vendredi 7 juin 2013

TRANSCENDER LES FRONTIERES INTERIEURES



 
La force unificatrice du système fédéral au Nigeria peut-elle constituer un modèle d’avenir pour la RDC ?

Par Kä Mana et Jean Patrice Ngoyi


Notre intervention au présent colloque sur les frontières et les conflits en Afrique est consacrée à l’expérience du Nigeria : un pays qui a construit un système fédéral solide et viable, malgré les conflits, les tensions et les tragédies sociales dont il a été le sujet depuis son indépendance jusqu’à nos jours. Nous décrirons d’abord ces conflits, ces tensions et ces tragédies en termes de frontières intérieures : des fractures et des fragmentations réelles qui n’ont pourtant pas détruit les ressorts de l’identité nigériane multiethnique, multiculturelle et plurireligieuse. Ensuite, nous mettrons en lumière les mécanismes de fond que le Nigeria met en œuvre pour transcender, c’est-à-dire conserver et dépasser, les multiples différences qui constituent son être comme nation.  Nous tirerons enfin, brièvement mais fermement, les leçons que la RDC peut apprendre du modèle nigérian dans ses force comme dans ses difficultés.


Des frontières intérieures au cœur d’une impressionnante entité étatique 

Au Nigeria, le problème des frontières n’est pas avant tout ni principalement un problème de relations avec les pays voisins et la manière de les gérer. Quand de tels problèmes de voisinage se posent, comme ce fut le cas face au Cameroun concernant la presqu’île de Bakassi, une analyse, même rapide, de la situation montrerait que ce sont les enjeux intérieurs de pouvoir qui ont déterminé l’issue du conflit frontalier avec le pouvoir camerounais. La question de l’appartenance de Bakassi au Nigeria ou au Cameroun montait en tension ou diminuait en intensité selon que tel ou tel groupe de dirigeants et leurs entourages nationaux ou internationaux s’emparait des rênes du pays. Au temps de la dictature féroce du Général Sani Abacha, par exemple, en fonction des intérêts de trusts pétroliers étrangers, Bakassi avait des allures d’une question de souveraineté inaliénable et de Cassus belli induscutable. En revanche, sous le Général Obasanjo, dont le tempérament et les options de méthodes politiques cassaient avec les orientations de Sani Abacha, la presqu’île devenait un différend  négociable avec le Cameroun devant les instances judiciaires internationales, au point que tout s’acheva par le retour de la terre disputée dans le giron territorial du Cameroun, purement et simplement.
Ce que le conflit de Bakassi a révélé du Nigeria, c’est le fait que dans ce pays, les enjeux extérieurs de conflits de frontières sont profondément liés à la virulence des différends politiques qui sont des véritables frontières étanches, des fractures qui ont poussé la nation au bord de la sécession. Dès les premières années de son indépendance, en effet, le Nigeria a été précipité dans un conflit historiquement connu sous le nom de la guerre du Biafra. S’y affrontaient deux forces politiques : le pouvoir central, qui défendait la légitimité souveraine de son emprise sur tout le pays, et le pouvoir sécessionniste, qui visait l’indépendance du Biafra pour des enjeux néocoloniaux attisés par Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, au nom de la France. Le Biafra, c’étaient des frontières politiques intérieures manipulées pour des enjeux mondiaux du néocolonialisme, dans des manœuvres de puissance qui faillirent démanteler une nation et la plonger dans le gouffre du désordre et du chaos. Heureusement, les sécessionnistes furent vaincus et le Général Odjuku, leu chef, dut reconnaître publiquement sa défaite.
Malgré  cette victoire des fédéraux, les frontières internes demeurèrent vives selon le schéma d’antagonisme entre acteurs engagés dans la politique au sens strict du terme : «  l’administration du droit et du civique, la gestion des légalités et de la justice dans l’esprit du bien commun d’une communauté », selon la définition qu’en donne V.Y. Mudimbe. [1]
La force de ces frontières politiques au sens de luttes de factions et de cliques, c’est d’être alimentée, à l’intérieur même du pays, par des alluvions dangereuses : celles des groupes ethniques et de leurs intérêts intrinsèques. Comme tout le monde le sait, le Nigeria est une mosaïque de tribus dont les plus grandes et les plus dynamiques, comme les Yoruba, les Haussa ou les Igbo, constituent de vastes aires culturelles et développent des identités fortes et des dynamiques politico-économiques torrides. Des vraies centrales nucléaires culturelles et hégémoniques dont les énergies peuvent faire exploser le pays, si aucun principe cohérent de gestion n’est mis en œuvre pour pacifier les esprits et les unir dans un même projet d’ensemble.
Au Nigeria, la ligne de partage Nord-Sud, fortement connue dans le monde, est la cristallisation et la stylisation, pour ainsi dire, des intérêts politiques et économiques très vifs. Ces intérêts font que le Nord, c’est le Nord, et le Sud, le Sud. Chacun est conscient d’être un bloc psychique et culturel de passions et d’intérêts identitaires. Chacun sait qu’il faut défendre ce bloc à tout prix, chaque fois que cela est nécessaire, et par tous les moyens nécessaires. En même temps, et nous sommes là au cœur de la puissance nigériane, chaque bloc sait, consciemment ou inconsciemment, dans le discours public comme dans les sphères privées, que l’intensité des centrales nucléaires constituées par les identités ethniques, n’ont d’avenir que dans la puissance de la fédération nigériane à l’échelle mondiale. Les intérêts des groupes particuliers, s’ils ne sont pas fortement et profondément intégrés dans cette dynamique d’ensemble, deviennent des pouvoirs de destruction. Il n’est pas question ici d’un savoir moral, mais d’une véritable conscience politique qui connaît ses fragilités et qui doit défendre à tout moment son socle et son horizon contre les puissances de dissolution et les pesanteurs du chaos. Surtout contre les religions quand elles sont utilisées comme des identités séparatistes et dissolvantes.
Les religions ont en effet au Nigeria une double fonction comme frontière spirituelle : elles peuvent être des murs comme elle peuvent être des ponts. Elles nourrissent souvent de manières positives la conscience des populations dans le sens d’humanité, mais elles explosent aussi comme de terribles tsunami psychiques et suscitent des carnages indescriptibles. Selon qu’elles sont des frontières pour unir les conceptions d’humanisme communautaire ou qu’elles deviennent des monstres de haine et de rage comme dans des sectes extrémistes, elles sont au service de la nation ou au travail de sa fragmentation intérieure, de son implosion même. On le voit quand un mouvement comme Boko Haram et les groupes extrémistes musulmans suscitent des réactions chrétiennes de carnages ravageurs ou des sectes comme celle qui, récemment, s’est affirmée païenne et s’est engagée dans le terrorisme au nom même de son paganisme. Ici, les frontières religieuses dérivent vers le mal radical, faisant oublier tout ce que le pays a de sublime dans l’inter-fécondation entre l’islam, le christianisme et l’animisme pour la construction de l’unité nigériane sur un socle spirituel solide. On ne peut pas oublier ici la grande idée de Blyden qui affirmait que l’islam est la forme que prend le christianisme quand il arrive en Afrique. C’est-à-dire dans un limon communautaire animiste où la quête de la vie en abondance unit les esprits, les consciences et les cœurs dans un même sillon d’amour et de vérité. Tout le problème au Nigeria, c’est la gestion du religieux selon cette fécondité spirituelle, en rupture avec les pratiques séparatistes et les idéologies religieuses destructrices qui n’ont pas la majorité du peuple avec eux, même si, dans les villes comme Joos, Kano ou Maiduguri, les pulsations religieuses entrent constamment en éruptions comme des volcans indomptables, incontrôlables.
   A ce niveau de notre réflexion, nous devons impérativement évoquer un autre type de frontières : les frontières sociales, celles des inégalités et de leurs pulsations psychiques, qui maintiennent dans le fond de la société des structures de frustrations, d’envies, de passions, énergies porteuses de changements brusques, sources de ces destructions créatrices que l’on nomme révolutions. Au Nigeria, les effarantes inégalités entre l’aire des richesses inimaginables et les espaces de misère indicible ou de pauvretés endémiques, qu’elles soient anthropologiques ou économico-financières, sont grosses de fracas, de fractures et de fragmentations révolutionnaires. Les religions apaisent souvent les esprits  et nombreuses d’entre elles jouent à l’opium, pour parler comme Marx. D’autres, en revanche, - et c’est là la grande force du Nigeria-, suscitent de gigantesques volontés de réussite personnelle ou collective à travers la théologie de la prospérité et les innombrables messianismes de terroir qui animent des spiritualités de nouvelles espérances fortement engagées dans la lutte contre la misère et la pauvreté. L’islam de confréries et celui inspiré des rationalités modernisantes au sein de la société nigériane ont la même dynamique créatrice. Celle-ci tranche avec les envies de restauration des orthodoxies traditionnelles du type wahhabite, qui engraissent les frustrations populaires pour des cassures et des explosions sociales de terreur. Entre un tel islam de créativité et le christianisme catholique ou protestant traditionnelle, des ententes se nouent, des alliances de profondeur dans une idéologie de profondeur qui tient ensemble la société. Les pentecôtismes d’enrichissement, tout comme les religiosités des terroirs que l’on voit dans des Eglises africaines traditionnelles (christianisme céleste, Aladura, Séraphins et Chérubins), concourent à la même dynamique de cohésion, d’harmonie, de solidification intérieure pour dépasser les frontière entre riches extrêmes et pauvretés extrêmes. Les politiques de grands travaux de l’Etat vont dans le même sens tout comme le grand dynamisme de l’informel où la société nigériane excelle pour juguler les dangers des frontières entre la haute société et l’aire des laissés-pour-compte.

Frontières ethniques, frontières politiques, frontières socio-économiques. Ce qui est frappant au Nigeria, c’est le fait que toutes ces fragmentations intérieures font système. Elles fonctionnent dans une entité nationale qui tient ensemble, malgré elles et même grâce à elles en quelque sorte, sous une figure d’oignon où chaque pelure renvoie à d’autres en renforçant l’être même de l’oignon. On peut appliquer à ce système la vieille sagesse antique : «  Ne cherche pas l’oignon en pelant l’oignon » : chaque pelure est lui-même l’oignon. Le Nigeria est ainsi l’ensemble du système de ses frontières internes : de leurs dialectiques, de leurs lois d’attraction et de répulsion, de leur gravitation nationale, de leur fascination réciproque et de leur gestion dans un ensemble qui donne un certain sens à tout cela. Depuis l’indépendance, le système tient, dans un mystérieux dynamisme qui a fait du Nigeria l’une des nations africaines les plus impressionnantes de créativité et du désir de vivre. Pourquoi en est-il ainsi ?

Le système nigérian comme modèle pour transcender les frontières intérieures

Qu’est-ce qui tient ensemble le système ? Son fédéralisme, son attachement au multiculturalisme, son esprit de puissance nationale, son imaginaire social, ses appareils idéologiques d’Etat et sa volonté de persévérer dans son être.
Le choix du fédéralisme dans un pays comme le Nigeria a été un choix judicieux. Il a posé les bases d’une prise en compte des frontières intérieures comme réalités et la nécessité de les transcender, c’est-à-dire de les conserver et de les dépasser en les en même temps, en les enrichissant par leur intégration dans une réalité plus vaste qui leur confère un nouveau sens. Contrairement au modèle jacobin des pays francophone et conformément à la grande tradition anglo-saxonne des démocraties locales. Si le ciment fédéraliste n’avait pas créé une conscience des intérêts à la fois locaux et communautaires, à l’échelles des terroirs comme au plan national, il n’y aurait plus aujourd’hui de nation nigériane : les pesanteurs religieuses, les intérêts politiciens et les pouvoirs centrifuges manipulés par des forces néocoloniales auraient déjà balkanisé le pays. Heureusement, la conscience fédérale a créé un pouvoir central à la fois suffisamment fort et suffisamment souple pour accorder aux citoyens le sens de leurs propres intérêts et le sens des intérêts nationaux. Malgré l’immensité du pays et sa force démographique, malgré les permanentes tentatives de déstabilisation et de division, le Nigeria tient toujours ensemble et construit son destin. C’est la preuve qu’une nation multiethnique et multiculturelle est possible et qu’elle peut vivre selon des lois et des règles communes sans que les forces centrifuges en cassent les ressorts.
Cette voie de la sagesse  a comme moteur un choix idéologique d’une grande importance pour tous les Nigérians: le choix de la puissance du pays et la culture de cette puissance dans une créativité permanente, à la fois individuelle, communautaire et étatique. De ce point de vue, le pays est une fourmilière : tout y bouge dans une intensité effarante, avec des populations en constante ébullition, dans tous les domaines, au sein d’une virulente passion de faire des affaires, de gagner de marchés, d’ouvrir de petites, moyennes ou grandes entreprises, de fabriquer de vrais comme de faux produits, d’inventer de structures d’escroqueries étonnantes et d’entretenir le sentiment de foi dans le destin d’une nation appelée à la grandeur. Il suffit de se concentrer sur le cinéma nigérian, sur sa littérature, sur son football, sur sa musique comme sur son marché intérieur pour se rendre compte qu’on est dans un espace de gigantomachie permanente : une lutte pour la vie dans un imaginaire fascinant d’inventivité et de vigueur, en bien comme en mal.  En bien : le Nigeria a créé un génie propre de la recherche des solutions à tous problème dans la vie de tous les jours, contre toute mentalité d’impuissance ou de désespoir. En mal : le pays s’est hissé à un niveau d’escroquerie impensable ailleurs, qui l’a hissé au niveau des grands systèmes du crime organisé. Tout cela dans la conviction que tout l’espace national est un et indivisible, grâce à la solidité des terroirs compétitifs qui ne souffriraient aujourd’hui aucune balkanisation.
Tous les appareils idéologiques d’Etat, comme dirait Althusser, sont mis au servir de cet imaginaire d’unité plurielle. Du temps de la dictature des Généraux comme pendant les périodes de démocratie, l’Etat dispose toujours d’une puissance de coercition indomptable. Il impose sa présence par une administration centrale solide relayée par des administrations locales tout aussi solides. Aucune force de désintégration n’est parvenue à briser ce ressort-là : ni les sécessionnistes du hier ni les activistes de l’extrémisme religieux aujourd’hui. L’armée, la police, les renseignements généraux, les faiseurs d’opinions, les animateurs religieux les plus significatifs tout comme les producteurs de culture et de pensées, un système institutionnel extrêmement solide encadre, cadre et oriente le pays pour lutter contre le divisionnisme. Boko Haram comme le Mend, en tant que mouvements d’action dissolvante, en savent quelques choses, malgré une certaine audience locale de leurs revendications. Ils ne sont jamais parvenus à mettre les médias, officiels ou privés, au service de leur cause. La toile d’araignée de l’information et de la production du discours légitime a toujours mis les intérêts supérieurs de la nation au-dessus des velléités  de revendications partisanes. La violence d’Etat gère les violences des forces destructrices sans état d’âme, dans la ferme volonté de maintenir la dialectique publique unité-diversité au cœur de l’être ensemble. Ne pensez pas que nous décrivons ici un système idyllique : nous parlons d’un monde d’une extrême violence, mais qui tient parce que la violence d’Etat, structurée et organisée, arrive toujours à vaincre les violences locales de groupes armées ou des milices. Au fond, le Nigeria tient parce qu’il est un Etat et en tant qu’Etat, il a la maîtrise de sa dynamique de violence publique ; au service du projet national.
L’imaginaire du peuple est conditionné par ce grand cadre et il y fonctionne dans la foi en ses institutions : en leur solidité, en leur fondements collectifs, en leur vision du présent et de l’avenir, en leur vitalité comme cadre de vie commune, sans aucune remise en question de la conscience historique qui fait du peuple nigérian une seule et même entité consciente de sa force. Ce mental de l’être-ensemble est une énergie psychique de cohésion extraordinaire. Les structures d’enseignement primaire, supérieur et universitaire travaillent à solidifier cet imaginaire, dans des ancrages locaux et nationaux qui fondent les légitimités de terroir comme les légitimités de vision nationale. Un fédéralisme mental, psychique, s’impose ainsi comme un cadre incontestable d’une certaine idée du Nigeria par les citoyens nigérians. Il rend possible la solution des problèmes et des crises, même les plus virulents, dans le une dynamique de destinée commune. C’est dans cet imaginaire que le système de la présidence tournante (Nord-Sus) et du club des généraux te des barons qui comptent par leur poids sociopolitique et représentent les grands intérêts locaux et le sens de l’unité nationale a pu donner une chance à la démocratie nigériane.       
C’est cette force qui donne au pays son poids géopolitique au Nigeria et élargit sa puissance à la dimension africaine et à la dimension du monde. Il faut entendre par là manière dont le pays veut se placer sur l’échiquier international et ouvrir ses frontières aux autres pays, dans une posture tant de conquête que d’enrichissement par les autres.
Dans le domaine économique, le Nigeria a toujours développé la conscience d’être la locomotive de l’économie africaine, à partir de celle d’Afrique de l’ouest, qu’il domine manifestement. Il voit dans les pays voisins comme dans beaucoup d’autres pays africains un vaste marché, réel ou potentiel. Les temps ne sont pas lointains où ses produits, avant l’émergence de la Chine sur le marché africain, se retrouvaient partout et inondaient l’espace commercial de nombreux pays. Les opportunités commerciales que son dynamisme ouvrait et l’accessibilité  de son propre marché aux nations voisines ont été l’une des clés de la réussite de la CEDEAO. En Afrique, les hommes d’affaires nigérians sont parmi les grandes fortunes d’Afrique et du monde, comme on peut s’en rendre compte dans le classement annuel établi par Forbes.
De  même, son gigantesque potentiel militaire lui a permis d’intervenir dans les conflits extérieurs et de régler, au nom de la CEDEAO, des conflits comme ceux du Libéria et de la Sierra Leone. Même aujourd’hui, on reconnaît en ce pays une énorme potentialité de servir de force de stabilisation et de maintien de la paix partout où l’Afrique pourrait avoir besoin de ses services. Sans oublier que son espace militaire sert de champ de formation aux autres armées des pays voisins qui reconnaissent l’efficacité de son système de formation.
Dans le domaine de la religion, le dynamisme expansionniste du Nigeria est actuellement sans limites. Ce pays est devenu une puissance religieuse dont l’élan et l’aura missionnaire chez les chrétiens, tout comme son engagement au service d’un islam radical, envahissent l’Afrique entière. Ses Eglises essaiment partout, non seulement dans les mouvements pentecôtistes venus de l’étranger, mais aussi dans les Eglises fondées au Nigeria même et destinées à s’implanter ailleurs comme de nouvelles semences du dynamisme chrétien africain. Même pour les Eglises africaines indépendantes, c’est au Nigeria que l’on trouve celles dont la dynamique conquérante est la plus époustouflante.
Le pays a ainsi un poids politique, économique, militaire et religieux qui attire beaucoup d’investisseurs à l’échelle mondiale ? Il est de ceux que l’on appelle aujourd’hui les lions africains prêts à rugir par leur croissance, par leur volonté d’émergence et par leur pouvoir de tirer toute l’Afrique vers le haut, rompant ainsi avec le pessimisme qui avait dominé la situation du continent durant les dernières décennies.
Quand on s’interroge sur le secret de tout ce dynamisme, la réponse que les spécialistes du Nigeria, ceux de l’intérieur comme ceux de l’extérieur, donnent est toujours la même : un certain type d’esprit, une certaine idée de soi-même et de son destin, une certaine ambition qui se diffuse dans le système éducatif dans tous les milieux où se forgent les mentalités (les Eglises, les écoles, les universités, les mouvements de jeunesse, les clubs et cercles économiques, les partis politiques, les familles). Dans ce pays se vérifie l’idée de Marianne de Boisredon partagée par beaucoup d’économistes dans le monde : « La première richesse est la personne humaine, quelle que soit sa condition. »[2]


Et la RDC ?

De l’expérience du Nigeria que nous venons de présenter, nous tirons quatre leçons pour la RDC. Trois leçons que la similitude entre les deux pays en matière d’étendue, du dynamisme démographique, du potentiel économique, du bouillonnement social et de la créativité culturelle valide comme perspectives pour la nation congolaise.
Un : la RDC  gagnerait à étudier le modèle fédéraliste nigérian pour en comprendre les mécanismes politiques, les rouages économiques, les pulsations culturelles et les ressorts mentaux. C’est un modèle qui aiderait le Congo à transcender les haines tribales, à juguler les querelles entre régions et à libérer une dialectique identitaire entre la nation et ses terroirs.
Deux : la RDC gagnerait à mettre ses appareils idéologiques d’Etat au service d’une ambition et d’un désir de puissance dans les domaines politiques et économiques : une certaine idée du Congo et de sa grandeur devrait créer une idéologie nationale dynamique et forte, ouverte sur l’avenir dans une unité nationale clairement assumée.
Trois : Contrairement à la tentation actuelle d’enfermement dans ses frontières issues de la colonisation, la RDC devrait se penser en termes d’économie ouverte et de politique conquérante, pour faire de son marché intérieur un espace ouvert non seulement entre ses régions, mais avec ses voisins et avec le monde entier, non pas dans une posture néocoloniale, mais à partir du dynamisme interne au pays. La construction des infrastructures et la modernisation des institutions devient de ce point de vue un impératif central, à la manière de ce que le Nigeria a fait.

Quatre : la RDC a le devoir de créer un homme congolais à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui, capable de dominer son propre destin, de maîtriser les enjeux du présent et de l’avenir, à travers un système éducatif tourné vers l’avenir, loin du désordre dans lequel baigne son système scolaire et universitaire. Si la « première richesse est la personne humaine », il faut au Congo une éducation pour développer cette richesse.

Certes, le Nigeria n’est pas le modèle idéal dans tous ces domaines. Loin s’en faut. Mais pour la RDC, le Nigeria donne à penser.








[1] V.Y. Mudimbe, « A propos d’un passe-vue conceptuel, Une méditation sur « le tiers » et des histoires conceptuelles d’un monde, En mémoire de Fabien Eboussi Boulaga », in Lidia Procesi et Kasereka Kavwahirehi, Au-delà des lignes : Fabien Eboussi Boulaga, Une pratique philosophique, LINCOM cultural Studies, 2012, p. 389.
[2] Marianne de Boisredon, Inventer une économie yin et yang, Témoignage d’une femme de terrain pour un monde plus juste, Paris, Presses de la Renaissance, 2006, p. 177.

DETRIBALISER LA SOCIETE AFRICAINE




Dynamique tribale et fragmentation sociale dans une Afrique en miniature : le Cameroun


Par Kä Mana  et Jean-Blaise Kenmogne*

Introduction
Parmi les phénomènes les plus représentatifs de la fragmentation des sociétés africaines contemporaines et des risques d’implosion qui leur sont consubstantiels, le tribalisme est sans doute la réalité pathologique dont l’Afrique contemporaine souffre le plus. Surtout dans les sociétés subsahariennes où la tribu est une entité vitale incontournable. Une force psychosociale  permanente et globale,  qui définit non seulement les identités individuelles et les appartenances collectives, mais aussi les relations entre les communautés dans les représentations  et les images qu’elles développent les unes des autres dans leur vision de la politique.
Dans la réflexion que nous proposons ici, notre intention est d’étudier ce phénomène dans un pays qui se présente souvent lui-même comme l’Afrique en miniature et qui peut, sous cet angle, représenter les dynamiques de fond de ce qui se vit partout sur le continent et la manière dont on peut en juguler les effets dévastateurs. Ce pays, c’est le Cameroun.
Avec sa multitude de tribus et les problèmes que pose leur cohabitation dans un espace social qui a jusqu’à ce jour résister aux pesanteurs d’émiettement, aux velléités de balkanisation et aux orages d’implosion, cette nation a dans son être-ensemble  quelque chose d’utile qui donne à comprendre ce qu’est le tribalisme dans son essence et dans ses manifestations pathologiques. Plus encore : sa résistance aux tentations d’éclatements permet de réfléchir sur un mode de vivre en commun dont on peut proposer le modèle sous d’autres cieux africains où le mal tribal a besoin d’être vaincu dans ses fureurs et annihilé dans ses métastase mortelles.   
Notre réflexion se déploiera en trois moments intimement liés dans leur logique :
Le premier sera consacré à un diagnostic : celui du tribalisme comme maladie au Cameroun. Nous montrerons en quoi il s’agit bel et bien d’une maladie dont on doit comprendre qu’elle relève d’une structure anthropologique défectueuse : le code profond de l’être camerounais aujourd’hui.
Le deuxième moment décrira cette structure anthropologique dans son impact ravageur pour le Cameroun, pour les personnes comme pour les tribus dans leur vision du monde et dans leurs pratiques sociales.
 Le troisième moment portera sur les remèdes essentiels que le pays s’est administré et sur les nouvelles thérapies à lui proposer encore contre ce mal qui continue à gangréner son présent et à hypothéquer son avenir. Surtout dans un monde comme celui d’aujourd’hui, où les dynamiques de réussite du développement dépendent de l’intégration des identités ethniques dans des synergies ardentes pour un être-ensemble créateur et inventif, dans le cadre d’une mondialisation d’enrichissement entre les peuples, les nations, les continents et les civilisations. 
                Un code profond de mensonge généralité
            Au Cameroun, il est courant de parler du phénomène de tribalisme et de le dénoncer à intervalles réguliers. On a pris l’habitude de le faire souvent sans se demander en quoi consiste exactement ce phénomène et pourquoi il perdure de nos jours malgré les puissants faisceaux de critiques dressés contre lui dans le discours public. On en parle tellement de manière péjorative et avec une telle fureur de rejet qu’il aurait dû disparaître déjà, non seulement du langage camerounais et des pratiques sociales, mais surtout de la vision que l’homme camerounais a de son avenir et de la place de son pays en Afrique.
Malheureusement, il  n’est est rien. D’année en année, au rythme des faits divers comme à la lumière des événements sociaux ou politiques d’une certaine envergure, on se rend compte que le problème a une inquiétante récurrence et qu’il détermine plus que l’on ne pense la vie des Camerounais.
Il a suffi, par exemple,  qu’un archevêque s’inquiète dans une lettre sur la configuration tribale de l’Université catholique de Yaoundé pour que tout le pays s’embrase contre le tribalisme et le dénonce dans une fureur impressionnante. Cet embrasement ne cassa pourtant pas les ressorts d’une mécanique qui poussa le père jésuite Lado, principale cible de l’attaque de l’archevêque, hors de l’UCAC, dans un scandaleux règlement de comptes contre ce prêtre qui dénonçait, à temps et à contretemps, les dérives de l’épiscopat du pays vers des alliances troubles avec le pouvoir politique en place.
Il avait suffi aussi que les élites du Nord-Cameroun, il y a quelques années, protestassent contre une massive inscription des étudiants d’autres régions du pays à l’université de Maroua, à peine créée en moment là, pour que retentissent, de partout, les trompettes contre le tribalisme. Cela dans un haro fougueux qui n’empêcha cependant pas le gouvernement de relever le pourcentage des étudiants du Nord dans « leur » université.
  Plus rocambolesque encore, dans l’opération épervier destinée à la lutte contre la gangrène de la corruption dans la société camerounaise, on a entendu des voix protester contre ce qu’elles considéraient comme un tribalisme manifeste, du fait qu’une certaine région, le sud en l’occurrence, semblait détenir le monopole de cette maladie. On voulait que le dosage des corrompus dans les prisons corresponde à la géographie tribale du pays. L’arrestation des certains barons du Littoral, du Centre, de l’Ouest et du Nord du Cameroun remit les pendules à l’heure et la nation se sentit quitte avec elle-même dans son étrange géostratégie tribale.
Rien que par les réactions à ces événements, on ne se rendait même pas compte qu’on mettait en lumière une vérité inquiétante. A savoir que le tribalisme est une réalité permanente dans l’esprit des Camerounaises et des Camerounais. Une réalité qui les possède et les agite fiévreusement chaque fois qu’il y a des nominations politiques à faire et qu’il faut distribuer les cartes du pouvoir dans les Eglises ou dans les grandes écoles du pays. A ces occasions, tout le monde guette les équilibres tribaux, dans la conviction  que ceux-ci font partie des bases de grandes décisions à prendre et de grands choix à faire pour éviter l’implosion de la nation. Tout se passe alors comme si le sentiment d’appartenance tribale vire toujours au tribalisme et en dévoile l’essence profonde. Une essence que seule une image forte pourrait manifester vraiment : les Camerounais sont dans le tribalisme comme le poison dans l’eau ou les oiseaux dans l’air, à la seule différence que l’eau fait vivre le poisson et l’air l’oiseau alors que le tribalisme, lui, tue à petit feu la nation dans on génie créateur et dans son potentiel de développement. Nous voulons dire qu’aujourd’hui le tribalisme est un milieu de vie et ce milieu de vie est devenu un système de fonctionnement social qui va de soi, selon la logique de la banalité du mal, pour reprendre une expression forte de la philosophe Hannah Arendt.
Curieusement, tout en acceptant que cette réalité du tribalisme comme milieu et comme système de vie est partie intégrante de l’être camerounais actuel, on n’ose pas aller jusqu’au bout de sa dynamique sociétale et on s’offusque de ses effets pourtant prévisibles et logiquement inévitables. Notamment :
-          le regard très attentif des uns et des autres sur la situation de la répartition ethnique des sources du pouvoir, du savoir, de la richesse et des prestiges dans le pays ;
-           la conscience que certaines ethnies ont de leur valeur propre et l’idée d’elles-mêmes qu’elles transmettent à tous leurs membres, surtout les générations montantes ;
-          La haine que les ressortissants de ces ethnies suscitent chez les autres ainsi que le rejet dont ils sont l’objet dans un certain imaginaire populaire ;
-          Les suspicions permanentes que les Camerounais ont les uns à l’égard des autres du point de vue de leurs appartenances tribales, tous les jours et dans tous les domaines.
Comment se fait-il que le discours contre le tribalisme soit si virulent alors que c’est le tribalisme qui est aujourd’hui non seulement le milieu et le système de vie au Cameroun, mais également la base et le code des comportements dans le pays ? Pourquoi accepte-t-on que la politique, l’économie, les structures scolaires et universitaires ainsi que l’organisation des villes et des Eglises soient vécues en termes de géostratégie tribale, sous les vocables neutres d’équilibres vitaux ou de nécessités nationales, tout en refusant les effets mêmes de cette vision ? Cette question nous permet de mettre en lumière ce que nous appellerons la première structure anthropologique du tribalisme au Cameroun : sa force comme  mensonge collectif, comme mal d’hypocrisie nationale généralisée. Le philosophe Eboussi Boulaga a une expression que nous aimons beaucoup, même si nous en sentons plus le pouvoir subversif que nous n’en comprenons la substance conceptuelle. Cette expression est celle-ci : le mensonge transcendantal. Nous sentons cela comme une sorte d’ambiance de mensonge qui rend tous les autres mensonges acceptables et normaux, un mensonge qui est l’être même d’une société et la condition de possibilité de toutes les autres pathologies de cette société. Il possède les gens, les modèle, les formate et devient leur respiration même. 
Il y a ce type de mensonge quand on fait de la tribu le milieu et le système de vie, la base de la construction d’une société dans son être même et son code secret,  tout en feignant de ne pas voir que ce choix détruit d’autres principes qui auraient pu être aussi le milieu, le système, la base et le code de la société. Par exemple : l’idéologie du mérite et de la compétence, la lutte permanente pour l’indépendance et la liberté, le combat pour le développement et pour la grandeur nationale. Il fut un temps où le Cameroun,  pendant sa lutte contre le colonialisme, s’était divisé en trois dynamiques vitales, avec d’un côté les nationalises anti-français, de l’autre les collaborationnistes pro-français, et entre les deux : les passifs et les indifférents accrochées aux seules nécessités biologiques et aux petits intérêts médiocres, sans que la tribu soit de quelque manière que ce soit un principe d’action sociale. Effectivement, le code du fonctionnement de la société n’était pas la tribu comme milieu et comme système, mais l’attitude face à la liberté. On a vu ainsi un parti comme l’Union des Populations camerounaises (UPC) fonctionner sans recourir au code tribal dans la distribution de hauts postes de responsabilité comme dans la planification des actions de libération. Aujourd’hui, on a un autre code, le tribal-vitalisme, pour ainsi le nommer, mais on fait semblant que ce code, le tribalisme, n’est pas le principe régulateur même du Cameroun tel qu’il est.
Pourtant, si l’on analyse bien les exemples auxquels nous avons fait référence plus haut, , on verra que même les vociférations anti-tribalistes s’inféodent dans le tribalisme comme code social, exactement comme chez les tribalistes que l’on dénonce.
Prenons l’exemple de la désormais célèbre affaire de l’Université catholique d’Afrique centrale à Yaoundé (UCAC) entre Mgr Tonyé Bakott (Archevêque) et le père jésuite Lado. Ce qui nous frappe dans cette affaire, ce n’est pas seulement le tribalisme comme structure anthropologique chez un grand dignitaire de l’Eglise qui croit bien faire en luttant contre le tribalisme avec la logique même du tribalisme et devient ainsi le symbole et la figure emblématique du vital-tribalisme dans son mensonge transcendantal à la camerounaise. Nous avons aussi été frappés par la réaction de l’élite visée par les propos et l’attitude de l’archevêque, les Bamileké : une réaction qui a été celle d’une certaine jubilation de voir le prélat lui-même reconnaître la supériorité des Bamiléké en matière du savoir et de l’intelligence, rien qu’en dénonçant leur présence massive à l’UCAC. Le fait que cette élite manifestement anti-tribaliste partait de l’évidence de la rigueur des règles d’admission à l’UCAC, du sérieux des mécanismes de corrections des examens et de la solidité de l’institution universitaire catholique pour aboutir à la preuve de l’excellence des Bamiléké qui parviennent à s’imposer massivement dans ce haut lieu de la connaissance, comportait une bonne dose de relent tribaliste. Ou quelque chose qui lui ressemble, en tout cas. On voulait tout simplement dire que la puissance bamiléké à l’UCAC n’était pas usurpée, n’en déplaise au grand prélat. On exaltait ainsi une fierté tribale que les autres tribus ne peuvent considérer que comme symptôme d’un tribalisme indécrottable.
Pourtant, ni du côté de ceux qui disent que l’archevêque a raison quelque part,  ni du côté de ceux qui voient en lui le nouveau parangon du tribalisme anti-bamiléké, personne ne pourra reconnaître un brin de tribalisme dans son propre discours, encore moins dans ses propres actes. C’est comme si, du point de vue de celui qui parle ou agit, le tribalisme est toujours le tribalisme de l’autre, jamais son propre tribalisme à soi. Ainsi va le Cameroun : on voit toujours la paille du tribalisme d’en face, et jamais la poutre de son propre tribalisme. Et il devient difficile de reconnaître alors le tribalisme comme milieu et système de vie, comme code et principe d’action, comme grand mensonge transcendantal qui structure l’existence et formate les esprits.
C’est là le vrai problème dans le Cameroun d’aujourd’hui : on n’y voit pas que le tribalisme se déploie à un niveau beaucoup plus profond ; dans les structures anthropologique de l’être et dans le principe de fonctionnement de la société. Comme on ne voit pas cela, on laisse ce tribalisme de fond tranquille et on ne s’en prend qu’à ses effets, de manière tonitruante, mais sans jamais vraiment changer l’ordre camerounais des choses dans les relations intertribales.
 Il en a été ainsi lors de la création de l’université de Maroua, au nord du pays. On n’a pas vu qu’elle était créée non pas par nécessité ou urgence académique, mais pour des équilibres régionaux purement électoralistes, avec un soubassement tribal aux relents tribalistes. Quand l’élite nordiste, qui avait bien compris l’enjeu, voulut le pourcentage le plus élevé d’étudiants, les bonnes âmes dénoncèrent des revendications tribalistes alors que le tribalisme était dans le code même qui a produit l’université de Maroua.
Même dans l’opération Epervier, le code a parlé dans le discours du peuple. Quand on comptabilise les « éperviables » (ceux qui sont susceptibles d’être arrêtés pour corruption) en termes ethniques et que les arrestations suivent la courbe d’un certain discours populaire, on est dans un code social de profondeur et non seulement dans un épiphénomène qui épargnerait la majorité de la population. Du point de vue de ce code,  n’importe camerounais honnête pourra ainsi s’écrier :
« J’affirme que nous sommes tous tribalistes, nous Camerounaises et Camerounais et que notre combat est aujourd’hui de changer le code qui nous détermine comme milieu de vie et comme système social. »
Il pourra ajouter, sans sourciller :
« Nous nous mentons à nous-mêmes, quand nous crions souvent, haut et fort, contre les effets de ce code sans regarder comment il fonctionne réellement dans notre être même et dans les mécanismes de notre fonctionnement sociétal. »
S’il joue le jeu de la vérité rigoureuse, il dira, plus fortement encore :
 « Je sais : nous Camerounais, nous avons une parade toute faite pour nous justifier, avec des pirouettes intellectuelles à la camerounaise.  Nous disons savamment qu’il faut distinguer entre tribalité et tribalisme, entre l’appartenance tribale comme fait normal de fierté identitaire dans une société pluriethnique et le tribalisme comme dérive et comme pathologie destructrice. Quand j’entends cela et que j’observe le fonctionnement de la politique, de l’économie et de la religion au Cameroun, pour ne prendre que ces champs bien connus, j’ai envie de répondre : « mon œil ! »  Je réponds : « Mon œil ! » parce que je sais que le problème au Cameroun, c’est que tribalité et tribalisme, c’est blanc bonnet et blanc bonnet, comme on dirait en langage populaire. Plus exactement, j’affirme qu’en faisant du tribalisme le code profond de la société camerounaise et en refusant de se poser des questions sur ce code lui-même comme maladie, le Camerounais se ment constamment à lui-même sur son être et s’offusque en vain quand un archevêque dénonce la géographie tribale d’une université ou quand tel intellectuel de haut vol affirme qu’il existe une division tribale du travail au Cameroun : le pouvoir politique à une tribu, le pouvoir économique à une autre, le pouvoir de la frime et de la « sape » à une autre encore et le pouvoir de force d’appoint sociopolitique à je ne sais quelle région encore. »
Notre bon Camerounais honnête aura alors beau jeu de poser la question suivante à tous ses compatriotes :
 « Qui d’entre nous peut dire qu’il ne sait pas de quoi je parle quand je dis ce que je viens de dire. Et si vous savez tous de quoi je parle, par quel mécanisme échappez-vous à la logique du  discours tribaliste qui est devenu un discours national connu de tous et qui nous tient dans ses mailles et dans sa nasse, comme dirait l’historien Kange Ewane ? »
S’il en est ainsi, qu’on ne s’offusque pas quand les ressortissants d’une certaine tribu prétendent être les meilleurs et qu’ils forgent l’imaginaire de leurs enfants selon cet esprit, au point que ceux-ci envahissent des institutions universitaires de haut niveau et y excellent avant d’être sans doute envoyés à l’étranger en vue de devenir la vraie élite du futur et pouvoir ainsi, par le principe de reproduction sociologique dont a parlé Pierre Bourdieu, dominer la Cameroun de l’avenir. On a beau s’offusquer en surface contre tout cela, le code de fond au Cameroun restera le même pour longtemps et c’est ce code qui est la vraie maladie de société.
Quand nous parlons du tribalisme, considérons-le donc comme la maladie du code sociétal profond. En quoi consiste ce code du milieu, du système et du principe tribalistes ?
-          En la conviction que l’entité tribale est la force fondamentale qu’il faut activer pour obtenir ce que l’on vise dans les grands enjeux du pouvoir, de l’avoir, du savoir et du valoir. Surtout contre d’autres identités tribales qu’il faut dénigrer en permanence et noircir à l’envi, en inoculant une haine suffisamment forte dans les générations montantes pour que celle-ci  puissent grandir avec ce venin et le transmettre de génération en génération, tout simplement comme ça, comme aurait dit le grand romancier russe Soljenitsyne.
-          En la conviction que derrière tout ce qui se fait dans le pays se cachent des intérêts tribaux qui déterminent le mode de gouvernance et décident de ce que sera le Cameroun de demain, ce qui entraîne un attachement particulier à des identités de terroir contre toutes les logiques du travail, de la compétence, du mérite, de la foi dans les valeurs éthiques et spirituelles.
Quand on est convaincu de cela, on crée un royaume divisé contre lui-même : le royaume des identités meurtrières. Un royaume qui, un jour ou l’autre, explosera en plein vol ou implosera en pleine effervescence. C’est cela que le tribalisme a fait du Cameroun et que l’on cache sous le discours de la paix, de la stabilité et de l’horizon de l’émergence pour 2035. Les plus lucides d’entre les Camerounais le savent : un jour ou l’autre, le volcan du tribalisme risque de d’inonder de ses laves, si rien n’est fait.
Dans les grandes articulations de la personnalité
 Nous en arrivons maintenant à la deuxième structure anthropologique du tribalisme comme maladie au Cameroun.  Elle ne relève pas de la métaphore du code génétique que nous avons utilisée, en nous référant aux sciences de la vie et à la génétique contemporaine.
 Nous l’emprunte plutôt à la psychanalyse quand on y distingue le moi, le ça et le surmoi. Tout le monde le sait : le moi, c’est la conscience que chaque personne a de son être, de ce qu’il vit, de ce qu’il pense, de ce qu’il croit et de ce qu’il fait. Le ça, c’est la marre houleuse de l’inconscient et des forces ténébreuses du subconscient, avec tout ce qui nous détermine en profondeur sans que nous sachions vraiment ce qui se passe en nous. Quant au surmoi, c’est le domaine de la loi, de sa transcendance sur nous et du joug qu’il nous impose pour que nous puissions nous intégrer dans la société. Tout cela est plus complexe mais nous n’en avons retenu ici que le schéma général pour l’appliquer au tribalisme comme maladie au Cameroun.
Selon la psychanalyse, l’équilibre d’une personnalité malade ou troublée tient à sa capacité à faire affleurer les forces de son inconscient ou des énergies du subconscient pour les regarder en toute conscience et faire face à tous les traumatismes dont on souffre. Cela permet de mieux accepter les exigences supérieures de la société sans se sentir écrasé ou détruit en soi-même. Même au niveau de la théorie de l’inconscient collectif ou du subconscient communautaire, celui d’un peuple ou d’un groupe historico-social déterminé, le devoir d’un regard dans les bas-fonds de soi-même et d’y faire émerger des problèmes est essentiel pour pouvoir construire un ordre de transcendance des valeurs ou d’intérêts collectifs, domaine impérieux du surmoi culturel ou social.
 Sur le tribalisme au Cameroun, ce travail n’est pas fait. On refuse même de le faire dans une analyse forte de l’inconscient collectif camerounais, du subconscient communautaire camerounais et du surmoi juridique camerounais. Même quand on proteste en masse comme on l’a fait devant « l’affaire Tonyé Bakott contre Père Lado », on reste dans l’ordre des protestations de l’encre et de la salive, sans pousser loin les actions pour changer complètement l’ordre tribaliste qui gouverne le Cameroun dans son ça, dans son moi comme dans son surmoi. Il y a toujours refus d’action véritable. Ce refus est devenu une structure anthropologique réelle qui fait que, face au tribalisme comme maladie, on répond comme on est habitué à le faire au Cameroun face à tout grand problème de fond : « On va faire comment ?» Aujourd’hui, il convient de savoir ce qu’il faut faire et le faire effectivement devant le tribalisme comme maladie.
Pour cela, il faut savoir que le tribalisme est une manipulation consciente du ça, du moi et du surmoi dans la société camerounaise, au nom d’enjeux auxquels les populations sont souvent aveugles.
Dans le tribalisme, on parle au ça le langage qui le caresse et le modèle pour qu’il ne voie pas que le Cameroun est une nation qui veut être une nation moderne, engagée dans la lutte contre le « sous-développement durable », pour parler comme Théophile Obenga. Quand on sait que c’est dans l’inconscient et dans les subconscients que se trouvent les énergies susceptibles de mettre un individu ou un peuple en branle pour les grandes ambitions et les grandes réalisations, selon les slogans à la mode au Cameroun Il n’y a pas encore longtemps, le langage que tient le tribalisme est une force de démobilisation et de démotivation face aux exigences de la construction nationale, de la construction de l’Afrique et de l’engagement du Cameroun dans la construction d’une Afrique du développement et d’un monde d’alliance de civilisations. Avec un petit inconscient tribal de rien du tout, on ne construit pas une grande nation. Avec un petit subconscient tribal de rien du tout, on ne bâtit pas une grande destinée pour un peuple. Il faut combattre le tribalisme parce qu’il ne forge pas l’inconscient créateur dont le pays a besoin, encore moins un subconscient innovateur dont les énergies sont nécessaires à l’invention du futur.
Même à l’échelle du moi, c’est-à-dire de la conscience de chaque Camerounais et de chaque Camerounaise sur l’identité de son pays dans le monde, la manipulation qu’est le tribalisme ne permet pas à la nation de prendre l’envol de la grandeur. Quand le moi est prioritairement tribal, il se réduit à une vision étroite de soi et ne pense pas au pays en tant que tel. Il ne s’intègre pas dans une vision d’un Cameroun qui brillerait de mille feux, comme dirait Jean Ping. Au contraire, il met les tribus les unes contre les autres, en chiens de faïence, sans voir dans chaque tribu le génie grâce auquel elle enrichirait l’identité nationale pour un projet camerounais de construction d’une autre l’Afrique et d’un autre monde possible. Or, avec une conscience claire du Cameroun comme Cameroun des grandes ambitions et des grandes réalisations, on poserait sur chaque tribu un regard tellement positif et tellement porteur de vie et d’espérance que les fondations mêmes du pays en seraient changés, avec la production d’un nouveau code socioculturel national qui serait le code d’un Cameroun nouveau, uni dans tout son génie par le génie de chacune de ses composantes de terroir, sans haine ni ostracisme, dans la fertilité des valeurs par lesquelles l’avenir serait rayonnant et fascinant. L’idée d’une unité camerounaise de profondeur serait alors le nouveau milieu et le nouveau système de vie, dans une grandiose vérité de la nation qui serait une nouvelle vérité transcendantale opposée au mensonge transcendantal dont parle Eboussi Boulaga, mensonge que constitue à nos yeux  le vital-tribalisme camerounais aujourd’hui. Nous disons vital-tribalisme pour parodier l’expression national-socialisme, le système nazi de triste et douloureuse mémoire, comme le sera sans doute la mémoire du mal que le tribalisme camerounais aura fait au pays, quand on n’en parlera dans les générations futures, toutes proportions gardées.
Si on s’attaque à ce tribalisme là, Le surmoi camerounais en serait transformé. Nous voulons parler des sphères de la gouvernance et de la loi, des sphères des responsabilités politiques, économiques, culturelles et spirituelles. Ce ne serait plus des sphères de la corruption et de la décomposition morale comme aujourd’hui, mais des sphères du service de la nation, de toute la nation dans le diorama de sa diversité ethnique et de ses identités inter-fécondatrices. Des diversités non pas appauvries par les haines de l’autre, mais enrichies par le génie des autres dans un Cameroun aux lois justes et aux institutions fortes, comme dirait Barack Obama. Des institutions non tribalement déterminées. Des institutions toujours irriguées par des utopies de construction d’un grand avenir. Aujourd’hui, le tribalisme a cassé les ressorts aux possibilités d’émergence de ce Cameroun d’institutions fortes et crédibles. Il a fait du pouvoir public un pouvoir tribal et de la gouvernance camerounaise une gouvernance ethnico-ethnique, vidant ainsi les institutions de tout pouvoir de confiance du peuple en leur valeur et en leur efficacité.

Que faire, concrètement ?
Si notre diagnostic est juste, et il l’est, le remède a un nom : une nouvelle éducation dans toutes les institutions chargées de cette responsabilité, non seulement pour un nouveau discours contre le tribalisme, mais pour un nouvel être camerounais dans son code de fond et dans sa vision du pays.
L’éducation dont nous parlons est avant tout un changement de regard sur soi. Il s’agit d’apprendre à chaque enfant, et aujourd’hui à chaque adulte, à changer son regard sur sa tribu. D’apprendre de nouveau sa tribu du point de vue de toutes les richesses dont elle regorge et qu’elle devrait offrir aux autres dans le rendez-vous national du donner et du recevoir, selon le beau mot de Senghor. Habitués à se regarder selon l’ordre de la haine inculquée par le tribalisme dans tout l’être, les ressortissants des tribus camerounaises ne se connaissent pas eux-mêmes dans leurs richesses. Ils ne connaissent souvent ni leur histoire, ni leur géographie, ni leur culture, ni leurs innombrables trésors de vie dont ils pourraient s’enorgueillir non pas contre les autres, mais pour les autres, dans la construction d’une civilisation d’inter-fécondation que le Cameroun doit développer. Aujourd’hui, ni dans les familles, ni dans le système scolaire, ni dans les Eglises, ni les mouvements d’action civique et politique, il n’existe un vrai programme de terroir pour une véritable connaissance de soi de chaque ressortissant de telle ou telle tribu camerounaise. Comment peut-on construire une nation quand on ne se connaît même pas réellement soi-même. Pour vaincre le tribalisme, nous proposons la voie éducative de la connaissance de soi, dans un programme national construit spécifiquement dans cette perspective de conversion du regard.
La conversion du regard sur soi, c’est aussi la conversion du regard sur l’autre. A la connaissance de soi est liée, impérativement et systématiquement la connaissance des autres, du point de vue de leurs richesses, de leurs valeurs culturelles et de leurs trésors de vie. L’ignorance des Camerounais sur les cultures de leur pays est effarante. Le poids des préjugés,  des clichés et des fantasmes sur les autres ne peut être vaincu dans les esprits que par une connaissance claire, solide, scientifique, de ceux avec qui on vit, dans une anthropologie et une sociologie ouvertes aux possibilités d’enrichissement. Quand on connaît vraiment l’autre dans sa richesse, le tribalisme tombe de lui-même. On regarde autrement celui qui est en face de soi. On le voit comme un être humain avec tous ses pouvoirs créateurs. On s’ouvre à ces pouvoirs et on se transforme soi-même en un être humain regardant autrement un autre être humain, dans l’empathie et la force du bien. C’est le but de l’éducation de susciter cette puissance du regard neuf sur l’autre.
Changer le regard, c’est en même temps changer de langage et changer de langage. Le langage sur soi et le langage sur l’autre. Le Cameroun meurt de la manière, foncièrement négative, dont les tribus parlent les unes des autres. Chaque tribu a développé chez ses ressortissants, un discours du mal, du mépris, de la suspicion et du rejet. Il faut conversion du langage comme nécessité absolue, dans un système éducatif qui promeuve et valorise une manière positive de parler des autres.
Il convient également de mettre au cœur de l’éducation l’étude du fonctionnement et des enjeux du tribalisme dans une société comme la société camerounaise aujourd’hui. Le mensonge tribaliste apparaîtrait dans ce qu’il est vraiment : une mystification au service des enjeux du pouvoir, de l’avoir et du valoir, sur le dos du peuple. On devrait aider surtout les générations montantes à analyser elles-mêmes les problèmes, à travers des campagnes d’éduction à la critique sociale et à la responsabilité citoyenne. Surtout dans des débats interculturels où devront être promue la capacité de réfléchir sérieusement sur les problèmes et de les résoudre avec fécondité. Dans de tels débats, les grandes figures de la construction de la nation camerounaise devraient être enseignées comme des modèles, comme des mythes dynamiques, porteurs de nouvelles espérances, comme on disait il n’y a pas longtemps au Congo-Brazzaville, pour les besoins de campagne électorale..
 Il faut aussi une politique globale de lutte contre le tribalisme, à travers la pénalisation des propos ou d’attitudes tribalistes, exactement comme cela se fait dans certains pays contre le langage et les pratiques racistes. Sans une volonté publique de punir le tribalisme comme volonté, comme vision, comme attitudes et comme pratique, rien ne changera en profondeur. La loi doit aujourd’hui devenir un instrument de lutte et contribuer à l’émergence de nouvelles visions et de nouvelles attitudes qui promeuvent l’inter-fécondation des tribus dans une grande culture camerounaise de concorde et du bonheur d’être camerounais dans une Afrique unie.
Enfin, il faut une politique culturelle et des lieux de culture qui s’affirment résolument comme de nouvelles dynamiques éducatives pour un Cameroun sans tribalisme, surtout aujourd’hui où l’horizon d’un pays émergent n’est pas celui de s’enfermer dans l’archéologie de son être, mais d’entrer dans la téléologie d’une mondialisation ou d’une altermondialisation du donner et du recevoir. Le Cameroun a beaucoup à donner à ce rendez-vous. Il lui faut surtout savoir que ses tribus sont des richesses et non des handicaps ou des obstacles.
Et il ne s’agit pas seulement de le savoir, il faut le vivre. Le vivre puissamment. Jusqu’ici la lutte contre le mal du tribalisme n’a pas pris toute la mesure de l’indomptable puissance du vouloir vivre-ensemble, envers et contre tout. C’est pourtant ce vouloir ardent qui tient le pays ensemble. Il s’est constitué dans une histoire commune, dans des drames et des tragédies qui ont forgé une conscience historique à laquelle chaque Camerounais se réfère et qu’il assume d’une manière ou d’une autre. Soit dans la célébration de la grande lutte contre le colonialisme français au cours des années de braises ; soit par la grande épopée sportive des lions indomptables ; soit dans le génie créateur d’un peuple n’a jamais cédé au pessimisme et qui est convaincu qu’impossible n’et pas camerounais ; soit dans l’attachement à une terre dont la fertilité est une digue contre la famine, soit surtout dans la foi en des utopies de puissance et d’émergence qui travaillent de l’intérieur chaque citoyen et chaque citoyenne. Il faut désigner tout cela par des mots immatériels : l’âme, le souffle, l’esprit camerounais. Réalités qui existent bel et bien et qui assurent le lien entre le passé, le présent et l’avenir, dans un imaginaire d’une extraordinaire énergie de conservation de soi malgré tous les obstacles, tribalisme y compris,
Si c’est par la puissance de l’immatériel que le Cameroun tient ensemble, il faut tenir l’immatériel des idées, des aspirations et des espérances comme une terre psychique à fertiliser afin que la puissance de l’immatériel se matérialise en une politique, en une économie, en une culture concrètes qui finiront par juguler le mal tribal dans ses vertiges et ses furies.
Cela est d’autant plus nécessaire que ce sont les dynamiques de l’immatériel qui tient ensemble les Camerounais et les pousse à développer un esprit de contradiction et de débats. En cela, ils se confrontent à un système politique autoritaire avec une extraordinaire sérénité, une extraordinaire dynamique de liberté d’où la peur a disparu. Le vouloir-vivre ensemble peut ainsi transformer les menaces d’implosion ou d’émiettement du pays en un champ de confrontations de projets sociétaux et d’idéologies antagonistes qui s’habituent à être ensemble dans leur affrontement même, comme on peut s’en rendre compte rien qu’en lisant les penseurs camerounais qui sont sans aucun doute parmi les plus grands d’Afrique et du monde : Fabien Eboussi Boulaga, Achille Mbembe, Célestin Monga, Ebénézer Njoo Mouellé, Kange Ewane, Messi Metogo et  Owona Nguini
 Il ne faut pas minimiser ces réalités de l’immatériel créateur : il convient plutôt de les intégrer dans une énergétique éducative qui les conduirait plus loin, plus haut, dans un regard de combat contre le tribalisme non pas seulement au Cameroun, mais partout sur le continent africain,
Vous l’aurez compris sans doute : dans toute notre réflexion, le Cameroun a été l’autre nom de l’Afrique. L’Afrique en lutte contre les risques, les menaces, les pesanteurs et les fureurs de fragmentation, d’émiettement ou d’implosion. 

 * Kä Mana (Président de Pole Institute) et Jean-Blaise Kenmogne (Recteur de l’Université Evangélique du Cameroun)