vendredi 1 février 2013

La RDC au risque de son avenir






La RDC au risque de son avenir

Pour une pédagogie de la transformation sociale et du changement politique positifs

Par Kä Mana

Si l’on cherche à comprendre la vie de la RDC à partir des faits majeurs qui ont marqué les esprits et dominé l’espace de la société en ce début d’année 2013,  trois événements s’imposent à l’analyse et à la réflexion.

Kampala : quand on ne sait pas ce que l’on négocie
Le premier événement, ce sont les pourparlers entre le M23 et le gouvernement à Kampala. Ce processus de négociation pour la paix à l’Est de la RDC a repris dans une ambiance de tangage entre l’espoir, les désillusions, les revendications foisonnantes, les méfiances et les incompréhensions irrémédiables entre les deux camps et l’impression d’un manque de volonté d’aborder les vrais problèmes de la nation sur la base des enjeux de fond qui intéressent le destin du peuple congolais.
            Du côté du M23, la question de savoir ce que la rébellion négocie véritablement à Kampala n’a de réponse ni claire ni convaincante aujourd’hui. A un moment, le discours du M23 a été celui d’une force de révolution qui veut le changement radical de l’ordre politique et social, dans une visée de rupture totale avec la vision de l’Etat, de la gouvernance, de l’esprit et des ambitions incarnées par le régime en place à Kinshasa. A un autre moment, la rébellion a semblé vouloir se contenter d’une portion du territoire congolais à administrer et elle devait négocier alors une sorte de décentralisation à son avantage ou de fédéralisme qui ne remettrait pas en cause l’unité du pays. On sentit alors planer sur les négociations des rumeurs d’une division masquée que les journaux à sensation à Kinshasa qualifièrent de balkanisation en marche. Après la vague du discours sur cette orientation décriée par les populations, la rébellion s’est engagée dans un virage tendant à donner d’elle-même l’image d’un mouvement prêt à dé-radicaliser ses exigences, au nom des intérêts du peuple congolais. Ce peuple dont l’aspiration majeure est la paix immédiate, qui commencerait par un cessez-le-feu unilatéral. Dans une initiative de charme et de séduction, le M23 mit au cœur de ses revendications ce cessez-le-feu qu’il appliqua tout de suite afin de permettre au dialogue de se poursuivre à partir d’une relecture des accords signés entre le CNDP et le gouvernement un certain 23 mars 2009, à l’hôtel Ihussi à Goma. On ne devait plus négocier  les perspectives des changements révolutionnaires pour une réorientation globale de la destinée du peuple et du pays, mais des points précis sur ce que la rébellion devrait avoir comme garantie pour s’intégrer dans l’ordre politique et social existant, en un jeu de partage du pouvoir et des avantages que la participation au pouvoir rend possible. Le regard ne devait plus être tourné vers l’avenir ni déterminé par le souci de l’avenir, mais vers le passé, celui du beau temps où le CNDP, ses chefs et ses militants rêvaient d’être des leviers importants dans la gestion de la RDC et de ses institutions essentielles. La revendication emblématique de ce virage est celle que propose la rébellion de devenir une force intégrée dans l’ordre militaire du gouvernement de Kinshasa en vue de combattre les forces négatives constituées par les multiples groupes armés qui pullulent actuellement dans l’Est du pays.
            Du côté du gouvernement, les enjeux des négociations de Kampala ne sont pas non plus très lisibles ni cohérents. Un jour, on affirme que l’on n’est pas à Kampala pour négocier, mais pour écouter le M23 qui n’est qu’une fiction derrière laquelle se cache le Rwanda, vrai maître de la rébellion et vrai agresseur dont le but est de s’emparer des richesses du Congo. Comme il sent que ce genre de discours fait plaisir aux populations et donne un élan à la volonté d’unité au cœur du peuple congolais, le pouvoir de Kinshasa en a fait un insatiable leitmotiv destiné à donner l’image d’une force qui ne cédera sur aucune revendication des rebelles.  Un autre jour, le pouvoir joue sur le registre de l’émotion et parle du M23 comme d’un mouvement de compatriotes égarés, des enfants prodigues dont on attend qu’ils reviennent dans la maison du Père, sans préciser qu’elle veau gras sera préparé pour eux et dans quel festin il sera plantureusement consommé. Ce discours du pouvoir en place qui se prend pour un Père magnanime masque son incapacité à s’interroger sur les causes mêmes du surgissement d’une rébellion comme le M23 ainsi que d’autres mouvements armés dans l’espace politique, économique et social congolais. On ne s’interroge ni sur le type d’Etat que l’on a, ni sur le mode de gouvernance que l’on anime, ni sur le style de pouvoir que l’on exerce, ni sur l’image de soi que l’on se donne comme gouvernement dans un pays criblé de problèmes. Un jour encore, Kinshasa enfourche le cheval du discours guerrier et casse les ressorts de négociation en parlant d’éradication de la rébellion purement et simplement, grâce aux armées des pays amis, à la transformation de la mission de la MONUSCO en force de combat, avec des drones américains qui sortiraient la guerre de l’Est du Congo de l’ère des machettes et des kalachnikovs pour la faire entrer dans l’ère de l’électronique high tech, avec des nouveaux massacres qui  élèveraient les carnages nègres à un niveau d’intérêt qu’ils n’ont pas encore à l’échelle mondiale aujourd’hui.
            Quand on perçoit Kampala du point de vue des acteurs des pourparlers congolais, il saute aux yeux que le vrai problème est l’absence d’enjeux clairement partagés, sur la base des valeurs communes acceptées et vécues. Dans la capitale ougandaise, le camp des rebelles et le camp du gouvernement, ne savent pas de quoi ils parlent vraiment et ils parlent deux langues incompréhensibles  l’un pour l’autre. Ils sont dans une logique de l’échec programmé, car pour négocier, il faut avoir des enjeux communs, des valeurs communes et un même langage sur les intérêts collectifs à défendre. Le M23 et le gouvernement ne donnent pas l’impression de disposer de tout cela. En disant qu’ils négocient la paix en RDC, ils savent qu’ils se mentent chacun à lui-même et ils se mentent également l’un à l’autre. Aucune éthique de la communication ne guide leurs ambitions.
           
Une impasse à Addis-Abeba : la logique du nœud gordien
            Le deuxième événement qui a dominé ce mois de janvier concernant la RDC et son destin s’est déroulé à Addis-Abeba. Par-dessus la tête des négociations de Kampala qui se déroulent dans le cadre de la CIRGL, une autre dynamique de recherche d’une solution au problème congolais s’est enclenchée à l’échelle de l’Union Africaine, selon une logique qui montre comment le problème congolais n’est pas qu’un problème congolais. C’est un problème africain à ampleur mondiale, qui met en jeu une multitude d’intérêts dans lesquels sont impliqués beaucoup d’acteurs, ceux de l’ombre comme ceux de la lumière.
            Dans ce problème congolais, l’attention avait été jusqu’ici concentré sur les relations tumultueuses entre le RDC et ses voisins rwandais et ougandais. On avait cru  que tout serait réglé si, à l’échelle africaine comme à l’échelle mondiale, on neutralisait les ambitions des gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda sur les richesses du Congo et qu’on brisait les reins à la puissance militaire de ces pays dont le gouvernement congolais affirme partout qu’ils sont le cœur de son problème. Les solutions conçues par les instances internationales consistaient à sécuriser les frontières à l’Est du Congo avec une armée neutre, comme si c’étaient ces frontières qui entretenaient la guerre.
            A Addis-Abeba, cette vision de la situation congolaise a battu de l’aile. Il est devenu évident que d’autres acteurs ont aussi leurs intérêts en RDC et que leurs relations avec le Rwanda et l’Ouganda sont loin d’être claires dans leurs enjeux économiques et géopolitiques. L’Afrique du Sud apparaît maintenant non pas comme une solution à la crise congolaise, mais comme une puissance de complication et de complexification de ce problème. La Tanzanie surgit aussi au cœur de ce problème et sa voix, jusqu’ici inaudible, se fait entendre soit dans la perspective de l’envoi d’une armée neutre au Congo, soit dans la perspective d’un partage de gâteau au cas où le Congo imploserait. Les intérêts économiques sud-africains sont tels en RDC aujourd’hui que le gouvernement de Jacob Zuma ne peut pas accepter que l’on traite de la question congolaise dans un cadre dont il ne maîtrise ni ne domine les tenants et les aboutissants. Par ces intérêts, il tient le pouvoir de Kinshasa en respect et rend impossibles toutes négociations directes entre la RDC et le Rwanda dans le cadre d’une solution à la guerre de l’Est du pays. Quand on sait que la Zambie, le Zimbabwe et l’Angola ont toujours leurs propres visions de la RDC et leurs agendas dont on ne peut pas se passer pour la sortie de crise, il devient clair que le Congo est un nœud gordien difficile à dénouer corde par corde tant la complexité des logiques en présence défie toute analyse simple et simplificatrice.
            Si on ajoute à tout cela la géopolitique des grandes puissances du monde actuel, avec les Etats-Unis, l’Union Européenne, la Chine et la Russie en tête, il ne faut pas être magicien pour comprendre que le Congo est un enjeu mondial trop important pour être laissé aux Congolais. Le secrétaire général des nations Unies a eu cela en tête lorsqu’il a proposé une solution globale à ratifier par tous les acteurs en jeu en fonction de leurs intérêts. Ce qu’il a moins bien compris, c’est la tessiture des divergences entre ces acteurs et la difficulté de tracer un schéma de compréhension et de résolution qui paraitrait à l’un ou à l’autre comme quelque chose d’imposé d’en haut. Si Addis-Abeba a accouché d’une souris au moment où l’on croyait que l’horizon s’éclaircirait, c’est parce que les Nations Unies n’ont pas su prendre en compte toutes les susceptibilités et toute la complexité des attentes des acteurs actuels de la crise de la RDC à l’échelle internationale. Dans la substance de l’analyse comme dans la méthode, il aurait fallu prendre le temps d’une connaissance de chaque corde du nœud gordien congolais au lieu de penser, à tort, que le problème du Congo est réductible à la guerre dans le Kivu, surtout quand on ne s’est pas donné la peine de connaître ce que les populations congolaises, dans leur complexité et dans leur diversité, pensent globalement  de la situation de leur pays.
            Il faut que les instances internationales comprennent cela. Sinon, elles s’enfonceront dans les fausses solutions diplomatico-militaires ou économico-géostratégiques là où le peuple exige une nouvelle vision de l’Etat congolais, un nouveau type de gouvernance et une dynamique de révolution dans les institutions et les pratiques sociales pour un être-ensemble cohérent et fertile.
           
Quand les altermondialistes envahissent Kinshasa
            Le troisième événement qui mérite réflexion  concernant la RDC, on n’en a pas beaucoup entendu parler dans les grands médias du monde. Concentrés sur Kampala et Addis-Abeba,  ces médias n’ont pas vu qu’à Kinshasa se tenait en janvier le Forum social africain, un rassemblement des associations de la société civile de nombreux pays d’Afrique.
            A Kinshasa, ces associations ont déployé les rituels habituels de la liturgie des messes altermondialistes :
-          les marches populaires pour dire qu’un autre monde est possible, qu’une autre Afrique est possible et qu’un autre Congo est possible ;
-          l’implantation des tentes pour des ateliers de réflexion sur les grands problèmes du monde ;
-          l’ambiance bon-enfant des rêveurs que les souffrances des peuples ne découragent ni ne brisent dans leur volonté de bâtir une nouvelle société ;   
-          la dénonciation du mal de l’ultralibéralisme et des effets catastrophiques sur les pays exploités et appauvris, en Afrique comme partout dans le monde.
Tout cela est bien connu, mais le Forum de Kinshasa ne s’y est pas arrêté, fort heureusement. Le plus important dans ce Forum, ce furent les lignes d’avenir que la société civile congolaise a tracées dans les discours de ses représentants sur le pays et dans leurs analyses de la situation actuelle de la RDC.
Alors qu’à Kampala s’affrontent le gouvernement et le M23 autour d’une image désespérante et calamiteuse d’un Congo en désarroi ; alors qu’à Addis-Abeba se confrontaient des intérêts économico-politiques et géostratégiques des vautours au-dessus d’un pays visiblement cadavre, les acteurs de la société civile célébraient, eux, le nouveau rêve du Congo-Kinshasa. Ils voyaient dans la guerre de l’Est et dans les souffrances de toute la nation une exigence d’enfantement, une parturition dont chaque Congolaise et chaque Congolais ont le devoir d’assumer le pouvoir créateur dans l’avènement d’un génie inventif congolais.  Le problème de la RDC y était pensé comme un gigantesque défi au peuple même, pour qu’il se mette debout dans une révolte constructrice et un nouvel élan d’espérance, à travers des initiatives à prendre et des orientations à ouvrir face à l’avenir.
Il ne s’agissait pas seulement d’un immense et splendide rêve. Il s’agissait surtout de l’élaboration d’une sorte de pédagogie de transformation sociale dont les réflexions des membres de la société civile congolaise au Forum social africain de Kinshasa ont donné les grands axes.
Ils avaient tous et toutes l’ambition de répondre à une question capitale pour le pays : comment change-t-on positivement une communauté historique confrontée à une crise de grande ampleur et de très haute portée comme celle que traverse la société congolaise à travers ses guerres à répétition, sa politique délirante, son économie incohérente, sa culture du fatalisme, son instinct de victimisation et sa décomposition morale et spirituelle partout visible ?
Face à cette question, j’ai vu briller à Kinshasa une puissante ambition : celle de susciter des vocations de nouveaux leaders politiques, de nouveaux organisateurs de dynamiques socio-économiques, de nouveaux acteurs culturels et de nouveaux ouvreurs de piste de vie pour la construction d’une nouvelle société et d’une nouvelle communauté humaine sur la terre de la RDC.
Les lignes directrices de cette ambition, je les ai gardées dans ma mémoire sous la forme de cinq orientations d’action pour changer l’ordre sociopolitique au Congo aujourd’hui :
-          L’action sur les esprits, les consciences, les intelligences et les rêves des individus et des communautés, en vue d’une mutation de l’imaginaire à partir des aspirations porteuses de changements de fond et de nouvelles espérances.
-          L’action sur les institutions politiques et les structures socio-économiques pour l’émergence des rationalités, des valeurs et des normes collectivement partagées comme l’âme même de notre être-ensemble et le souffle de notre communauté de destinée.
-          L’action sur les instruments de transformation sociale et les outils méthodologiques du changement dans une dynamique éducative solide.
-          L’action sur le pouvoir d’organisation de la société face des défis qu’il faut maîtriser pour mieux les relever.
-          L’action sur le pouvoir d’action que toute société soucieuse de sa destinée doit pouvoir développer pour se changer elle-même et construire son avenir.
Depuis que je suis revenu du Forum social africain de Kinshasa, je pense constamment à cette pédagogie du changement social comme force pour sortir de l’impasse des négociations de Kampala et pour montrer à ceux qui ont négocié le destin de la RDC à Addis-Abeba ce que veut vraiment le peuple congolais dans son splendide et fascinant rêve d’avenir.

Kä Mana
Président de Pole Institute

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