lundi 4 février 2013

L'issue congolaise à la guerre dans le Kivu


L'issue congolaise à la guerre dans le Kivu

Au-delà des modèles malien et centrafricain

Par Kä Mana 

Dans le débat d'idées actuel sur la voie à ouvrir pour mettre fin à la crise dans l'est de la République démocratique du Congo, les références aux récentes situations malienne et centrafricaine sont de plus en plus récurrentes : le Mali dans le discours des dirigeants de Kinshasa et la République centrafricaine dans le langage des rebellions et de l'opposition politique congolaises. Du côté de la communauté intellectuelle de la RDC aussi comme au sein des différents courants de la société civile, les mêmes lames de fond sont fortement sensibles tout comme vibrent dans le monde médiatique la volonté et le souci d'imposer dans le Kivu une solution militaire venue d'une puissance étrangère, à la malienne, ou un choix politique expéditif et spécieux, à la centrafricaine.
La solution à la malienne : un cul-de-sac pour le Congo
Ce qui séduit les esprits congolais dans l'intervention française au Mali, c'est la puissance de l'action directe qui met fin aux " bla-bla-bla " interminables des négociations vides de sens face à une rébellion sans légitimité populaire ni projet de changement positif pour le peuple en proie à toutes les inquiétudes et à tous les désarrois. Avec des groupes qui ont pris les armes pour déstabiliser les institutions républicaines, pour détruire l'ordre établi et casser le pouvoir légitime régnant, seules les armes sont une réponse, dit-on dans certains milieux congolais : les armes plus lourdes, plus sophistiquées et plus destructrices que la force de frappe rebelle. Si une grande puissance comme la France prend une telle décision et pousse les pays africains à prendre la même direction, il n'y a pas de doute que la paix qu'elle impose est un chemin de salut pour le peuple.
Au Congo-Kinshasa, beaucoup se demandent pourquoi ni les Etats-Unis, ni la France, ni la Belgique ne songent sérieusement à une telle solution d'action militaire directe pour éradiquer de l'est de la RDC le M23 et tous les groupes armés qui infestent l'espace social et facilitent infiniment la logique du Non-Etat et du chaos. On se demande surtout dans les milieux médiatiques, alors que les rapports des organisations internationales sont clairs pour ces milieux sur les soutiens militaires dont bénéficie le M23 de la part de certains pays voisins du Congo, pourquoi un recours à la force pour neutraliser ces voisins et les vaincre une fois pour toutes ne prend pas corps de manière décisive au profit du peuple congolais. Y aurait-il une logique de deux poids deux mesures quand il s'agit du Mali et du Congo ? La politique malienne et la vie des citoyens dans ce pays vaudraient-elles plus qu'en RDC ? Pourquoi n'applique-t-on que mollement les sanctions contre le Rwanda et contre les responsables de la rebellions reconnus comme criminels alors qu'une force armée internationale en finirait une fois pour toutes avec le chaos de l'est du Congo ?
En une semaine de séjour à Kinshasa au mois de janvier 2013, j'ai tellement entendu ces questions que j'y ai vu un mode de raisonnement de fond qui empêche la capitale congolaise de développer une vision juste et une analyse solide de la crise dans l'est de notre pays.
Avec un tel mode de raisonnement, on se dispense de voir la différence des contextes géopolitique et géostratégique entre le Mali et la RDC aujourd'hui. On se dispense également de saisir les types d'enjeux en présence. Dans un cas, le Mali, on est en plein dans le contexte de la lutte mondiale contre le terrorisme : une situation qui implique directement la sécurité de l'Occident et la tranquillité du pré-carré français profondément perturbé par la guerre française en Lybie et son onde de choc dans le Sahel et partout en Afrique. Dans l'autre cas, la RDC, on a un espace de désordre et de chaos entretenu par des multiples intérêts qui ne menacent pas directement la sécurité de l'Occident. Des intérêts multiples et divergents qui ont rendu le chaos congolais rentable sous divers aspects et aux yeux de divers acteurs qui n'ont pas encore compris en quoi la paix leur serait plus bénéfique que la guerre. Entre une géopolitique de la sécurité fertile et une géopolitique du chaos rentable, les options stratégiques ne peuvent pas être les mêmes et nous devrions le savoir, nous Congolaises et Congolais, chaque fois que nous sommes tentés de croire que la solution de la crise dans l'est de notre pays nous viendra d'une force militaire étrangère.
En plus, les situations malienne et congolaise diffèrent du point de vue des images de ces deux pays dans le monde d'aujourd'hui. Dans un cas, malgré le laxisme que l'on a reproché au président Toumani Touré à l'égard des terroristes et dans lutte contre Al-Qaïda, on a affaire à une nation dont la réputation internationale était celle d'une démocratie en marche, avec des institutions crédibles et un rythme d'élections transparentes. Une nation dont les problèmes internes, particulièrement la question touareg, n'obéraient pas la volonté d'espérance d'un peuple en lutte pour une place de choix dans le concert des nations africaines. Un Etat, en somme, et une gouvernance plus ou moins fiable. Sans la crise libyenne et ses effets de déstabilisation, le Mali serait sans doute allé aux urnes et aurait opéré une alternance démocratique tranquille, avec l'espoir de trouver au problème touareg une solution acceptable dans le cadre d'une unité nationale sans doute décentralisée et paisible. Quand un tel pays se trouve pris dans une large mesure entre les griffes des vautours islamistes au service de la mouvance Al-Qaïda, de son idéologie et de ses ambitions désastreuses, toutes les démocraties du monde se sentent ébranlées dans leur pouvoir de responsabilité et la France, pour son image, pour ses intérêts et pour la défense de son pré-carré, ne pouvait pas s'enliser dans les pourparlers qui n'ouvrent pas une perspective claire de la restauration de l'intégrité territoriale et de la souveraineté politique maliennes.
Sur la RDC, personne dans le monde ne peut se préserver d'une impression de désordre systémique, avec un Etat éclaté et erratique, aux mains des faisceaux mafieux internes et externes, sans principes idéologiques ni normes de gouvernance dignes d'une société intelligente. Le système du pouvoir et la dynamique des institutions y ont créé une mentalité de vide éthique et un vertige de corruption et de décomposition morale qui n'attirent que des forces du Far West pour des intérêts de personnes, des groupes, des conglomérats économiques et des régimes politiques vampires. Des prédateurs pour qui le Congo n'est qu'un champ d'activités d'enrichissement au détriment des populations locales et des possibilités de leur développement. N'est-il pas clair qu'un tel contexte de dictature de la prédation mafieuse globalisée ne peut susciter aucun sens de responsabilité de la part des démocraties qu'il ne menace en rien et qui ne voient pas en quoi leur intervention militaire serait un gain pour le monde occidental ? Face à un espace étatique qui n'existe plus qu'en tant que vertige d'intérêts contradictoires en guerre de spoliation ouverte, pourquoi les grandes puissances sacrifieraient-elles la vie de leurs militaires pour soutenir un Etat en lambeaux dans son esprit et en déshérence du point de vue de ses possibilités de reconstruction et d'invention d'un nouvel être-ensemble ? Les seules perspectives, c'est soit d'observer la situation pourrir jusqu'à l'implosion totale, soit de laisser les forces en présence s'affronter jusqu'à la victoire finale de l'une sur les autres, soit de lancer une Grande Conférence Internationale sur le Congo, en vue d'une pacification décidée non pas par les Congolais, mais par les groupes d'intérêts et les géo-puissances soucieuses d'organiser de nouveau le Congo pour le rendre rentable dans un contexte clairement pacifié.
Tant que nous, Congolaises et Congolais, nous n'aurons pas compris ces réalités avec intelligence pour y résister par une logique interne de fondation d'un vrai Etat moderne, gouverné de manière solide et crédible en fonction de nos intérêts majeurs et de nos ambitions de puissance dans le monde d'aujourd'hui, aucun sauveur ne descendra du ciel des grandes Nations militarisées pour organiser notre bateau ivre à notre profit. Trop de groupes d'intérêts prédateurs ont trop mis trop d'argent dans l'exacerbation de notre chaos et de son vide de gouvernance pour acquiescer à un nouvel ordre de paix qui fausserait tout leur jeu de destruction rentable. Si nous voulons sortir de notre vide et de ses pesanteurs chaotiques, c'est une Grande Conférence des Congolais sur le Congo qu'il nous faut organiser pour refonder notre être-ensemble, construire un nouvel ordre politique et assurer une dynamique de puissance par une intelligence lumineuse de ce que nous avons à faire et à assumer comme responsabilité politique, économique, sociale, culturelle et spirituelle. Une telle Conférence de refondation, de reconstruction et d'invention de nous-mêmes nous doterait d'une nouvelle philosophie fondamentale pour un nouveau rêve congolais : une volonté de mutation globale pour la vie, contre les logiques actuelles de la mort qui détruisent notre espace de vie. Seule cette mutation systémique de l'intelligence, de la conscience, de la puissance créatrice et de la force d'organisation, portée par les meilleurs d'entre nous et diffusée comme exigence dans l'ensemble de notre société nous poussera à construire notre avenir. Le Congo se construira par les Congolais eux-mêmes ou il ne se construira pas du tout. Il nous faut faire comprendre cette évidence à tous nos compatriotes, envers et contre tout.
Si nous comptons sur les " CEDEAO " locales que sont la CIRGL et la SADEC pour imaginer que ces institutions seront notre salut comme veut l'être la CEDEAO pour le Mali, avec son contingent militaire effectivement engagé dans le champ de bataille, nous brassons des fantasmes oiseux, sans relation concrète avec notre situation réelle.
Face à une telle évidence, on comprend que la solution à la malienne ne serait pour le Congo qu'un cul-de-sac : un chemin de nouvelle servitude et d'irresponsabilité chronique dans le cadre d'un néocolonialisme en folie, d'une logique françafricaine complètement obsolète. Au fond, nous n'avons pas besoin en RDC d'aide militaire d'une grande puissance ; nous avons besoin de notre propre puissance de résurrection, de notre propre génie de mutation de l'être et d'une prise en charge radicale de toutes nos capacités de transformation de notre société, positivement et en profondeur. C'est cela le vrai défi congolais actuellement, notre seul pari sur le futur.
Il n'y a pas de modèle centrafricain de sortie de crise pour la RDC
Dans les milieux des rébellions et de l'opposition politique congolaises, la crise centrafricaine et la manière dont elle a été gérée a suscité beaucoup d'espoirs. Certains y ont vu le modèle d'une victoire de l'opposition armée sur un régime sans substance politique ni idéologie fécondatrice pour la nation. D'autres ont admiré la célérité du président centrafricain à répondre aux rebelles en prenant en compte leurs revendications de changement de gouvernement et de partage du pouvoir. D'autres encore ont loué la diplomatie de l'ombre menée par la puissance tutélaire française en Centrafrique, avec la mise en branle du système de la Françafrique dont les chefs d'Etat d'obédience francophone sont des leviers utiles.
Ne serait-il pas possible d'actionner les mêmes leviers et de recourir au même système pour résoudre la crise dans l'est de la République démocratique du Congo ?
Une réponse de La Palisse : La RDC n'est pas la République centrafricaine. Malgré les ressemblances de surface concernant la crise de l'Etat, les pathologies de gouvernance, les faiblesses criardes des dirigeants, l'inconsistance des institutions et la ménopause de la créativité populaire, les deux pays vivent dans deux univers imaginaires et deux systèmes de géo-puissance très différents. En Centrafrique, la Françafrique joue encore à fond ses intérêts et actionne les différents mécanismes de fonctionnement de l'ordre régnant. Elle a un vrai pouvoir, au bon comme au mauvais sens du mot. Depuis la mort de Barthélémy Boganda jusqu'à ce jour, le pays n'a de souffle de vie que celui que la France lui accorde. Parfois ce souffle se respire en abondance, quand le gouvernement plaît aux pouvoirs français. Parfois, le souffle se raréfie, quand le pouvoir centrafricain cesse d'être conforme aux exigences non pas de la France en tant que nation, mais de quelques fabricants et montreurs de marionnettes qui, à Matignon ou au Quai d'Orsay, créent des marques griffées des politiciens centrafricains. Cette centralité des groupes politiques et économiques français facilite les solutions rapides en cas de crise : on peut en une journée remplacer un empereur d'opérette par un président fantoche, dans une opération politico-militaire éclair ; on peut placer des doublures françaises dans chaque ministère et donner le vrai pouvoir à un colonel français face à un chef d'Etat sans autorité, comme si le vrai pilier du pouvoir était la France elle-même, ni plus ni moins.
Au principe de la centralité françafricaine en RCA, la RDC oppose un double principe qui lui est spécifique et que l'on pourrait désigner des noms connus dans la physique contemporaine : le principe de la relativité et le principe d'incertitude, mais au sens dévoyé de ces termes, une fois qu'on les sort du champ scientifique pour leur donner une interprétation de philosophie politique.
La relativité, en physique, c'est la vision selon laquelle le centre n'est nulle part dans l'univers et que tout se détermine à partir de la position que l'on occupe pour observer l'espace. En politique congolaise, une telle relativité désigne une situation où l'on ne sait pas où l'on est vraiment, " ni à gauche, ni à droite, ni même au centre ", comme on disait au temps de Mobutu. Une telle politique tourne en l'air, tantôt autour des Etats-Unis, tantôt autour de la France, tantôt autour de la Belgique, tantôt autour de la Chine, tantôt autour du Zaïre mobutiste lui-même en son idéologie de l'authenticité, dans un jeu sans cohérence ni consistance, complètement calamiteux en termes de choix de développement et de gouvernance. Depuis Mobutu à ce jour, rien n'a changé, sauf que la relativité à la mobutienne est réinventée aujourd'hui non seulement par rapport aux pays puissants et aux idéologies déterminantes, mais aussi par rapport aux groupes d'intérêts, aux vendeurs d'armes et à des innombrables forces mafieuses qui mettent la RDC en vertige politique, économique et social. Les pays qui animent le principe de la relativité à la Congolaise sont connus : les puissances du monde occidental ainsi que le Rwanda, l'Ouganda, l'Angola, le Zimbabwe et l'Afrique du Sud. Relativement à chacun d'eux, la politique congolaise oscille et vole comme un roseau balloté par le vent. Les forces de l'ombre qui travaillent les entrailles du Congo actuel sont aussi connues : les petites mains du capitalisme que sont les conglomérats financiaro-industriels, les forces mafieuses de toutes sortes et les pouvoirs du grand banditisme mondialisé qui tiennent les dirigeants congolais dans leurs crocs, sous une forme ou une autre.
Quand, dans un système politique ou diplomatique, le centre n'est nulle part, même pas en soi-même et dans sa propre vision du monde pour une nation, les acteurs politiques et diplomatiques sont pris dans le vertige du principe d'incertitude : on ne peut pas connaître à la fois leur position et leur vitesse dans la géopolitique et la géo-puissance planétaires. Cela veut dire concrètement ceci : ils peuvent être, comme au Congo, avec le Rwanda un matin (position) tout en virant vers les ennemis du Rwanda pendant la journée, sans que le Rwanda se rende compte de leur course vertigineuse (vitesse) dans de ce virage. Ils peuvent signer des accords avec le Fonds monétaire international sur la politique minière à mener (position) sans que le FMI puisse mesurer leur renversement de perspective (vitesse) au profit de la Chine ou des forces mafieuses internationales.
Cette incertitude et la relativité qui la gère font du Congo un pays peu fiable, dont il est difficile de croire que son président mettrait fin à une crise par une simple et rapide signature, même si une grande puissance pousse le Congo vers une telle signature. On peut toujours présupposer qu'une autre puissance entrera en lice pour pousser la RDC vers une autre position, à une vitesse vertigineuse. Les pays de la CIRGL et les pays de la SADC en savent quelque chose dans leurs relations avec le pouvoir congolais dans son manque de colonne vertébrale.
S'il en est ainsi, que reste-il comme vraie possibilité ? Une solution véritablement congolaise à inventer encore, dans la puissance du génie congolais au service des rêves congolais.
Cette solution est celle-ci :
- changer le Congo de l'intérieur de sa propre ambition mondiale et de sa propre volonté de puissance et de développement, dans un débat sincère entre Congolais, sans exclusive ;
- forger un esprit de la transparence et de la vérité dans les relations entre le Congo et ses voisins, pour un espace de politique et d'économie communautaires responsables ;
- construire une géo-puissance congolaise dans une dynamique de partenariat économique réussi avec les grandes puissances du monde.
En fait : miser sur un autre esprit, une autre politique, une autre stratégie d'action pour le développement du pays, loin des errances actuelles qui nourrissent l'état de guerre. C'est-à-dire mettre un limon éthique dans la conduite des affaires politiques et la gouvernance globale du pays, à l'échelle intérieure comme dans les relations internationales. Cela passe, évidemment, par l'émergence d'un autre type d'élite congolaise, fruit d'un autre type d'éducation. Une autre gageure !
Kä Mana
Président de Pole Institute

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