Le Katanga réaffirma sa volonté d’autonomie. C’étaient là des signes avant-coureurs d’une gangrène profonde dans une société sans vrai Etat.

Une pathologie des esprits et des consciences

C’est dans les esprits et dans les consciences que quelque chose de profond avait changé et qu’une réalité nouvelle naissait  de manière nuisible : les identités ethniques viraient vers des ethnismes criminels. Peu à peu, des hommes et des femmes s’installaient sereinement dans le tribalisme, mais celui-ci n’était plus seulement un ensemble d’attitudes ou de prétentions velléitaires, mais un milieu de vie, un système de mentalités, la base et le code de fonctionnement d’une société où la mort lente de l’Etat permettait la redistribution des cartes des enjeux politiques, économiques, financiers et géostratégiques. Ce n’est plus sur l’Etat dans son unité que se décidait l’avenir, mais sur les appartenances tribales et les identités ethniques aux intérêts destructeurs.
Dans ce nouvel état d’esprit, le Kivu redécouvrit, comme on dirait au Cameroun, le caillou qu’il avait dans sa chaussure depuis longtemps : la question tutsi et, plus globalement, la question des communautés banyarwanda sur le territoire du Congo. Exactement comme le Katanga avait le caillou dans sa chaussure, la question kasaïenne que l’on cherchait à régler par la violence et la chasse aux Baluba, le Kivu fut précipité dans la tentation de la même logique. Jusqu``a nos jours, cette question n’est pas réglée et elle a plongé la région dans la logique de la violence que nous connaissons encore sous forme des conflits meurtriers et des crimes sans nombre, sans fond, sans limites.

La question tutsi et le devoir de violence : symbole maléfique

Quand nous parlons ici de la question tutsi au Congo, nous pensons au problème que pose aujourd’hui aux Congolais et à leur imaginaire la présence des Tutsi sur le territoire du Congo. A quel titre y sont-ils ? Comme des Congolais à part entière ou comme des étrangers rwandais que l’on tolère à peine ? Dans les conflits multiples qui opposent le Congo au Rwanda comme dans les accords, tout aussi multiples que le Rwanda signe avec le gouvernement congolais, ouvertement ou clandestinement, les Tutsi sont-ils le cheval de Troie du Rwanda ou sont-ils des patriotes prêts à défendre leur pays ? Face à ces questions, l’enjeu est de pouvoir affirmer ou pas,  clairement et fortement ou non, que  ces compatriotes sont congolais. Dans le cas où ils le seraient, ils doivent alors, comme toutes les tribus congolaises, vivre dans ce pays avec la conviction et la certitude qu’il est le leur, qu’ils y ont des droits, des devoirs et des pouvoirs comme les autres peuples du Congo et qu’ils  doivent y vivre en toute sécurité, sur une terre qui est la leur et dans l’ambition de participer à la construction de la grandeur, de la prospérité et du développement de la RDC.
Depuis des années, on a assisté dans notre pays à la remise en question de ces droits, de ces devoirs et de ces pouvoirs des Tutsi congolais que l’on affuble du qualificatif de nationalité douteuse et que l’on veut voir traverser la frontière pour laisser le Congo en paix, comme l’a proposé, en tout cynisme et sans état d’âme, le pamphlétaire français Pierre Péan. Souvent, dans une confusion totale entre faciès et nationalité, un certain imaginaire congolais verse dans le tribalisme primaire et développe des théories identitaires complètement meurtrières à l’égard de Tutsi vite considérés comme des Rwandais envahisseurs et pilleurs des richesses du Congo. Eux et les autres Banyarwanda, qui ne peuvent bénéficier ni du droit du sol, ni du droit du sang, aux yeux de certains Congolais. Même pas de la possibilité de dire que la nationalité devrait être non pas seulement d’une question de sol et de sang, mais une question de choix, d’esprit et de participation, en toute vérité, à la construction de la grandeur d’une nation.
 Dans le contexte d’une conception étroite de la nationalité, surtout en situation des conflits ouverts autour des enjeux de la terre à posséder ou du pouvoir à exercer,  une socio-psychologie de la haine se forge au sein de certains milieux fortement tribalisés à bloc en RDC. De même, chez les Tutsi congolais,  une psychose doublée d’une volonté d’autodéfense ou de recours au Rwanda comme bouclier et comme ressort pour une politique de guerre permanente à l’est du pays se déchaîne. On évoque l’autodéfense là où les Congolais ne voient qu’agression, volonté de puissance, visée de balkanisation et tempête de prédation. Toute possibilité d’une réflexion sereine pour penser une destinée commune se perd. Seul brûle alors l’enfer des carnages. La reconnaissance paisible de l’identité des autres, de leurs droits comme de leurs devoirs et de leurs pouvoirs cesse d’être une possibilité concevable.
 La question est effectivement celle-là : l’identité qui devrait s’épanouir et être reconnue autrement que dans la logique de la violence, des carnages et de la banalisation du crime dans un Congo meurtri par d’insondables souffrances. Une identité qui ne devrait plus se constituer en armes de guerre pour des revendications que la paix seule peut satisfaire. Une paix construite par l’ensemble des tribus aujourd’hui en conflits, ouvertement ou souterrainement, au nom d’une vision d’ensemble du Congo comme communauté de destinée.
Pourquoi parlons-nous ainsi de la question tutsi ? Parce que, d’une manière ou d’une autre, selon des tonalités multiples et selon des variations diverses de sens, elle au cœur des logiques des identités meurtrières dans le Kivu. Elle en concentre les pulsations. Elle en couve les tranchants sauvages à grande échelle, avec tout le potentiel de mensonges, de manipulations, de propagandes aiguës et de justifications perverses de tous les systèmes d’exclusion ou de destruction. Tout cela avec la bonne foi nécessaire propre aux rationalités ou aux irrationalités des tribalismes meurtriers.
Au fond, la question tutsi, comme la question globale des Banyarwanda au Congo, est un symbole : le symbole de la fermentation de toutes les cruautés par lesquelles les tribus deviennent des armes pour des carnages massifs. Elle est de l’ordre de l’implicite dans les pratiques sociales qui visent à détruire au nom de l’identité : pratique d’autodéfense ou de défense de son territoire, pratique de meurtres préventifs pour ne pas être un jour victime d’une volonté maléfique que l’on attribue toujours à l’autre dans le discours. A partir de ces logiques de meurtre à la fois justifiées et justifiantes, tout s’emballe : tout le monde devient à la fois victime et acteur des violences extrêmes, même sans s’en rendre compte. Par peur. Par vengeance. Par méfiance. Ou par haine. Dans les volcans d’aberrations par lesquelles le crime acquiert une légitimité et le déni des droits humains s’affirme comme un art macabre, profondément intériorisé et licite.

     Un mal généralisé

Mais les enjeux de la reconfiguration des pouvoirs suite à l’affaiblissement et à l’effondrement de l’Etat ne se réduisent pas à la question tutsi ou à la communauté rwandophone au Congo. Ils ont embrasé toute la région du Kivu où les conflits tribaux ont eu tendance à s’enflammer autour des problèmes fonciers, miniers, politiques et sociaux. Les Hema et les Lendu sont des tribus en chiens de faïence aujourd’hui, prêtes à en découdre à chaque instant, comme elles l’ont fait déjà il y a quelques années, dans des carnages indescriptibles, sous le chapiteau des intérêts ougandais. Les Bashi et les Barega n’ont pas tardé, il y a quelques années, à s’empoigner à mort et à déclencher un processus de haine meurtrière, une fois qu’ils avaient chassé les Rwandophones de Bukavu. Les Banande de Butembo et les Banande de Goma ont développé des relations de mépris et d’accusation d’impureté complètement irrationnelles, alors qu’ils constituent une seule et même communauté ethnique.  A Kolwezi ou à Funguzume, on se démarque non seulement contre les Kasaïens, mais contre tous ceux qui viennent d’ailleurs. A Manono, actuellement, les entrepreneurs Bashi n’ont plus le droit de cité aux yeux des populations locales qui veulent jouir seules des richesses des mines. Ce ne sont là que des exemples, mais ils sont significatifs et ils expriment un certain fond de l’imaginaire congolais dans tout son potentiel meurtrier.
Que se cache-t-il derrière toutes ces logiques d’exclusion et toutes ces passions promptes à devenir cannibales ? Le poids de l’ignorance, sans doute, dans un pays où l’éducation n’a pas suffisamment promu le développement de la raison, de l’esprit d’organisation communautaire pour le bien et la force de la connaissance réciproque pour forger des synergies supra-ethniques créatrices de richesses communautaires. Il y a aussi le poids des misères et de la pauvreté, vite récupéré par des politiciens manipulateurs dans leur volonté de pouvoir et dans leurs égoïsmes sans limite. Il y a surtout, et de plus en plus, accoutumance à la culture de la mort et de la destruction, au poids du malheur et à la banalisation du crime.

Les conséquences d’un effet d’accoutumance

 On comprend alors pourquoi, dans des conditions épouvantables des guerres à répétition, tout le monde joue sa partition de mort dans une absurdité totale. On vit dans une ambiance où l’on se croit toujours victime des autres. Ceux-ci cessent d’être perçus comme des êtres humains : ils sont des monstres, des tueurs en série, même s’ils sont des voisins avec qui on a vécu pendant de longues décennies. Le plus dur dans la situation, c’est que l’on ne voit même pas que la diabolisation des autres et la victimisation de soi vous rendent vous-même susceptible d’être un monstre et de vous précipiter dans la logique des crimes contre l’humanité, sans même que vous vous en rendiez compte, par manque d’un espace de distance par rapport aux effets  d’accoutumance à la logique des meurtres à grande échelle.
C’est ainsi que les tribalismes sont devenus meurtriers. C’est ainsi que les identités exacerbées crachent leur lave volcanique à partir d’un milieu social, d’un système de vie, d’une base de l’être et d’un  code d’action que l’esprit tribaliste est devenu dans un Congo à Etat faible, ou plus exactement dans un Congo dépourvu d’Etat véritable.
Il faut aujourd’hui régler ce problème en faisant sauter le verrou des identités meurtrières, en vue de construire une société de paix, de sécurité et d’harmonie entre les ethnies, surtout en ce moment où les identités meurtrières au Congo sont envenimées par les tensions et les suspicions qui opposent le Rwanda et l’Ouganda comme bloc d’un côté et de l’autre côté le Congo en général et les populations du Kivu en particulier.

Que convient-il de faire ?

A la question de savoir ce qu’il convient de faire, ma réflexion ne me conduit pas à un rapide court-termisme, qui fournirait des solutions du genre « prêt-à-porter ». Ce type de solution, je n’en vois pas clairement maintenant.
La voie de l’intensification des conflagrations tribales, pour qu’une tribu impose son hégémonie sur les autres, n’a aucune chance. Elle ne mène qu’à la multiplication des milices et à la militarisation des tribus pour des massacres sans fin.
La voie du discours moralisateur et des incantations spiritualistes n’a pas porté de fruits jusqu’à ce jour non plus. Ni les réunions des bonnes âmes qui prônent la voie du bien, ni les prédications des Eglises tous les dimanches et dans toutes les prières toujours recommencées, ni les exaltations des prophètes des valeurs humanistes, n’ont eu d’échos favorables dans les esprits pour casser les ressorts de l’identité meurtrière. On est dans une situation où la perspective de « aimez-vous les uns les autres » ne mène à rien face aux pragmatismes cruels et aux méfiances ancrées dans les haines.
La voie d’une entente politique entre les chefs de guerre est également bloquée. Les haines sont telles que rien ne permet un accord des esprits et des consciences chez les élites guerrières actuelles.
L’Etat congolais étant faible, fragile ou inexistant en tant que force crédible ; ses autorités n’ayant par ailleurs aucune crédibilité morale ni aucune légitimité populaire ; son armée étant aujourd’hui un repaire de la désorganisation et du désordre entretenu, on ne peut rien attendre de lui pour rassembler et fédérer les tribus dans  une paix vraiment durable,
Même la communauté internationale ne semble pas avoir une solution magique contre les tribalismes meurtriers qui alimentent les guerres au Kivu maintenant.
Toutes les voies à court terme qui auraient pu fournir du « prêt-à-porter » sont bouchées. Il reste le chemin long et difficile de la construction d’une citoyenneté responsable par une nouvelle éducation, à partir des forces de la paix qui s’assument en tant que telles et qui mènent la bataille d’un nouvel imaginaire pour de nouvelles pratiques culturelles et politiques en vue d’une nouvelle destinée.
Pour définir cette voie étroite et difficile de la citoyenneté responsable, je la caractérise par quatre expressions que je reprends à des grands esprits de notre temps.
La première orientation est celle que le philosophe tchèque Jan Patocka appelle le courage des intrépides : l’option pour ramer et vivre à contre-courant des idées reçues et refuser les sentiers battus, individuellement, dans un choix que l’on assume soi-même et auquel on décide de se tenir fermement.
La deuxième orientation, Patocka la désigne par l’expression de solidarité des ébranlés, c’est-à-dire les synergies assumées par ceux qui ont pris conscience de la faillite de l’ordre existant et qui luttent pour la construction d’un nouvel ordre du sens.
La troisième orientation, je l’emprunte au philosophe français Michel Foucault qui parle des pratiques de liberté. Dans un ordre social gangrené par des pathologies comme le tribalisme et les guerres, le courage des intrépides et la solidarité des ébranlés ne peuvent s’assumer que dans les pratiques, les initiatives et les actions d’une liberté créatrice dont la voie ouvre des perspectives autres que celles de l’idiote accoutumance à la banalité de l’opinion générale, surtout quand cette opinion promeut les logiques des crimes.
La quatrième orientation est celle qu’Abdou Diouf a appelé le changement maîtrisé. Il faut entendre par là non pas les changements dans la violence et les crimes, mais par une transformation profonde basée sur une réflexion de fond concernant les enjeux fertiles d’une situation donnée.
Aujourd’hui, on sait que des porteurs de telles orientations ne tombent pas du ciel : ils émergent d’une dynamique éducative de longue haleine. Si l’on veut une paix durable, il faut aussi une éducation durable. C’est elle la clé de l’avenir contre les identités meurtrières.
   
Faire sauter le verrou des relations du Congo avec le Rwanda et l’Ouganda

Une question surgit sans doute des esprits : si la situation est telle que nous l’avons décrite, pourquoi c’est dans le Kivu seulement que les identités meurtrières ont libéré toutes leurs puissances destructrices à l’échelle de l’horreur absolue, alors que c’est tout le Congo qui est concerné par la question tribale ?


Un rendez-vous manqué avec l’Histoire

La réponse est la suivante : c’est parce que le Kivu a été le point de départ d’une guerre pour  reconfigurer  l’ordre politique au Congo et réinventer l’Etat congolais qu’il s’est trouvé précipité dans les turbulences des interventions rwandaise et ougandaise, nouveau verrou à casser pour construire la paix, assurer la sécurité et aménager un espace d’harmonie relationnelle entre les ethnies. 
C’est en effet du Kivu que fut lancé le grand rendez-vous manqué avec l’histoire. C’est là que fut déclenché le fracassant processus de renversement du régime de Mobutu par la coalition militaire dont le Rwanda et l’Ouganda furent les maîtres d’œuvre. Le Congo eut à ce moment là l’occasion et l’immense opportunité de refonder l’Etat, de renouveler l’imaginaire de la population et d’engager un processus de lancement d’une nouvelle politique de coopération entre les pays des Grands-Lacs sur un vaste territoire d’ethnies soudées pour un même élan de développement durable et solidaire. L’occasion fut manquée, l’opportunité gaspillée et le rendez-vous avec le destin complètement dilapidé.
Ils auraient pourtant pu être réussis, compte tenu des espérances libérées et des utopies investies dans les esprits. Ils auraient pu l’être si et seulement si :
-          le Rwanda principalement, et l’Ouganda à sa suite, s’étaient comportés en puissances de vraie libération d’un peuple opprimé par la dictature mobutiste, au lieu de s’être vite transformés en puissances d’occupation, de prédation et d’auto-enrichissement, faisant rapidement du Congo un butin de guerre au sens des plus archaïques des logiques propres aux armées victorieuses ;
-          les responsables politiques du Rwanda, de l’Ouganda et du Congo avaient pu mettre en place des dynamiques de responsabilité commune pour faire du Congo le nouvel espoir au service de tous les pays des Grands Lacs, au lieu de se lancer dans des antagonismes violents qui conduisirent à des guerres tribales et interrégionales multiformes sur le territoire congolais, et surtout à un Etat de guerre permanent dont le Congo post-Mobutu n’a cessé de souffrir ,
-           le nouveau pouvoir en RDC avait eu la sagesse de rassembler en une seule dynamique nationale toutes les composantes politiques qui avaient combattu Mobutu pendant des années, au lieu de se constituer en une nouvelle clique ethnico-dictatoriale dominée par une seule région, dans un processus désastreux où la société congolaise se voyait replonger dans du déjà-vu tribaliste qui avait pourri le Zaïre de Mobutu ;
-          dans plusieurs rounds de négociations inter-congolaises, on était parvenu à un projet politique national fondé sur une volonté commune de bâtir une unité et une communauté de destinée, au lieu de promouvoir des visions où les appartenances ethniques et régionales avaient un rôle capital et décisif ;
-          le Congo s’était doté d’institutions permettant à chaque région du pays de s’organiser en pôle de richesse et d’enrichissement des autres, au lieu d’une centralisation incohérente et inconsistance qui fit de la nation un royaume divisé contre lui-même, en profondeur ;
-          la société congolaise avait pu mettre sur pied une politique de défense solide et des mécanismes de sécurité territoriale dans la paix avec ses voisins, au lieu ne s’accoutumer à sa propre fragilisation interne et externe, sans aucune possibilité de devenir ce qu’il aurait pu être vraiment : une puissance régionale aux échelles politique, économique, sociale, culturelle et militaire.
Dans les logiques macabres, des imaginaires pathologiques

Le rendez-vous du destin ayant été ainsi manqué, ce furent les logiques macabres de la guerre endémique, de l’insécurité chronique et des identités meurtrières qui s’imposèrent. Cela dans une région qui avaient tous les ingrédients pour s’enliser dans une dynamique d’inter-destruction tribale à grande échelle. A savoir : une importante masse des réfugiés rwandais pris en otages par les génocidaires de 1994 ; les tribus tutsi et hutu congolaises que l’on découvrit soudain ou qui se découvrirent elles-mêmes soudain comme des entités rwandaises ; d’autres tribus congolaises dont les liens entre elles-mêmes et avec les tribus rwandophones n’avaient rien des grandes amours paisibles ; d’immenses richesses foncières et minières convoitées, dans une explosive puissance de violence mimétique ; et pour couronner tout cela, des hommes politiques assoiffés du pouvoir qui mirent sur pied, à leur service et pour leurs propres objectifs, des milices destructrices, véritables machines de guerres à répétition. 
Ces logiques macabres fertilisent des imaginaires pathologiques. Le Rwanda a son imaginaire du Congo et le Congo exalte son imaginaire du Rwanda. Ces imaginaires sont irrigués par des perceptions souvent négatives, que les propagandes dans les deux pays, de manière explicite ou selon des codes implicites, attisent, embrasent, surtout en ces temps de crise et de tension entre les gouvernements de ces deux nations.
En plus, ces imaginaires produisent de types de relations complètement viciés : relations de ressentiments, de rancœurs, de passions cruelles, de suspicions en folie, de pulsions destructrices ; ou, dans les meilleurs des cas, des baves de faux-semblant, d’hypocrisies, de fausses promesses et de trahisons de la parole donnée ainsi que des accords signés. Dans un tel contexte, il n’est pas possible qu’entre Tutsi, Hutu et tribus congolaises, à l’intérieur même du Congo, soient créées et entretenues des relations paisibles. Le verrou des relations entre le Rwanda et le Congo ne peut pas rendre cela possible.
Que faire, dans cette situation ?

Conformément aux quatre orientations que j’ai ouvertes contre les ethnismes meurtriers et qui valent aussi contre les nationalismes étroits, je pense à une éducation des générations montantes, basée sur l’art de se déconditionner du vécu, pour reprendre une expression de Krishnamurti. Se déconditionner des imaginaires actuels du Congo et du Rwanda. Se déconditionner des discours dominants au sein de ces pays, dans leurs présupposés, dans leurs préjugés et dans leurs suspicions politiquement téléguidées. En fait, opérer un double déplacement de centre de gravité.
Premier déplacement : quitter la logique dominée par les pouvoirs politiques qui nous gouvernent dans les deux pays actuellement pour construire des lieux de remise en question de ce que ces pouvoirs ont d’aveugle sur les exigences d’un nouvel ordre de relations entre le Rwanda et la RDC, avec de nouvelles visions, de nouvelles ambitions et de nouvelles espérances de paix durable. Avec, surtout, de nouvelles initiatives pour un vivre-ensemble social fécondé par une véritable volonté de concorde et de créativité commune pour le développement. Contrairement à ce que l’on pense dans la situation actuelle de tensions entre les deux pays, de telles initiatives sont possibles et elles ont le seul chemin d’avenir pour la paix. Je pense particulièrement ici aux liens du commerce frontalier, aux possibles lieux de rencontres culturelles, aux réseaux nécessaires de la société civile, aux dynamiques d’interactions de forces religieuses et aux colloques de l’intelligentsia, loin des déterminismes politiques et de leurs manichéismes traumatisants.
Deuxième déplacement : passer de la logique de la régression vers la recherche des causes de conflits entre le Rwanda et le Congo (causes que l’on ressasse à mort dans des débats interminables sans jamais se mettre d’accord), à la logique d’invention d’une nouvelle volonté et d’un nouveau sens de l’être-ensemble. Plus exactement, il s’agit de neutraliser les causes de la guerre par la dynamique d’un volontarisme unificateur, d’un souci fertile de paix durable, grâce à l’éducation de l’imaginaire et à son orientation vers de nouvelles ambitions de développement.
Avec ce double déplacement, on pourra faire sauter le verrou actuel des tensions entre le Rwanda et le Congo, non pas dans le court-terme des solutions politiques et militaires de surface, mais dans un souffle pour une alliance des peuples, profondément, avec de nouvelles forces antidestin à créer et à vitaliser.

Faire sauter le verrou des irrationalités des pays des Grands Lacs

Pour ce faire, il faut élargir le champ de l’action jusqu’à l’échelle de tous les pays des Grands Lacs. Ceux-ci ne se sont pas encore donné une véritable conscience de leur être-ensemble, de leurs intérêts communs profonds à travers des institutions régionales vraiment crédibles, qui puissent rendre possible .le double déplacement de sens dont j’ai parlé, dans un cadre solide à l’intérieur duquel le Congo et le Rwanda se sentiraient unis dans une destinée commune.
 
Regards tournés vers les ailleurs

Le Rwanda, clé de la paix dans la région, pense sa destinée plus vers les institutions économico-politiques de l’Est de l’Afrique que vers l’Afrique centrale où se déploie le Congo. Celui-ci, autre clé de la paix et de la sécurité dans cette région, est happée par les institutions économico-politiques de la région Sud du continent, avec l’Afrique du Sud comme moteur. Les autres nations de la région ne semblent pas intéressées par une communauté de destinée dans la région des Grands Lacs, autour des enjeux qui mériteraient un engagement total. Le Burundi veut maintenant entrer au Commonwealth, dans un élan vers des ailleurs qui l’éloignent des intérêts de la région à laquelle il appartient. Tout donne l’impression que tout  tourne vers l’Afrique de l’est et australe ou vers le vaste monde, alors que la RDC, même quand elle se tourne vers la SADEC, ne tourne qu’autour de sa propre autodestruction. Il est d’ailleurs symptomatique qu’aucun leader politique d’envergure dans la région des Grands Lacs n’ait à ce jour pris pour cause essentielle de son combat la construction d’un vrai et grand espace social, économique,  politique, culturel, spirituel et militaire pour le bonheur de tous les peuples de notre région. Nous sommes ainsi, du point de vue de la solidité des institutions régionales, un véritable ventre mou pour l’Afrique d’aujourd’hui.

Un double endiguement

Il y a là un verrou à faire sauter, pour que les peuples aient le sentiment d’appartenir à une seule et même région, avec une même mystique de la volonté d’être ensemble, de vivre ensemble, d’agir ensemble et de rêver ensemble pour une paix durable, une sécurité sereine et une cohabitation harmonieuse entre les pays et entre les ethnies.
Une double dynamique est nécessaire à ce niveau, pour la construction d’un grand imaginaire de la grandeur de la région des Grands-Lacs :
-          L’endiguement de petits nationalismes idéologiques. Ceux dans lesquels le Rwanda et la RDC s’enferment dans leurs antagonismes inutiles et dans toutes les logiques de guerre que cet enfermement entraîne, au lieu d’ouvrir leurs frontières dans un projet d’inter-enrichissement aujourd’hui possible dans tous les domaines, à commencer par celui de la paix ;
-          L’endiguement des fortes peurs que les individus éprouvent, au Congo comme au Rwanda, de ne pas suivre la ligne du discours officiel de la propagande de leurs pays. Quand on sait qu’en situation de tensions et de conflits entre nations, les propagandes sont toujours enclines aux falsifications de la vérité au nom des intérêts des pouvoirs en place, il est important que des individus qui veulent la paix puissent se démarquer de la parole officielle pour tracer le chemin de la paix. Chaque individu, au Congo comme au Rwanda, a le pouvoir de dire : « Je ne suis pas esclave des conditionnements du discours de propagande du gouvernement de mon pays. Je suis un homme libre, une femme de liberté et j’agirai désormais à partir de cette responsabilité de ma liberté, pour des liens de paix entre mon pays et ses voisins. » La liberté et la responsabilité qu’elle porte deviendraient ainsi le socle d’une autre politique rwando-congolaise possible : une politique de paix. Une politique fertilisée par des ambitions, des perspectives, des rêves et des utopies de paix et de bonheur partagé.
Comme dynamique de l’imaginaire, le double endiguement ainsi défini devra conduire à regarder plus vers le futur que vers le passé. Il rend chaque personne capable de tenir à son propre compte le discours suivant : « Je suis libre. Ni le passé ni le présent ne m’empêcheront d’imaginer, de créer et de vivre l’avenir qui correspond le mieux aux espérances, aux attentes et aux enjeux d’une existence fertile. Dans l’Afrique des Grands Lacs, ces espérances, ces attentes et ses enjeux ont une vibration intime : la paix.

Et le verrou de la communauté internationale ?

Au Congo aujourd’hui, la communauté internationale a un rôle capital dans la gestion de la guerre de l’est. Depuis la Monuc jusqu’à la Monusco, deux missions des Nations Unies pour la paix et pour  la stabitisation en RDC, on ne peut pas compter le nombre des rencontres qui n’ont accouché que d’une souris, sans mettre fin à une guerre destructrice dont personne ne croit plus qu’elle aura vraiment une fin heureuse. Certains Congolais en viennent aujourd’hui à penser que les Nations Unies, loin d’être une solution, font désormais partie du problème congolais. Des remises en question radicale de la mission de la Monusco jaillissent de partout, comme si cette mission commençait à agacer les esprits et à inquiéter les consciences au Congo.
On se rend surtout compte que cette mission ne pèse vraiment pas lourd là où elle aurait dû peser le plus lourd. A savoir : sur la dimension internationale du conflit congolais dont on sait qu’il est aussi lié aux intérêts économiques et financiers des certains trusts mondiaux et de certaines mafias internationales.
Sur ce verrou, l’action internationale est très fragile, comme elle est aussi fragile concernant les modes de gouvernance qui, au Congo comme au Rwanda, favorisent les logiques de la guerre.
L’imaginaire international est moulé par des clichés qui l’empêchent de voir les vrais problèmes. Dans cet imaginaire, il y a d’un côté un pays d’ordre et de discipline, le Rwanda, auquel on ne reproche que son soutien aux rebellions congolaises. De l’autre, il y a un pays du désordre, sans logique d’un véritable Etat, la RDC, qui ne peut s’en sortir sans des forces mondiales du maintien de la paix.
Avec une telle vision, on ne voit pas ce qui lie les deux pays dans leur logique de guerre : un véritable autisme par rapport aux intérêts les plus profonds et les plus radicaux de leurs peuples, sur le long terme. J’insiste bien : sur le long terme.
Il suffit pourtant de se pencher sur le bilan humain de la guerre de l’est du Congo et sur les cruautés indescriptibles auxquelles tous les acteurs de cette guerre se sont livrés pour se rendre compte que la seule issue d’avenir c’est la paix et que cette paix n’est possible que si un système démocratique qui voit les intérêts à long terme des populations se met en place au Rwanda et au Congo, pour libérer le génie des peuples dans la construction du développement solidaire, sur la base des problèmes réels auxquels le Rwanda et le Congo font face dans le monde actuel dominé par une globalisation féroce.
Sur les effets de cet ordre mondial ans la gouvernance au Rwanda comme au Congo, les Nations Unies ont un mutisme étonnant, comme si la logique des systèmes politiques en place dans les Grands Lacs importait peu, de même qu’importe peu le jeu des agents du capitalisme mondial au Congo aujourd’hui.
Il n’y aura pas de paix au Congo si l’on ne casse pas le verrou de la communauté internationale comme partie intégrante du problème de la guerre à l’est du Congo aujourd’hui.
De quelle manière ? Par un double mécanisme, qui conduirait à voir les dimensions du problème que les Nations Unies ne voient pas :
Le premier mécanisme est la critique de la toute-puissance de l’Etat au Rwanda et de l’impuissance critique du peuple face à cette toute-puissance ; tout comme la critique du vide de l’Etat au Congo et  de la gouvernance de corruption qu’un tel vide crée.
Le deuxième mécanisme est la mise en lumière de l’action pernicieuse de toutes les forces économico-industrielles et militaro-mafieuses qui détruisent le Congo dans une guerre de pillage et de prédation.
Il ne faudra prendre au sérieux la communauté internationale dans la construction de la paix à l’est du Congo qu’à partir du moment où elle considérera que  sa mission concerne aussi la gouvernance au Congo et au Rwanda ainsi que l’emprise du capitalise ultralibéral sur ces pays. Sans cela, tout ce qu’elle fait n’est qu’une vaste comédie, une comédie tragique face aux populations aujourd’hui.

Chemin d’avenir

L’analyse à laquelle je viens de me livrer et les orientations que j’y ai ouvertes montrent à quel point un immense travail sur les intelligences, sur les consciences et sur les imaginaires devrait être fait pour ouvrir un chemin d’avenir à la paix durable. Tout ce travail devra viser à extirper des esprits tout un ensemble d’archaïsmes mentaux et d’idées fausses qui nous empêchent de voir, au Congo et au Rwanda, qu’une rupture avec les logiques de guerres et de crimes est aujourd’hui indispensable, dans un renouveau de vision du monde.
Les archaïsmes et les idées fausses  dont je parle sont les suivantes:
-          L’idée de la centralité de la tribu comme dynamique identitaire fondamentale. Cette idée est simpliste et réductrice. Elle ne voit pas que chaque être humain et chaque groupe social sont des carrefours d’identifications multiples, réelles comme virtuelles, qui construisent des personnalités plurielles et infiniment riches de possibilités qu’offrent les rencontres et les perspectives de vie.
-          L’idée des références nationales actuelles comme unique base des relations entre citoyens de divers pays. Dans la mesure où elle enferme les personnes dans une nationalité une et exclusive, comme en RDC, elle est extrêmement pauvre et inféconde. Elle fait de la nation une prison politique, une caverne sociale ou une caserne culturelle sans horizon sur le vaste monde.
-          L’idée que les frontières issues de la colonisation sont éternelles et intangibles et qu’elles ne pourront jamais évoluer en fonction des enjeux du présent et des nécessités du futur, sur la base des intérêts communs qui peuvent conduire des pays à se reconfigurer dans des entités plus vastes et plus productives, selon des orientations d’enrichissement dont les populations bénéficieraient. Cette idée est un carcan idéologique qui casse les ressorts d’une réflexion de fond sur les possibilités de nouvelles richesses pour les nations.
-          L’idée que les réseaux transnationaux de prédation et de domination, qui attisent souvent des guerres locales à leur profit, font désormais partie intégrante de la géopolitique mondiale et qu’on ne peut rien contre elles quand elles se déchaînent dans un espace social déterminé. Une telle idée enferme les esprits dans l’impuissance et dans la démobilisation. Elle condamne les personnes et les peuples à refuser de regarder en eux-mêmes pour susciter des forces « antidestin » et s’organiser en vue de leurs intérêts propres, intérêts de puissance, de dignité et de bonheur collectif.
-          L’idée selon laquelle la guerre serait la seule voie nécessaire pour résoudre les problèmes des nations comme la RDC et le Rwanda dans l’antagonisme de leurs intérêts respectifs. Cette idée est un archaïsme nuisible, qui ne voit ni la fécondité des évolutions de la conscience éthique et spirituelle de l’humanité, ni les impératifs des droits de l’homme et des peuples, ni les exigences d’une politique du développement solidaire mondiale à laquelle aboutira un jour ou l’autre le mouvement actuel d’altermondialisation. 

Kä Mana

Président de l’Institut interculturel dans le Région des Grands Lacs (Pole Institute)

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