jeudi 3 janvier 2013

Construire une paix durable et ouvrir les horizons du développement solidaire entre le Rwanda et la République démocratique du Congo Les exigences d’avenir

 Par Kä Mana

Introduction

Dans les débats sur les relations fortement tendues aujourd’hui entre le Rwanda et la République démocratique du Congo autour du groupe M23 et de  ses actions politico-militaires, je suis sensible à deux préoccupations qui méritent une attention particulière de la part de toutes les forces sociales et politiques qui veulent bâtir des ponts de concorde et d’inter-fécondation réussie entre les deux pays et promouvoir une paix durable au sein de leurs populations. Particulièrement au sein des populations du Kivu meurtries par des idéologies meurtrières et des guerres à  répétition, avec tout leur cortège de souffrances, de tragédies et de cauchemars profondément destructeurs.
La première préoccupation, c’est celle que tout le monde appelle maintenant les causes profondes de la guerre du Kivu. Causes auxquelles il convient de donner des réponses, tout aussi profondes, contrairement aux solutions superficielles dont il faut dénoncer l’insignifiance, l’infécondité et l’inefficacité.
La deuxième préoccupation concerne les capacités réelles, pour les forces de la paix, d’endiguer les houles de la guerre et de mettre en place des conditions, des mécanismes et des dynamiques de paix sur le long terme, autrement que par des discours actuels et des pratiques manifestement inaptes à changer le cours de la situation qui prévaut maintenant dans les relations entre le Rwanda et le Congo.

Du superficiel au profond

Il est frappant de voir comment l’expression « causes profondes de la guerre du Kivu » est devenue, en peu de temps, un élément nouveau qui se popularise comme expression de langage dans tous les milieux qui parlent de la situation actuelle dans la région. Du haut de la pyramide politico-militaire du M23 comme dans la parole courante des milieux intellectuels et des acteurs de la paix que je rencontre ; dans les hautes sphères des autorités religieuses comme dans les mouvements des jeunes en quête de nouvelles espérances pour le peuple du Congo comme pour celui du Rwanda, tout donne l’impression qu’il y a un niveau de lecture de la guerre qui est superficiel et un palier plus en profondeur, comme dirait Georges Balandier, que l’on veut maintenant atteindre pour penser et vivre une paix véritable. Une paix durable, fertile, basée sur une analyse solide du vécu actuel des populations du Kivu et des relations qu’entretiennent le Rwanda et la RDC.
Pour pouvoir accéder à ce palier plus en profondeur de la situation rwando-congolaise aujourd’hui, j’ai pensé qu’il est de bonne méthode de chercher clairement à savoir avant tout quelle est la lecture superficielle contre laquelle on doit s’insurger maintenant et pourquoi une telle lecture masque les causes profondes qu’il convient de mettre en lumière.
Face à cette exigence, mon regard et ma pensée se sont tournés spontanément vers la gestion militaire, politique et diplomatique actuelle du problème de la guerre du Kivu. Dans la mesure où c’est cette gestion elle-même qui, par ses limites et ses étroitesses de réflexion et d’action, pousse vers l’exigence de chercher les causes profonde de la guerre, il est utile de se demander ce qui, en elle, pose problème.
J’ai le sentiment que la solution militaire au problème du Kivu n’a été, jusqu’à ce jour, qu’une avalanche des catastrophes humaines, sociales et écologiques, dans des fleuves et des lacs de sang qui inondent la région et la détruisent littéralement. La logique meurtrière des armées et des innombrables milices, les ravages dans les villages et les folies des vengeances sans fin dans les zones des conflits, la banalisation des assassinats et les torrents d’insécurité dans une ville comme Goma, la culture de la violence avec ses viols permanents, ses terreurs entretenues et ses haines semées dans les consciences, qui ne voit pas que tout cela n’est qu’anéantissement  de tout sens de l’humain et des valeurs de vie dans une région dont les meurtrissures ne cesseront jamais par la guerre ? Malheureusement, il est inquiétant de voir encore certaines personnalités parmi les plus prestigieuses comme Jacques Chirac, Robert Badinter, Federico Mayor, Abdou Diouf, le docteur Mukwege ainsi que la ministre française de la francophonie et la compagne du président de la République française, proposer encore cette voie de guerre en toute tranquillité d’esprit. Dans une déclaration récente, qui circule aujourd’hui dans tous les médias, ces personnalités demandent que la Monusco règle militairement la question du Kivu pour mettre fin aux souffrances des populations et imposer aux groupes armés, particulièrement au M23, une paix à la Françafrique, dans les fracas des bombes, les déflagrations des canons, les fureurs des missiles et la marche funèbre des tanks qui iraient jusqu’à décourager et à maîtriser le pays qui est soupçonné d’être le vrai soutien aux rebelles et le vrai commanditaire de la guerre du Kivu : le Rwanda. L’intention est louable peut-être et elle relève sans doute de bons sentiments d’indignation et de révolte, mais elle est fondée sur une analyse courte, étroite et, pour tout dire, fausse. Une analyse qui réduit la guerre du Kivu à une simple question d’intérêts économiques autour des richesses immenses de la RDC, alors que la situation est plus complexe et ses enjeux plus vastes. Il faut aujourd’hui creuser plus en profondeur et regarder plus loin vers l’avenir du Congo et de la région des Grands Lacs, si l’on veut des solutions durables au drame de la RDC.
La voie politique d’alliances hautement médiatisées et de ruptures fracassantes, tout aussi hautement  médiatisées, entre le Congo et le Rwanda, n’a pas non plus abouti à une paix durable, du moins jusqu’à ce jour. La raison en est qu’il n’y a pas sur cette voie, telle qu’elle est pratiquée actuellement, une prise en charge concrète du bien commun des peuples du Rwanda et du Congo comme base d’une politique intelligente, guidée par une sagesse des valeurs fondamentales. Une sagesse qui refuserait les mensonges, le double langage, les méfiances et les haines qui tissent aujourd’hui les relations entre les dirigeants de ces deux pays. Une sagesse capable d’instaurer une vision des intérêts vitaux communs où devraient être unies toutes les nations des Grands Lacs à partir de l’axe RDC-Rwanda. Il est curieux et surprenant que, dans la déclaration d’éminentes personnalités comme Chirac, Mayor, Diouf, Badinter, Mukwege et les autres, une telle vision ne soit pas proposée en vue d’un dialogue fertile entre les deux pays, autour des grandes attentes des populations, des grandes aspirations de la société et des grands rêves de nos peuples. Attentes, aspirations et rêves où la guerre n’est pas du tout vue comme une solution d’avenir.
Il en est de même de la voie de diplomatie aveugle qui engage aujourd’hui la communauté internationale dans les négociations entre les pouvoirs en place au Congo et au Rwanda, soit dans le cadre de la CIRGL pour l’envoi d’une force militaire neutre sur le terrain, soit dans l’implication de la SADC comme arbitre possible dans le conflit, avec des contingents militaires lourdement armés, soit dans les rapports d’experts des Nations unies toujours plus prompts à attiser le feu de la guerre qu’à insuffler une dynamique de paix durable. Parce qu’elle mise sur l’usage de la force militaire comme solution au lieu d’ouvrir l’horizon d’une paix fondée sur un vrai sens de responsabilité politique de la part des dirigeants ; parce qu’elle ignore les vrais intérêts des peuples au profit du pouvoir en place en RDC, cette voie est devenue un cul-de-sac et un sarcophage pour nos espérances. Il est incroyable que Chirac, Diouf, Badinter, Mayor, Benguigui, Mukwege, Kidjo et les autres, entraînés par la plume vive de M. Eric Orsenna et par son humanitarisme sentimentaliste dénué de tout sens de l’analyse lucide des problèmes, n’aient pas vu qu’une diplomatie des bombes et des tanks ne peut résoudre en profondeur les problèmes que pose la guerre du Kivu.
En vérité, si l’on veut sortir du sarcophage et casser la logique du cul-de-sac qui caractérisent les voies militaires, politiques et diplomatiques qui font de l’usage des armes une solution alors que cet usage est, en lui-même, un problème, il est impératif de se consacrer à une analyse claire, rigoureuse et globale de la situation, avec un regard fructueux sur la manière dont le Rwanda et le Congo, du point de vue des dirigeants comme du point de vue des populations, regardent, considèrent et problématisent leurs relations, au sein des récits qu’ils promeuvent publiquement concernant les sources et les enjeux des différends qui les opposent.    


Le récit congolais sur la guerre du Kivu

Le récit congolais sur la guerre du Kivu est une trame bien connue aujourd’hui. Il se déroule et s’étire sur une vaste lame de fond ardemment  aiguisée par mille intrigues et péripéties selon le narrateur. En le considérant comme un récit fondateur d’une logique socialement partagée en RDC, on peut le reconstruire, globalement, de la manière suivante :

Après le génocide, raconte-il, le pouvoir rwandais s’enfonça dans la logique du tout-sécuritaire et d’anéantissement de toute menace de déstabilisation de son espace par ce que l’on a désigné, dès ces temps-là, par le terme de forces négatives.  Une guerre de traque implacable de ces forces négatives sur le sol congolais fut déclenchée, avec toute la mécanique destructrice indispensable. Les forces négatives s’organisèrent à leur tour et mirent sur pied une machine guerrière sur le sol congolais : la machine dite des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR).
Mais les deux machines guerrières, celle du tout-sécuritaire au cœur du Rwanda et celle des forces génocidaires rwandaises à l’intérieur du Congo, loin de s’affronter dans leurs enjeux rwando-rwandais, se muèrent vite en rouleau compresseur destructeur pour le Congo. Leur guerre devint vite une guerre contre le Congo.
Ici le récit prend la tonalité de haine congolaise contre cette subversion du sens de la guerre entre le Rwanda de l’intérieur et les Rwandais génocidaires du Congo. Ceux-ci, devenus un mouvement militairement organisé, s’employèrent à conquérir des espaces vitaux sur le dos des Congolais qui les avaient pourtant fraternellement accueillis, dit le récit. Ils commencèrent à  massacrer les populations congolaises pour occuper leur terre, avec le terrible esprit de destruction dont ils avaient déjà fait montre dans le génocide des Tutsi au Rwanda. Face à ce retournement de la situation contre eux, les Congolais furent contraints de se défendre sur leur propre terre. Ainsi naquit la logique des milices congolaises, destructrices dans leur essence, pour répondre à la destruction dont leurs ressortissants sont victimes de la part des forces négatives rwandaises. Cette logique s’intensifia d’année en année en un volcan de haine contre tout qui est rwandais et en une volonté d’anéantir le Rwanda considéré comme la cause de tous les malheurs du Congo.
Il serait intéressant à ce niveau du récit de signaler un point d’analyse important. Le récit se déroule comme si dans l’imaginaire congolais, le Rwanda était un et qu’il était uniformément perçu par les Congolais, avec une vision claire où les Hutu et les Tutsi seraient traités au même titre comme des ennemis de la nation congolaise. La situation n’a pas été vraiment telle que le récit la présente. Bien avant le génocide, grâce à l’ambiance d’amitié que le régime de Mobutu Sese Sese au Zaïre et celui de Juvénal Habyarimana au Rwanda avaient créée, la politique de marginalisation ethnique des Tutsi au Rwanda n’avait jamais été remise en cause par les Congolais. Elle était même acceptée et l’analyse de l’imaginaire du congolais moyen qui s’intéressait au Rwanda en ces temps-là montrerait aujourd’hui que le Rwandais qui posait problème au Congo n’était pas celui qui appartenait à la tribu au pouvoir au Rwanda, mais celui que le pouvoir avait marginalisé : le Tutsi. Mais cette vérité était longtemps masquée par le fait que Mobutu avait mis à côté de lui un Tutsi comme directeur du Bureau de la présidence, poste d’importance capitale dans le fonctionnement du système politique zaïrois de l’époque. Cependant, le masque, au lieu de fonctionner comme un masque utile, avait plutôt suscité une animosité contre la tribu même que représentait le tout-puissant directeur de cabinet du président de la République, M. Bisengimana Rwema. Ce tutsi était perçu comme l’étranger exploiteur, dont les concurrents à l’intérieur du système mobutiste non seulement jalousaient la réussite, mais mettaient en lumière la présence incongrue au cœur du pouvoir congolais, avec l’argument sournois de nationalité douteuse. Cet argument allait devenir de plus en plus une arme contre tous les Tutsi au Congo, autant ceux qui étaient dans les leviers du pouvoir politique que ceux qui avaient des assises fortes dans les affaires ou dans la propriété foncière. Une congolité anti-tutsi a pu ainsi prendre corps et on a vu à la Conférence nationale souveraine un haut dignitaire de la hiérarchie catholique, Mgr Kanyamachumbi, se faire éjecter de cette instance pour nationalité douteuse, nonobstant le fait qu’il avait la nationalité congolaise, qu’il avait servi toute sa vie l’Eglise du Congo et qu’il avait consacré son sacerdoce et son épiscopat au service du peuple congolais.  On avait vu aussi, bien avant, certains Congolais qui travaillaient au Rwanda au temps de Habyarimana prendre part à l’idéologie ethniciste du régime politique en place et partager sans peine sa vision désastreuse qui allait conduire au génocide des Tutsi. Sous cet angle, l’accueil des Hutu au Congo après le génocide n’a pas eu du tout le potentiel de haine que celui que le réflexe anti-tutsi avait déjà semé dans l’imaginaire congolais. Le récit occulte ce potentiel primordial de haine en présentant le Rwanda sécuritaire de l’intérieur sous la figure du diable exploiteur, en oubliant que c’est grâce à ce diable que le régime de Mobutu est tombé et que Laurent Désiré Kabila a pu prendre le pouvoir. Le récit oublie aussi de dire que les miliciens hutu eurent de soutien de la part des Congolais et que le gouvernement de Kinshasa, juste après le renvoi des soldats rwandais chez eux par Laurent Désiré Kabila, instrumentalisa les milices hutu au Congo pour une déstabilisation du Rwanda à partir du sol congolais. Ces manœuvres de déstabilisation ont montré à quel point le Congo ne fut pas une simple victime pitoyable que le récit présente, mais un acteur dans un système global de violence que l’espace Rwanda-Congo était devenu.
Il peut même être intéressant ici de voir que la diabolisation actuelle du Rwanda comme bloc monolithique dans le récit congolais date exactement, non pas de la première guerre menée par l’AFDL comme mouvement dit de libération, mais de la deuxième guerre lancée par le Rwanda sous la bannière du RCD pour répondre au choix de Laurent Désiré Kabila de se séparer de ses parrains du temps de l’AFDL. L’imaginaire  anti-tutsi fut alors attisé le plus officiellement du monde pour condamner l’agression du Congo. Le Rwanda, celui des Tutsi, devint ainsi l’agresseur, le pilleur, le balkanisateur et le destructeur dans le discours comme dans le champ politique congolais. Dans le chaos des crimes, des carnages, des viols et des violences indescriptibles  que la guerre, dans ses folies, déploya au sein d’un Congo devenu enfer, la construction du récit congolais sur sa situation s’acharna sur les Rwandais de l’intérieur du Rwanda et prit alors tous les Rwandais du Congo pour le cheval de Troie du régime de Kigali. Les ressorts guerriers de la haine meurtrière se tendirent et l’imaginaire congolais devint un imaginaire meurtrier, qui ne peut pas reculer devant un génocide au Rwanda même, si l’occasion lui en était donnée. On peut considérer actuellement que la fixation du discours congolais contre le Rwanda comme ennemi implacable et cause de tous les malheurs du Congo est une manière de cacher la volonté congolaise de détruire ce pays voisin sur la tête duquel on met tous les péchés, tous les vices et toutes les turpitudes du monde, selon une logique de victimisation et de bouc-émissaire que l’anthropologie contemporaine a bien analysée. Selon cette logique, le Rwanda doit mourir pour que le Congo soit uni et construire sa paix et sa prospérité.
Selon le récit congolais chauffé au brasier de l’anéantissement de l’ennemi, le pouvoir rwandais de l’intérieur, dans sa logique du tout-sécuritaire, découvrit que sa force militaire ne pouvait pas seulement servir contre les forces négatives constituées par les compatriotes rwandais génocidaires, mais aussi contre le Congo et pour la conquête du Congo, un immense pays aux richesses infinies, dont les terres et le sous-sol pouvaient servir au règlement du problème démographique au Rwanda et donner au nouveau pouvoir rwandais des réserves gigantesques d’enrichissement.
Ici finit le premier épisode de ce récit congolais pour justifier la guerre comme seule moyen de se libérer de l’étreinte de deux Rwanda : celui, envahisseur,  constitué par le pouvoir rwandais actuel et celui, au cœur même du Congo, constitué par les Tutsi à nationalité douteuse au Congo et les anciens génocidaires militairement organisés sur le sol du Kivu.
Vous avez compris : nous sommes au cœur d’un discours d’un Congo qui se trouve entre le marteau tutsi et l’enclume hutu. Pitoyable victime qui cherche à se défendre sans y parvenir, ignorant que dans les logiques complexes des guerres humaines, ceux qui se croient victimes développent en eux tous les ingrédients pour devenir bourreaux, s’ils restent enchaînés au cycle terrible de la haine et de la vengeance.

Abordons maintenant le deuxième épisode du récit congolais: l’épisode des accords mythiques de Lemera et de la prise militaire de Kinshasa par l’AFDL, sous l’égide de l’armée rwandaise.
Je n’ai jamais vu le texte des accords de Lemera mais le récit congolais leur donne une inquiétante substance, qui nous fait passer de la gestion guerrière de la situation du Kivu à la gestion politique. Le récit couramment colporté au Congo stipule que la chute du régime de Mobutu a été obtenue grâce à la promesse de céder au Rwanda une part du territoire congolais. Promesse qui n’aurait pas été tenue par le président Laurent-Désiré Kabila, dans une monumentale trahison qui a valu à la nation congolaise non seulement une guerre d’agression et de pillage dont le Rwanda a été l’auteur, mais une situation de déstabilisation constante avec des groupes politico-militaires successifs dont les noms sont maintenant connus de toutes les Congolaises et de tous les Congolais : RCD, CNDP et M23. Pour l’opinion congolaise, la situation de guerre permanente dont souffre le pays est due au projet de balkanisation au profit du Rwanda. Un projet dont on ne peut comprendre les tenants et les aboutissants qu’en voyant dans le Rwanda un exécutant d’un ordre qui vient de plus haut et de plus loin, dans un complot international piloté par ceux que les Congolais ne désignent que sous le non générique d’Anglo-saxons, une galaxie d’intérêts militaro-industriels et économico-financiers qui veulent dépecer la RDC pour mieux l’exploiter. Tout le chaos des guerres qui ravagent l’Est du pays, avec la multitude des milices est une entreprise planifiée. Le récit congolais va jusqu’à accuser le pouvoir en place à Kinshasa d’être complice de ce plan, ce qui explique l’impossibilité d’une gestion politique claire de la guerre dans le Kivu.
A ce niveau spécifiquement politique, on constate curieusement qu’au lieu que la guerre soit une guerre imposée au Congo par le Rwanda ou une guerre des milices aux motifs tribalo-ethniques, elle est, dans un certain imaginaire populaire, une guerre de la sphère politico-militaire rwando-congolaise contre le peuple congolais. Le récit est, à ce niveau aussi, celui d’une victimisation de soi dans laquelle les populations congolaises s’enfoncent pour justifier leur propre processus des violences meurtrières exercées par des milices qui prétendent agir en leur nom : Maï-Maï, Raia Mutomboki et beaucoup d’autres non clairement identifiées comme telles. Selon cette logique, les gesticulations des hauts responsables politiques congolais et rwandais ne laissent personne dupe : elles sont au service de la balkanisation du Congo. L’épisode, bien médatisé, du DVD montrant les militaires rwandais dire glorieusement au revoir aux FARDC sous l’œil d’une inspectrice militaire américaine, au moment même où Kinshasa criait à l’agression du pays par le Rwanda, a fait réfléchir plus d’une personne. L’accusation de haute trahison du président de la République par certains parlementaires et le télégramme aujourd’hui diffusé sur l’internet pour montrer jusqu’à quel point le Chef d’Etat congolais joue la carte du Rwanda sont là pour indiquer les limites de l’approche politique pour une solution durable entre les autorités rwandaises et les autorités congolaises. Et si la guerre du Kivu était justement leur carte maîtresse de manipulation politicienne dans un projet dont ils connaissent bel et bien les tenants et les aboutissants, au grand dam du peuple congolais dont on aurait pu dire qu’il est le dindon de la farce, n’eût été la tragédie humaine des carnages dont les conséquences sont loin d’être une farce ! Le comble dans cette tragédie, c’est qu’elle se déroule dans une certaine conception de la politique d’où le peuple est exclu. Une conception d’où est absente également l’idée du bien commun et des intérêts des populations, clef de voûte de toute politique d’humanité et de civilisation.
Au Congo, cette absence est manifeste, même si le peuple congolais ne se rend pas compte que le récit qu’il colporte est une construction idéologique utilisée par le pouvoir en place pour masquer ses pathologies et ses incompétences. Il est intéressant en effet  de poser un regard lucide sur les moments où cette portion du récit sur les accords de Lemera jaillit dans la vie politique au Congo sous le vocable de balkanisation. On l’a vu flamboyer  lorsque Laurent Désiré Kabila voulut se débarrasser de la tutelle de ses parrains rwandais. Elle a resplendi quand le Rwanda fit l’option de s’attaquer aux FDLR dans l’est de la RDC. Elle a été un tonitruant leitmotiv après les élections présidentielles de 2011, quand il s’avéra que le vainqueur réel, aux yeux du peuple,  n’était pas celui qui fut proclamé. Devant la colère d’un peuple auquel le pouvoir en place avait ainsi volé la victoire, ce pouvoir sortit sa chanson fétiche de la balkanisation et de l’agression rwandaise. Tout le monde tomba dans le panneau : l’Eglise, la communauté intellectuelle, l’opposition politique et les forces populaires. La prestidigitation et la mystification furent telles qu’elles enfermèrent l’homme congolais dans la caverne d’une psychologie de la haine et de la victimisation facile.
 Sur cette lancée prestidigitatrice et mystificatrice, les populations congolaises ne virent pas qu’elles devenaient aveugles face à leurs vrais problèmes et que cela arrangeait le pouvoir en place.
Je suis même tenté de dire que la diabolisation du Rwanda nous lavait de la honte que nous devrions éprouver dans le miroir que le vrai Rwanda nous renvoie de nous-mêmes comme peuple face aux réussites de ce petit pays voisin :
-          l’image d’un Congo sans leadership de qualité alors que le petit pays voisin donne l’impression d’avoir un vrai leadership d’ordre, de discipline et d’organisation ;
-          l’image d’une classe politique engluée dans la corruption et l’impunité alors que le petit pays voisin développe une politique réussie en matière de lutte contre la corruption et l’impunité ;
-          l’image d’une nation sans vision d’ensemble des solutions à donner à ses défis fondamentaux au moment où le petit pays voisin impressionne par sa politique en matière d’infrastructures, de santé, d’éducation, de logement et de restructuration de l’imaginaire national.
Quand j’ai entendu le président rwandais parler de son pays en affirmant : « nous sommes un petit pays, mais un grand peuple », j’ai compris qu’il avait en tête un nation voisine, un grand pays, mais un petit peuple. Il posait clairement le problème du Congo dans les termes qu’il convient aux Congolais eux-mêmes de s’approprier pour s’engager la révolution qu’ils doivent faire en eux-mêmes. La révolution de la grandeur d’un peuple qui se dote de l’esprit, du dynamisme et des moyens pour résoudre ses vrais problèmes, au lieu de noyer sa honte dans la haine du voisin.
Lorsque, sur la même lancée, le chef de l’Etat rwandais parle du Congo comme d’un cadavre qu’on est venu déposer devant sa porte afin de l’accuser d’être l’assassin, je suis frappé non pas par son système de défense, mais par la métaphore du cadavre et je cherche à savoir qui a tué le Congo. S’agit-il d’un crime dont Paul Kagame connaît les auteurs sans les nommer ou s’agit-il d’un pays qui s’est suicidé par ses propres incompétences et ses propres étourderies ? Nous sommes là au cœur de vraies questions que la haine du Rwanda dans les cœurs des Congolais occulte.

Pourtant, à certains moments de lucidité, l’homme congolais sent qu’il n’est pas totalement victime. Cela se passe quand il accuse les dirigeant de son propre pays d’être complices des destructeurs du Congo, même s’il ne voit pas que cette hypothèse de complicité devrait conduire à casser le monolithisme interprétatif qui a fait du Rwanda la source de tous les malheurs du Congo. S’il y a complicité des pouvoirs en place à Kinshasa dans la situation de guerre vécue par le Kivu, s’il existe des vérités cachées entre le pouvoir rwandais et le pouvoir congolais à partir desquelles, selon un certain discours congolais, on doit douter de ce que le gouvernement congolais affirme, il devrait s’en suivre une analyse conduisant à une dé-victimisation nécessaire et à la prise de responsabilité des Congolais pour un dialogue interne de vérité et de lucidité.
 Or, ce processus n’a pas pu s’enclencher de manière radicale, malgré des voix qui, ça et là, exigent que le Congo sorte de son aveuglement sur lui-même. La raison pour laquelle un tel processus ne prend pas, c’est le fait que l’orientation du discours congolais est trop marquée par l’affect de destruction du Rwanda, ou plus exactement des Tutsi au pouvoir au Rwanda, pour ouvrir les yeux sur les responsabilités congolaises dans le désastre du Congo et comprendre que le problème du Congo n’est pas Kigali mais Kinshasa.

C’est du fond de ce refus de voir toute la vérité en face que jaillit alors la troisième partie du récit congolais, la partie qui remet en cause la diplomatie mondiale et la capacité des institutions  internationale à agir en  RDC. La force emblématique de cette diplomatie, la Monusco, est perçue de manière négative, globalement parlant. Force inutilement coûteuse et militairement inefficace pour les uns, mission sans objectif convaincant et Club Méditerrané des militaires pour les autres,  elle sommeille, comme dirait François Soudan de l’Hebdomadaire Jeune Afrique, dans une présence perçue comme de plus en plus inutile pour les populations locales. Quant aux rencontres diplomatiques qui se déroulent à Kampala, à Addis-Abeba ou à New-York, le discours populaire les considère avec un sourire sceptique, dans la conviction que l’essentiel ne peut pas se jouer là-bas. Le récit se termine par ce constat tragi-comique.
On voit alors ici l’imaginaire de l’homme congolais s’enfermer dans son système d’interprétation partielle et partiale de sa propre situation. Il est alors l’imaginaire d’un homme dont l’état d’esprit est impuissance pratique pendant que la bouche crache des volcans de paroles contre un ennemi qu’on ne peut pas vaincre. Il faut alors rêver constamment de guerre victorieuse contre cet ennemi, ameuter le monde entier contre lui, rappeler à tout moment ses crimes passés et  présents tout en annonçant ses cruautés futures, attirer les foudres du monde entier contre lui et montrer à tout moment que c’est dans l’être même de ce monstre que réside le mal que l’ont doit éradiquer. C’est un discours de génocide psychique qui s’est emparé de la RDC et auquel personne ne fait sérieusement attention mais qui fragilise le Congo lui-même dans ses capacités créatrices et organisatrices, dans la perspective d’une paix vraiment durable avec le Rwanda.


L’ambition de la parole rwandaise

Et côté Rwanda ? « Ne cherche pas à savoir s’il y a un discours public rwandais sur la guerre du Congo, m’a dit un intellectuel congolais dans un débat à Kinshasa ; ce pays-là est une caserne et tout le monde y murmure seulement ce que le pouvoir murmure lui-même pour séduire le monde ou vocifère pour faire peur aux Congolais. » J’ai voulu lutter contre ce cliché significatif et j’ai posé souvent à mes connaissances rwandophones du Congo et à mes proches amis rwandais la question de savoir comment les Congolais rwandophones et l’intelligentsia militaro-politique du  Rwanda interprètent la crise du Kivu et l’implication rwandaise dans cette guerre. Je n’ai pas obtenu un récit unique partout répété.
J’ai eu avant tout un certain regard de pitié et une réflexion de tristesse désolée : « Il n y a rien à faire dans un pays comme le Congo, sans Etat, sans infrastructures, sans grand leader ni gouvernance digne d’un pays moderne ? » L’officier rwandais qui parle ainsi se défend de porter un quelconque jugement de valeurs. Il porte un regard froid sur une situation et regrette seulement que cette situation soit ainsi pour un pays qui a tout pour réussir.
A cet acte de pitié lourde s’ajoute parfois une interrogation déprimante. Cette interrogation, un penseur rwandais l’a ainsi formulée devant un parterre des parlementaires de son pays engagés sur la voie de la recherche de la paix dans les pays des Grands Lacs : « Et si le Congo refusait la libération ? » a-t-il demandé. « Nous avons fait tout  ce que nous pouvons comme Rwandais pour renverser Mobutu et donner à la société congolaise l’occasion de construire sa liberté. La liberté n’est pas là. A sa place ce sont des guerres sans fin. »
Quand j’ai osé poser la question de la place du Rwanda dans ces guerres, j’ai eu des justifications qui sonnaient comme des injonctions pour une action qui va dans le sens de l’histoire. « Il faut que les tribus congolaises du Kivu reconnaissent l’espace vital des Rwandophones au cœur du Congo comme une réalité historique, avec des Hutu et des Tutsi qui sont bel et bien congolais, sans contestation possible que cache le terme de nationalité douteuse. » La phrase m’a frappé par sa fermeté et sa suite m’a sonné par son acuité : « Nous sommes congolais et nous défendrons notre congolité envers et contre tout ». Logique guerrière donc, et assumée comme telle. Je n’ai jamais oublié cette réponse, elle est à interpréter sans doute, côté congolais, comme le masque de la volonté rwandaise de se servir des ressortissants hutu et tutsi du Congo comme prétexte pour une guerre de conquête, d’agression et de pillage systématique.   
Je n’ai pas non plus oublié cette autre réponse : « l’horizon congolais est vital pour les Rwandais, à court, à moyen comme à long terme, démographiquement parlant. La loi des migrations pour des raisons de vie et de survie est une constante historique des mouvements des peuples. Si on ne veut pas une solution pacifique devant cette loi, la guerre l’imposera tout de même. Les Congolais devraient comprendre cela un jour ou l’autre, de gré ou de force. » C’était vif et net, clairement et distinctement dit par une intellectuelle outrée d’entendre dire partout au Congo que les Rwandais sont maîtres dans l’art de la dissimulation, du mensonge et du double langage.
Revendication identitaire et nécessité vitale, j’avais là les deux lames de fond qui me semblaient pouvoir justifier une certaine vision de la présence rwandaise dans la guerre du Kivu. Avec ses logiques guerrières, ses élans dévastateurs, ses volontés de puissance pour un Rwanda nouveau, celui qui se construit sur les charniers du génocide de 1994 et qui a décidé de remonter du fond de son gouffre pour devenir une nation digne et respectable, contrairement au Congo qui est, lui, sur la pente de sa descente aux enfers depuis Mobutu jusqu’à aujourd’hui, par manque de force de grandeur, par accoutumance aux médiocrités de toutes sortes et par habitude du malheur et de l’autodestruction.
Lorsque j’ai discuté avec un autre intellectuel rwandais sur la dimension guerrière du discours que j’ai entendu sur l’avenir des relations entre le Rwanda et le Congo, il m’a dit : « Il y a trois dimensions du problème. Une dimension interne au Rwanda, elle concerne la construction d’une politique de sécurité et de développement. Il y a une dimension interne au Congo que vous-même, professeur Kä Mana, vous désignez par le terme d’imbécillité congolaise, le refus de construire une vraie politique de sécurité et de développement au service de la population. Et il y a la dimension de l’intrusion des forces extérieures au Rwanda et au Congo, pour des raisons géostratégiques ou pour des logiques mafieuses. La guerre est attisée et justifiée par ces trois dimensions et chaque partie cherche à y tirer ses marrons du feu, sauf le Congo, sans doute, perdue dans les irrationalités, les étourderies, les miasmes et les folies de son imbécillités. Je reprends vos mots, professeur Kä Mana ». 
Dans le contexte d’un tel discours qui oppose manifestement deux imaginaires politiques et sociaux, celui du Rwanda, ambitieux, froid et réaliste d’une part, et d’autre part, celui du Congo, incohérent, désordonné, sans boussole ni ambition au sein d’un contexte mondial compétitif et sans pitié, on ne peut pas croire le pouvoir rwandais quand il parle comme s’il n’avait aucun intérêt au Congo aujourd’hui. Comme si la guerre du Congo n’avait d’enjeu que congolo-congolais, sans que l’avenir rwandais ne soit du tout concerné non seulement pour des motifs sécuritaires à court terme, mais pour les enjeux vitaux du futur, dont une guerre victorieuse au Congo garantirait une certaine tranquillité intérieure et un développement véritablement durable construit par un peuple qui veut être grand, prospère et dominateur. Un peuple dont les dirigeants ambitionnent de se donner tous les moyens utiles et indispensables à cet effet : les moyens militaires, les moyens politiques, les moyens économiques et les moyens diplomatiques, dans un pragmatisme et un réalisme politiciens toujours pas conformes aux valeurs et aux exigences d’humanité profonde.

Dans les logiques de profondeur

Tout ce que je viens d’évoquer comme récit au Congo et comme logique d’action au Rwanda, tout le monde le sait, tout le monde peut aujourd’hui le constater sans effort, si l’on ouvre les oreilles et le cœur au drame du Kivu.
Et pourtant, tout le monde cherche les causes profondes de la guerre, comme si tout ce j’ai présenté jusqu’ici n’était que des causes de surface. J’ai mis beaucoup de temps à interpréter cette quête des causes profondes en vue des solutions profondes. J’ai longtemps pensé que l’on parlait des causes profondes pour fuir des évidences et pour ne pas parler concrètement de ce qu’il fallait faire d’urgence ici et maintenant. J’étais dans cet état jusqu’au jour où, devant un journaliste congolais zélé qui me racontait pour la millième fois le récit congolais tel que je l’ai reconstruit dans cette réflexion, je me suis entendu moi-même articuler cette étrange question :
-          Pourquoi me racontez-vous tout que vous me racontez là ?
-          Pour que vous compreniez ce qui se passe vraiment dans le Kivu.
Mes yeux s’ouvrirent et mon esprit saisit tout d’un coup le problème de fond qui échappe à l’attention et que la logique de type philosophique peut aider à clarifier : la recherche des rationalités propres à un discours dans une situation d’échanges entre les personnes. Il s’agit, en fait, de chercher à comprendre le récit que l’on fait de soi à travers une grille scientifique qui en dévoile quatre dimensions essentielles mises en lumière par les sciences de la communication[1].

Voyons ces quatre dimensions telles qu’elles opèrent dans l’imaginaire congolais.
La première dimension est la dimension narrative. Le philosophe congolais Jean-Baptiste Malenge Kalunzu, qui est expert en sciences de la communication, la définit comme la dynamique par laquelle on construit sa vie comme une totalité dans le devenir, en mettant l’accent sur la raison profonde qui fait vivre et qui fait agir. Si, dans sa relation avec le Rwanda, le Congo se raconte comme il se raconte, le récit n’est pas un neutre exposé des souffrances et des malheurs, mais une volonté manifeste de faire de la guerre une nécessité vitale et de la justifier par les tragédies et les carnages qu’elle a causés. Il ne vise pas à sortir de la guerre, mais à l’attiser par une activation permanente de sa nécessité. En s’accoutumant à ce récit, l’homme congolais se conforme et s’offre à la logique de la guerre, comme si toute perspective de la paix lui était impossible.
La deuxième dimension est la dimension argumentative du récit. Elle consiste, toujours selon Malenge Kalunzu, à convaincre l’interlocuteur de la solidité, de la pertinence et de la fécondité de ce que l’on affirme. Pour cela, le recours aux images chocs et aux forces émotionnelles de fond est de rigueur. On doit décrire tout ce qui suscite la colère, la pitié et la justification de la vengeance. La guerre devient alors quelque chose d’indispensable : elle cesse d’être un acte de sauvagerie et de barbarie pour devenir un état d’esprit justifié et justifiable, comme si tous les carnages et tous les naufrages de l’humain qu’elle entraîne devenaient tout d’un  coup compréhensibles ; comme s’ils ne sont, en fait, que des actes de vengeance masqués sous le vocabulaire d’une volonté de libération. Quand le récit congolais sur les crimes du Rwanda au Congo, armée rwandaise et FDLR compris, se sert de ces crimes comme socle pour une guerre de libération du pays, il ne se rend pas compte que la guerre c’est la guerre et qu’il ne suffit pas de la justifier pour qu’elle devienne un acte de paix. Surtout quand d’autres possibilités de paix existent et qu’on ne les met même pas dans la trame même du discours sur l’avenir.
C’est ici que, selon Malenge Kalunzu, la troisième dimension de tout récit en situation d’échange entre personne devient capitale : la dimension constructrice. Dans le cas du récit congolais, nous sommes dans une situation où on ne se rend même pas compte que le récit construit un type d’être, une force de personnalité. Qu’il est un formatage guerrier des esprits, des consciences et des cœurs. Qu’il est une arme de guerre au service d’un projet de guerre excluant tout dialogue de paix pour la paix et toute possibilité de construction d’un ordre social de paix.
Quand on comprend cela, on peut atteindre la quatrième dimension à laquelle Malenge Kalunzu nous convie : la dimension interprétative, celle grâce à laquelle on voit bien ce que visent les trois premières dimensions.  Selon cette dernière dimension, on voit que le discours est producteur d’une mentalité susceptible de devenir vite une pratique, que cette pratique entretient elle-même le discours dans une inter-fécondation mutuelle devenue un cercle vicieux : le cercle même des paliers les plus profonds de l’être. Cette guerre est ainsi dans l’esprit des hommes qu’elle produit et qui la produisent.

           
Et qu’en est-il, en ce qui concerne en profondeur l’imaginaire rwandais ?
A l’analyse du récit congolais tel que je m’y livre ici correspond une analyse des convictions profondes que j’ai entendues du côté du Rwanda. Comme il ne s’agit pas d’un récit, mais plutôt d’affirmations péremptoires qui jouent comme des hypothèses de travail et des pétitions de principes pour l’action, je ne vais pas leur appliquer la logique des sciences de la communication. Les réponses des intellectuels rwandais sur la guerre du Kivu renvoient plus à un besoin d’action, à la dynamique d’une action concrète qu’à celle d’un discours justificatif ou évaluatif. Pour en comprendre le sens, je vais me fonder sur un autre type d’analyse, inspirée de la rationalité sociologique développée par le grand sociologue allemand  Max Weber sur les types d’action.
Max Weber distingue quatre types d’action liés chacun à une rationalité spécifique : l’action rationnelle par rapport à un but, l’action rationnelle par rapport à une valeur, l’action affective ou émotionnelle et l’action traditionnelle.
L’action rationnelle par rapport à un but est « définie par le fait que l’acteur conçoit clairement le but et combine les moyens en vue d’atteindre celui-ci ».  C’est « celle de l’ingénieur qui construit un pont, du spéculateur qui s’efforce de gagner de l’argent, du général qui veut remporter la victoire. » Pour le Rwanda, la guerre au Kivu a dès le départ obéi à ce type d’action rationnelle. Les buts étaient clairs autant que les moyens étaient conséquents. Une organisation militaire dans un pays militairement ordonné visait une sécurisation intérieure par la maîtrise des frontières après le génocide. Mais cette machine de la rationalité militaire s’est emballée depuis la chute de Kinshasa, les conflits avec Laurent Désiré Kabila, le soutien de celui-ci aux FDLR, les aléas politico-militaires du RCD, du CNDP et aujourd’hui du M23. On est entré dans les exigences de revoir les stratégies à chaque instant, de redéfinir les objectifs et de ne plus savoir manier la machine militaire de manière conforme à des buts partout acceptables dans le monde. Au Congo aujourd’hui, ce n’est plus le Rwanda qui mène la guerre, c’est la guerre qui mène le Rwanda. Nous assistons à un phénomène de brouillage stratégique qui échappe aux acteurs.
Sur l’action rationnelle par rapport à une valeur, voici ce qu’écrit Max Weber :
« Elle est celle du socialiste allemand Lassalle se faisant tuer dans un duel, ou celle du capitaine qui se laisse couler avec son vaisseau. L’action est rationnelle non parce qu’elle tend à atteindre un but défini et extérieur, mais parce ce que ne pas relever le défi ou abandonner un navire qui sombre serait considéré comme déshonorant. L’acteur agit rationnellement en acceptant tous les risques, non pour obtenir un résultat extrinsèque, mais pour rester fidèle à l’idée qu’il se fait de l’honneur. »
Dans la guerre du Kivu, il y a eu à plusieurs reprises une question d’honneur pour le Rwanda, liée à la haute idée que les nouvelles autorités politiques se faisaient de leur puissance, de leur dignité, de leurs ambitions et de leur volonté d’entrer dans l’histoire. La question des FDLR et de leur neutralisation était une question d’honneur ; l’exigence de laver l’humiliation des troupes rwandaises chassées du Congo était une question d’honneur ; la garantie de sécurité pour les Tutsi congolais menacés de « solution finale » dans leur propre pays était une question d’honneur. Quand on a conscience de se battre pour l’honneur, la guerre est un instrument qui vous possède plus que vous ne la posséder. Et quand on a, comme le Rwanda, les moyens et la force militaire de la faire, on n’y va sans trop se poser de questions, même si on se rend compte que la cause rwandaise de l’honneur n’est plus acceptée dans l’ordre mondial actuellement. On cherche alors à agir par d’autres moyens : la politique et le lobbying diplomatique, par exemple : avec l’investissement militaire du pays dans les troupes des Nations unies dans les zones de conflits ou le succès d’entrer au Conseil de Sécurité comme membre non permanent.
On le fait alors dans la logique de l’action émotionnelle, « celle qui est dictée immédiatement par l’état de conscience ou par l’humeur du sujet. » Quand le Rwanda répond aux accusations de soutenir le M23 en exhibant ses militaires à côté des FARDC dans une ambiance bon enfant, il fait la guerre émotionnelle. Quand le président Kagame claque la porte des négociations de New-York pour répondre aux maladresses du Secrétaire général Ban Ki-Moon, il fait la guerre émotionnelle. Une guerre liée à tous les souvenirs douloureux et inacceptables des soldats de l’ONU qui ont assisté sans réagir au génocide, qui ont vu des femmes, des hommes, des vieillards et des enfants tutsi exterminés  sans rien faire et qui veulent maintenant s’ériger en donneurs de leçon au Rwanda du haut des bureaux lambrissés de New-York. C’est à des occasions émotionnelles pareilles que l’on comprend que cette guerre du Kivu n’est pas une simple question d’affrontements militaires et des déflagrations immédiates. C’est aussi une question d’émotions fortes, d’affects profonds que l’on ne contrôle pas et que l’on ne peut pas contrôler côté rwandais dans l’idée négative que l’on a des autorités congolaises et du désordre congolais. Même quand les armes se taisent, la guerre entre le pouvoir rwandais et le pouvoir congolais continue parce qu’elle est déterminée par des conditionnements émotionnels liés à des préjugés négatifs inflammables.
Ce sont ces préjugés négatifs qui nous renvoient à ce que Max Weber appelle l’action traditionnelle, « celle qui est dictée par des habitudes, des coutumes, des croyances devenues comme une deuxième nature ». Les autorités rwandaises actuelles s’inscrivent dans une tradition des victoires militaires qui est devenue pour elles une seconde nature, depuis la guerre d’indépendance au Mozambique jusqu’à la prise de Kinshasa, en passant par la guerre de l’Ouganda qui installa Museveni au pouvoir.  Selon cette tradition, tant que l’actuelle guerre du Kivu ne débouche pas sur une victoire claire et nette sur les FDLR, tant qu’elle ne se conclut pas sur la sécurité absolue des Tutsi congolais et de toute la communauté rwandophone de la RDC et sur des relations rwando-congolaises conformes aux attentes et aux ambitions du Rwanda, elle continuera, sous une forme ou sous une autre. On voit que dans cette logique aussi, nous sommes dans une guerre qui fait les hommes au lieu d’être faite par les hommes.

La corruption de l’être par la guerre

Nous atteignons maintenant le fond du problème. L’analyse du récit congolais et des logiques de l’action au Rwanda nous conduit à comprendre que derrière les enjeux politiques, économiques, sécuritaires et géostratégiques visibles à l’œil nu aujourd’hui, le problème de fond est celui de la corruption de l’être par la guerre dans l’imaginaire rwandais comme dans l’imaginaire congolais. J’entends par corruption de l’être une maladie dont les symptômes dévastateurs sont les suivants :
-          la pollution du regard : l’incapacité de voir l’autre comme une personne tout simplement, un être dont le visage, comme dirait Emmanuel Levinas, me convoque à la responsabilité de la réussite de notre rencontre ;
-          la pollution du langage que l’on tient sur l’autre, à travers les mots, les expressions et les modulations linguistiques  ravageurs et meurtriers, où l’autre est soit diabolisé, soit méprisé, soit détesté dans ce qu’il est et pour ce qu’il est :
-          La pollution de la pensée, c’est-à-dire l’impossibilité de réfléchir avec des véritables catégories d’humanité comme des déterminants fondamentaux d’une relation basée sur les valeurs d’humanité.
-          La pollution des utopies, notamment la capacité de l’imagination créatrice à rompre avec l’ordre du négatif pour projeter un avenir du bonheur partagé aux échelles économiques, financières, politiques, sociales et culturelles.
Si l’on est profondément attentif au regard, au langage, à la pensée et aux utopies qui portent les relations entre le Rwanda et le Congo, on n’aura pas de difficultés à déceler les symptômes dont je parle. Dans une récente étude de Pole Institute sur la manière dont les Rwandais et les Congolais se voient et se considèrent les uns les autres, tout ce que l’on pouvait classer dans la catégorie du bien relevait du niveau de surface, c’est-à-dire des qualités qui n’engagent vraiment pas l’être profond, du type sape et musique chez les Congolais, ordre et discipline chez les Rwandais. Mais dès qu’on abordait les paliers des valeurs profondes de l’être, on pénétrait dans l’enfer de la dépréciation implacable, du type : culture du mensonge et de la dissimulation pour décrire les Rwandais ; culture de l’imbécillité (peuple sans cerveau) et de l’immoralité (peuple sans normes) pour décrire les Congolais. On devine bien, avec de telles amabilités injurieuses, que les utopies que l’on promeut ne peuvent être ni celles  de l’être-ensemble dans la prospérité, ni  celle du vivre-ensemble dans la paix, ni celle du rêver-ensemble un avenir d’inter-fécondation enrichissante.
Quand je dis qu’il s’agit là d’une maladie de l’être dans l’imaginaire des deux peuples aujourd’hui, je veux insister sur le fait que ce cancer se métastase aux trois niveaux essentiels de la vie d’un peuple : le niveau de l’inconscient ou du subconscient collectif, le niveau du moi ou de la personnalité communautaire et au niveau du surmoi ou des institutions politico-sociales qui régulent l’ensemble de la société. Je précise : ce dont je parle constitue des conditionnements dont on ne peut pas ne pas se rendre compte, mais cela se dévoile fortement dès qu’on se met à analyser les attitudes, les pratiques et les discours dans les deux pays, surtout en cette période de la guerre du Kivu comme dynamique révélatrice.
Quand on parle des causes profondes de la guerre aujourd’hui, c’est du côté de cet être qu’il faut se tourner, pour imaginer des solutions de profondeur, celles qui ne s’accrochent pas aux causes passées, mais plutôt à leurs réalités actuelles qui sont celles d’une maladie de l’être. Il suffit de regarder l’image que les médias congolais ont donnée de leur pays à tous les participants au XIVe Sommet de la Francophonie et à tous les pays du monde par le canal de la télévision pour voir à quel point l’inconscient collectif, le moi communautaire et le surmoi institutionnel du Congo n’ont que le Rwanda et sa diabolisation comme préoccupation fondamentale, comme si le Congo n’avait pas de richesses hautement magnifiques à montrer au monde aujourd’hui. De même, il faut regarder l’orientation actuelle de la diplomatie rwandaise dans le monde pour constater à quelle point le Congo y est comme une obsession négative. Ce sont là les effets d’une guerre qui est le principal conditionnement de l’imaginaire : une pathologie de l’être.

Les forces de la paix : une autre destinée est possible

Si j’ai conduit mon analyse jusqu’à ce niveau de l’être profond, c’est parce que je suis convaincu que les solutions à proposer  appartiennent aux forces qui sont chargées, dans les deux pays, des domaines les plus essentiels dans la vie profonde d’un peuple : l’éducation, la science et la culture.
Ce sont les domaines par excellence du monde du savoir et de la connaissance (les universités, notamment), des forces religieuses (les Eglises selon toutes leurs orientations confessionnelles) et des dynamiques de l’action culturelle (la littérature, le théâtre et la musique (par exemple). Je ne minimise ici ni les enjeux politiques ni les tenants et les aboutissants économiques. J’affirme seulement leur secondarité dans le contexte d’une guerre qui est devenue une machine infernale auto-productrice et une  maladie profonde de l’être, comme c’est le cas au Kivu aujourd’hui. Avec le poids des arrière-pensées sur lesquelles personne ne songe aujourd’hui à travailler pour détruire leur venin ici et maintenant, dans la perspective de permettre l’émergence d’un nouveau subconscient socioculturel fécondé par un arrière-fond d’idées et d’images positives, à court, à moyen et à long terme.
Dans un tel contexte, la science, l’éducation et la culture sont le plus susceptible d’affronter les enjeux les plus fondamentaux de la paix entre le Rwanda et la RDC. A Savoir :
-          La conversion du regard et du langage sur l’autre d’abord. A travers un travail de fond dans la connaissance des richesses du voisin, surtout maintenant où les traitements inhumains commis par les acteurs des deux côtés ont montré à quel point la barbarie nous est commune et sa justification très facile pour se donner bonne conscience au Congo comme au Rwanda. Ce n’est pas avec le regard de haine, le langage de déshumanisation qu’on arrivera à rompre avec ses ressorts de la barbarie, mais avec une science de la connaissance positive de nos richesses communes et une éducation à la construction d’une paix durable pour que ces richesses deviennent source du bonheur partagé, sans qu’un tel horizon se délite en vœux pieux.
-          La conversion de la pensée et des utopies ensuite. A travers des Facultés universitaires, des centres culturels, des manifestations artistiques et des initiatives populaires fortement orchestrées, il faut que l’on arrive à faire que ce ne soit plus la guerre qui mène les deux pays dans leurs imaginaires mais les hautes idées de paix et de développement commun durable.
-          A cette dimension de déconditionnement du regard, du langage et des utopies dans le contexte actuel, il y a lieu d’ajouter un reformatage global de l’imaginaire de deux pays, dans le sens de la guérison de traumatismes, de blessures et de meurtrissures par un travail sur nos mémoires pathologiquement atteintes et sur nos identités devenues meurtrières, consciemment ou inconsciemment. Un regard nouveau est possible, dans ce sens. Un langage nouveau aussi. Tout comme une pensée nouvelle et de nouvelles utopies. Avec un nouvel impact sur nos inconscients ou nos subconscients collectifs réciproques, nos « moi » communautaires et nos « surmoi » institutionnels.
Ces dynamiques de guérison de l’être et de reformatage de l’imaginaire, toutes les structures éducatives dans  la Région des Grands et toutes les forces éprises de paix ont le devoir d’en ouvrir les horizons et d’en  produire les mécanismes, dans un labeur d’organisation et d’invention qui est leur tâche la plus urgente.
Si ce labeur se fait, on pourra déceler les vrais problèmes sur lesquels il faut aujourd’hui se concentrer pour les résoudre selon des perspectives de solutions viables.
Ces problèmes et ces solutions, une lettre adressée au Secrétaire général des Nations unies par un groupe de chercheur, d’universitaires, d’artistes et d’experts de tous horizons les a inventoriés avec succès[2]. A leurs yeux et dans une analyse visant les profondeurs du problème rwando-congolais dans sa globalité aujourd’hui, la meilleure façon de contribuer à la paix et à la sécurité dans la région des Grands Lacs consisterait, entre autres :
-       à décourager tout appui du Rwanda au M23 afin de  permettre aux communautés congolaises d’initier des discussions de fond sur leurs problèmes nationaux ;
-       à décourager toute association du Congo avec le FDLR et tout soutien du gouvernement congolais aux groupes armés qui sévissent  actuellement sur son territoire :
-       à s’attaquer à tous ces groupes armés et aux logiques qui en alimentent l’esprit destructeur ;
-       à prendre au sérieux les légitimes revendications sécuritaires du Rwanda ;
-       à œuvrer sans relâche pour un rapprochement entre les gouvernements du Congo et du Rwanda ;
-       à favoriser un échange franc et respectueux entre les forces intellectuelles, éthiques et spirituelles rwandaises et congolaises pour qu’elles initient et promeuvent un « vivre-ensemble » fertile entre les communautés ;
-       à initier des solutions qui intègrent les différents paramètres de la crise à l’Est du Congo
-       à réexaminer les accords occultes entre le  gouvernement congolais et  les compagnies minières opérant sur son sol,
-       à exiger une gestion saine des ressources du Congo par l’Etat congolais,
-       à diligenter une enquête sur le clientélisme et l’enrichissement illicite de la classe dirigeante congolaise actuelle, afin d’impulser une dynamique de gouvernance saine en RDC ;  
-       à privilégier la  voie du dialogue initiée par la conférence des Grands Lacs  et non les menées bellicistes qui risquent de provoquer une grande guerre africaine aux conséquences incalculables ;
-       à protéger des communautés marginalisées prêtes à s’enrôler par désespoir dans des rébellions sans lendemain ;
-       à défendre l’intangibilité des frontières congolaises, conformément aux vœux du peuple congolais convaincu de la communauté de destin de toutes ses composantes ethniques ; 
-       à lier la notion d’intangibilité des frontières aux droits des communautés propriétaires de leurs terres à vivre tranquillement et en toute sécurité dans leur pays en tant que citoyens congolais  de  plein droit ;
- à améliorer les méthodes de recrutement des enquêteurs de l’ONU dont les rapports ont une si grande influence sur le cours des évènements. Il est hautement souhaitable de veiller à ce qu’ils ne soient engagés qu’à l’issue de procédures transparentes et contradictoires, de nature à écarter tout risque ou soupçon de partialité de leur part.
Si l’on s’inscrit dans une logique éducative qui considère les problèmes de fond et cherche à les résoudre selon les dimensions ainsi définies, une autre politique rwando-congolaise sera possible, ainsi qu’une nouvelle vision des relations économiques entre la RDC et le Rwanda, sans que le Congo ait peur d’être pillé et spolié ni les Rwandais d’être en insécurité permanente face aux forces négatives, asphyxiés dans un espace étroit et sans horizon de richesses et de développement à long terme.


Kä Mana
Président de Pole Institute





[1] C’est dans le très lumineux livre de Jean-Baptiste Malenge Kalunzu, Philosophie africaine, Philosophie de la communication (Kinshasa, Baobab, 2011) que j’ai découvert ces dimensions mises en lumière par le philosophe français Jean-Marc Ferry. J’en ai fait une grille actuelle de compréhension du discours congolais et de ses significations.
[2] Cette lettre a été écrite sous l’impulsion  de Boubacar Boris Diop, (romancier, enseignant à l’Université de Saint-Louis, Sénégal), Kä Mana (philosophe, analyste politique et théologien, professeur à l’Université évangélique du Cameroun et à l’Institut catholique de Goma, RDC), Jean-Pierre Karegeye (professeur assistant au Macalester College, Minnesota, USA), Kously Lamko (directeur de la Casa Hankili Arica, Centro Historico in Mexico, Mexique),  Aloys Mahwa ( Chercheur à l’Interdisciplinary Genocide Studies Center, Kigali, Rwanda) et Wandja Njoya professeur assistant à Dastar University, Nairobi, Kenya).

2 commentaires:

  1. à ceci il faut envisager la formation d'une nouvelle classe d'élite congolaise: priorité!

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  2. le syndrome de la jeune fille violée dans toute sa splendeur.

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