Introduction
J’ai fait il y a quelques mois un
voyage dans la capitale de mon pays après de longues années d’absence. J’étais
venu dans cette ville pour une saison de conférences et d’enseignement, avec un
faisceau des questions dans mon esprit en vue d’un colloque sur la refondation
de l’Etat congolais que l’Institut interculturel pour la Région des Grands Lacs
(Pole Institute) se proposait d’organiser à Goma au cours de la période de
célébration des fêtes de l’indépendance. Devant intervenir dans ce colloque,
j’eus l’idée de prendre Kinshasa comme un important terrain de
préparation. Je m’y posais alors, en vue de
trouver des réponses utiles, les questions que voici :
Existe-il en République
démocratique du Congo des courants de pensée susceptibles de fonder et de
promouvoir un nouvel ordre politique face aux problèmes multiples que le pays
affronte aujourd’hui ? Sur quelles bases ces courants reposent-ils ?
A quelles sources se nourrissent-ils et quelles perspectives ouvrent-ils aux
populations dans leurs quêtes concrètes
et dans leurs préoccupations les plus urgentes ?
C’est à ces questions que je
cherche à répondre ici, dans le but d’éclairer un paysage intellectuel que le
grand public cultivé ne connaît pas beaucoup au moment où il est pourtant
indispensable de réfléchir sur quelque chose qui me parait fondamental : les
bases à partir desquelles il convient de penser l’Etat, la nation et la
politique face à l’avenir.
Ces bases, je les ai perçues à
Kinshasa sous la forme deux grands mythes d’espérance, derrière des débats
intellectuels qui en cachent souvent la fécondité. Mon récit a pour but de
dévoiler cette fécondité sous un éclairage de réflexion philosophique.
Atterrir
à Kinshasa quand la nuit s’annonce
Lorsque l’avion de la compagnie
Brussels Airlines, que j’avais pris à Douala, atterrit à l’aéroport de Ndjili,
à la tombée d’une nuit tendrement chaude dont je reconnus tout de suite les
inflexions et les modulations suaves quinze ans après mon dernier passage dans
cette capitale de mon pays, mon cœur se serra d’une tendresse brusque et d’une joie
palpitante. La nostalgie que j’avais éprouvée pendant toutes mes années
d’absence remonta du fond de mon être avant d’exploser dans une sensation
d’exaltation pulpeuse face au corps de ma nation que je redécouvrais comme une
fabuleuse nudité. J’en tremblais d’érotisme intérieur, étrangement, comme si
Kinshasa fût une femme de fantasme dansant devant mes yeux médusés. Je me
concentrai en moi-même devant cette image. Des milliers de souvenirs jaillirent de mon esprit et je me mis en
prière devant Dieu, devant les mânes des ancêtres et devant les figures
prestigieuses dont Kinshasa, par sa musique, par ses arts, par son monde de la
culture et de la pensée, berça mes
années d’adolescence à la fois studieuse et ludique. Kinshasa de mes jeunes
amours. Kinshasa de mes ardentes amitiés. Kinshasa de mes maîtres à penser.
Kinshasa de mes rêves et de mes jouissances infinies. Tout cela défila en moi,
orageusement. Et je ne savais pas que la magie ainsi déclenchée serait
brusquement brisée, de manière inattendue.
En effet, dans la salle de
contrôle des papiers d’identité vers laquelle j’avançais, le cœur illuminé
d’espoir et l’âme ivre de passion pour mon pays, une ruée désordonnée se
déclencha, comme si tout le monde voulait envahir en même temps les guichets
pour que chaque passager soit le premier à arriver au grand hall où l’on retire
les bagages. Le désordre ainsi créé choqua et agaça profondément un passager
venu de Bruxelles qui s’écria, juste derrière moi : « Ce pays ne
changera jamais ! ».
Cette première parole que
j’entendais à mon arrivée au pays natal eut sur moi l’effet d’un coup de fouet
et me tira de ma rêverie. Je venais participer à un colloque des universités
protestantes d’Afrique centrale et j’avais hâte de montrer à mes collègues
camerounais venus avec moi ce que je considère comme le génie de ma
nation : une certaine joie de vivre et une indomptable foi en l’énergie
vitale, une impressionnante force d’affronter les malheurs et une capacité
infinie de les dépasser, un grand
courage d’être et une puissante volonté d’espérer contre toute espérance, la
ferme conviction qu’au bout des luttes contre les pesanteurs du mal et les
affres de l’inhumain sous toutes leurs formes, la vie et le bien finissent
toujours par vaincre, par triompher. Je voulais montrer un Congo en
reconstruction : le Congo de la renaissance africaine.
Parce que mon esprit était porté
par cette exaltation de retrouver, palpitante et belle, la capitale qui eut à
un certain moment la réputation d’être Kin-la-Belle, j’avais imaginé que ce que
je devais voir différerait de la nouvelle image de Kinshasa dont on parle partout dans le monde : une
poubelle glauque et un immense dépotoir de toutes les désespérances humaines du
pays.
Dès l’arrivée, mon espoir était
battu en brèche par cette phrase lourde de sens sortie de la bouche de mon compatriote
à l’aéroport de Ndjili: « - Ce pays ne changera jamais. »
La phrase me fut insupportable et
je me retournais vers celui qui me
l’avait assénée dans le dos pour lui dire : « - Mon frère, ce pays
changera. » L’homme fut surpris par la causticité avec laquelle je lui
avais parlé et il perçut dans mon regard toute la colère qui s’y était concentrée. Je m’en pris vertement à son
désespoir : « - Nous ne pouvons pas avoir un pays comme celui-ci et
croire qu’il ne peut pas changer, ce n’est pas possible et il faut tout faire
pour qu’il change. »
Mon interlocuteur me regarda
fixement et je vis dans ses yeux une souffrance aiguë, une sorte de pitié pour
le Congo. Une pitié profonde mêlée à une attente sourde de voir un miracle se
produire dans le pays. Il me répondit avec gentillesse par une question qui
semblait l’obséder et qu’il devait s’être posée sans doute mille fois :
« Qui changera ce pays ? »
C’est avec cette question dans
tout mon être que j’entrai dans Kinshasa, prêt à découvrir les forces du
changement qui doivent sûrement s’y concentrer et s’y déployer, contrairement à
l’image désastreuse que le pays a dans le monde entier.
Pensée
d’en bas : croire au peuple du changement
Par réflexe d’homme de culture et
de pensée, je n’ai pas voulu me tourner spontanément vers le monde de
l’agitation politicienne et chercher la volonté du changement dans les luttes
postélectorales qui opposaient en ces mois de février et mars 2012 les
partisans des « deux présidents » dont il m’était difficile, faute
d’informations fiables au Cameroun, de savoir qui était vraiment élu et qui ne
l’était pas. J’avais vaguement le sentiment que le changement ne se trouverait
pas de ce côté de l’agitation politicienne. Je connaissais trop l’univers
politique de mon pays depuis des années pour croire que les batailles des camps
en présence aboutiraient à autre chose qu’à de l’immobilisme desséchant.
J’avais perçu dans les prises de position du cardinal de Kinshasa sur les élections
un signe très clair : l’élan de la politique congolaise était plombé et ce
n’était pas de si tôt que la situation
serait débloquée. De même, l’incohérence de la communauté internationale qui
trouvait que les élections au Congo n’étaient pas crédibles et qui en
acceptaient pourtant les résultats me paraissait complètement incompréhensible.
Elle traduisait une situation d’absurdité qui caractérisait tout le processus
électoral dans sa substance même : son manque de préparation sérieuse, le
doute sur l’impartialité de son instance organisatrice, l’absence d’explication profonde des enjeux
du scrutin aux populations et le tissage des ruses et des mensonges de la part des acteurs politiques, camp
présidentiel et camp de l’opposition confondus.
Ce dernier point est capital. A
partir du moment où la règle du scrutin à double tour avait été votée par le
parlement, le camp présidentiel savait qu’il venait de semer le doute dans
l’esprit du peuple sur le sérieux même des élections. De même, lorsque
l’opposition accepta d’aller à ces élections dans des conditions ainsi piégées,
elle savait bien à quelle débâcle elle allait et elle se mentait à elle-même en
croyant qu’elle pouvait gagner. Il était clair que se préparait alors un faux
scrutin dont l’aboutissement ne pouvait être que des faux résultats, dans le
principe même des choses. Les urnes et leur contenu n’avaient rien à voir là
dedans : c’est le principe même d’une élection pipée qui posait problème.
Le statu quo était ainsi programmé et aucune pensée de changement
n’avait droit de cité dans le champ de la politique politicienne. Cette
conviction que j’éprouvais avant le scrutin présidentiel et législatif, je
voulus savoir si elle correspondait à une sensibilité partagée par la
population dans la ville de Kinshasa comme baromètre de l’orientation politique
nationale.
Tout au long de mon séjour dans
la capitale, j’entrepris d’en discuter avec les étudiants, avec les membres de
la société civile, avec les écrivains et les artistes ainsi qu’avec les
représentants de ce que l’on a coutume d’appeler le petit peuple. Tous les
échanges aboutirent à des conclusions indubitables à mes yeux
indubitables : la tendance la plus lourde qui se dégage sur le changement
politique au Congo est la tendance du doute sur la capacité de l’ordre
politique actuel, dans sa configuration globale, de changer profondément et
positivement le Congo.
Ce doute ne m’a pas fait
l’impression d’être un doute sentimental ou une humeur factice de la mode. Il
m’a paru être un doute de fond, basé sur une observation solide de la classe
politique et argumenté de manière crédible dans une réflexion permanente. C’est
pour cela que je le considère comme un véritable courant de pensée. Un courant
que j’ai cherché à caractériser par quatre idées directrices.
La première idée directrice qui
m’a frappé dans tous les échanges que j’ai eus avec mes interlocuteurs, c’est
la conviction que la politique au Congo est dominée par la culture de la prédation entretenue par les élites dirigeantes.
Une culture qu’elle répand de plus en plus dans l’administration et la gestion
de l’Etat. « On ne change pas un pays avec l’accoutumance vol », m’a clairement dit un étudiant de
l’Université protestante au Congo. La lutte à mener pour changer le Congo est
donc la lutte contre la gouvernance du vol structurel. Cette lutte, l’ordre
politique actuel ne veut pas et ne peut
pas la mener : dans le camp du président comme chez les prétendants
au pouvoir dans l’opposition, la gangrène des esprits est telle qu’il ne s’agit
pas d’une question de tel ou tel dirigeant, d’un qui serait pourri et d’un
autre qui serait pur comme l’eau de roche, mais d’un système national
complètement pathologique.
La deuxième idée directrice qui
m’a frappé est la conviction que l’ordre politique régnant se nourrit du leurre démocratique pour mieux asseoir
sa puissance nocive et refuser toute alternance par les urnes, condamnant ainsi
le pays à ne pas penser à d’autres alternatives de changement qu’à ceux par les
armes. Même une certaine opposition qui avait jusqu’ici cru à la non-violence
comme voie d’alternance politique commence à déchanter dans la capitale. Le
leurre démocratique devient de plus en plus visible dans ses ruses, dans ses
mensonges et dans ses violences. Il caractérise la situation du pays aux yeux
du monde de la culture et de la pensée comme aux yeux du petit peuple. Leurre
démocratique, système de violence et tentation de contre-violence populaire
sont ainsi les réalités actuelles du champ de la politique telle qu’elle est
pensée et vécue dans la capitale congolaise. « Nous en avons
assez », m’a dit un chauffeur de taxi sur le Boulevard triomphal de la
capitale, dans un langage succulent dont les Kinois ont le secret, « il
faut que les choses changent, par tous les moyens, même s’il faut que le sang
coule. »
La troisième idée directrice qui
m’a frappé dans mes discussions avec le monde de la capitale, c’est la
conviction que la crise et la stagnation
actuelles de la RDC sont voulues et entretenues dans des liens explicites
entre les autorités politiques en place, les pouvoirs politiques dans certains
pays voisins, le réseau de certains trusts internationaux de prédation et la
complicité d’une communauté internationale que le statu quo arrange d’une manière ou d’une autre. Cette analyse, je
l’ai entendue non seulement dans les hauts lieux du savoir, chez les
professeurs d’université ou dans les rédactions des organes de presse, mais
même dans les taxis, dans les petits marchés et dans les ngandas les plus
populaires de la capitale. C’est surtout au sujet de l’insécurité à l’est du
pays que les arguments crépitent comme des balles : « C’est toujours
la même chose dans le Kivu : opérations militaires ratées, attaques des FDLR
sur les populations, milices de toutes sortes qui pillent, tuent et violent,
présence rwandaise permanente, vous n’allez pas dire que le gouvernement
congolais n’y est pour rien ? » ; « La MONUSCO, elle fait
quoi si la situation ne change jamais ? C’est devenu un business bien
lucratif pour notre gouvernement, pour le Rwanda et pour tous les
prédateurs » ; « Et tous ces généraux qui s’enrichissent dans le
Kivu, pourquoi voulez-vous qu’ils fassent la guerre pour défendre la
nation? » ; « Quand la solde des militaires est détournée par
leurs chefs, cela est quand même clair que le gouvernement coopère avec les
fossoyeurs du Congo. » J’ai entendu toutes ces phrases, à saturation,
comme si un même disque tournait sans fin. J’en ai conclu qu’il s’agit là d’une
lame de fond de la pensée politique populaire dans Kinshasa aujourd’hui.
La quatrième idée directrice qui
m’a frappé dans mes échanges kinois, c’est la certitude qu’une accoutumance à l’impunité et à la corruption
est volontairement entretenue pour noyer le Congo dans une crise endémique.
« Il n’est pas possible que tant des fortunes illicites se construisent au
vu et au su de tous sans qu’aucune lutte contre l’impunité et la corruption ne
soit déclenchée par les autorités établies », m’a affirmée un avocat de la
place. Pour me donner un exemple précis, Il m’a décrit le système de détournement
des fonds dans le monde des douanes où, selon ses estimations, l’Etat ne
reçoit même pas le tiers de ce qu’il doit recevoir pour le développement du
pays. « Vous appelez ça un Etat ? Moi pas. »
En réfléchissant sur ces lignes
de fond du sentiment politique à Kinshasa, sentiment que j’ai perçu comme une
véritable vision qui forme une pensée populaire, j’ai compris aujourd’hui que
la conscience qui s’exprime dans ses analyses configure déjà une mentalité.
Celle de l’émergence d’une culture d’indignation qui aboutira sans doute, si
rien de décisif n’est fait, à des conflagrations catastrophiques. Quand un
peuple veut des changements et qu’il voie sa situation économique et sociale
empirer dans un système comme celui que l’on observe actuellement, il ne peut
pas ne pas faire de son désespoir, à un moment ou à un autre, une énergie
d’explosion politique. De ce point de vue, Kinshasa est une poudrière, un
volcan qui gronde chez le peuple du changement.
Parler ainsi ne signifie pas du
tout être un oiseau de mauvais augure ni un pessimiste invétéré. C’est plutôt
prendre conscience d’un mythe important qui est en train de prendre corps au
Congo : le mythe d’un nouveau
commencement pour le pays, le mythe de la refondation du destin congolais
grâce à l’énergie des Congolais eux-mêmes. S’il faut entendre par mythe le
récit fondateur par lequel un peuple se donne une certaine image de lui-même et
construit la représentation de ses grandes espérances, la pensée politique
populaire qui s’épanouit dans la capitale est un récit sur un autre Congo à
faire naître, même si le mythe n’a pas encore toute l’emprise qu’il devrait
avoir dans les consciences, dans les esprits et dans les imaginations.
Evidemment, compte tenu du
charivari officiel de ceux qui dominent aujourd’hui l’espace public et
médiatique, beaucoup de personnes ne sont pas encore sensibles à ce mythe comme
dynamique congolaise de fond. J’ai le sentiment que cela deviendra de plus en
plus possible et qu’on va vers un avenir des changements radicaux, quand le
mythe, dans sa temporalité profonde et dans son lent travail de mûrissement
dans les consciences, donnera les fruits qu’il doit donner pour la construction
d’une nouvelle destinée congolaise. Tant d’hommes et de femmes ne peuvent pas à
ce point souhaiter un changement et se retrouver longtemps encore sous le joug
du statu quo.
Mais comme tout mythe, celui du
commencement d’un nouveau Congo a besoin d’être raconté partout. Il a besoin de
devenir un flot de rêves et de paroles, un discours de foi et d’espérance pour
faire tout le travail qu’il doit faire dans les profondeurs des citoyens. Il
suscitera alors des révoltes qui seront autre chose que la violence stérile. Il
suscitera la confiance du peuple en lui-même pour que surgissent des
initiatives radicales que tout souci d’un nouveau commencement comporte. On
pourra y récupérer toutes les luttes du peuple et en faire une nouvelle énergie
contre le mal politique et tout son système. Il y a là une immense espérance.
Pensée
d’en haut : croire en la nouvelle puissance du Congo
A côté du profond et puissant courant de la
pensée populaire qui agite politiquement Kinshasa sous forme d’un grand mythe
de nouveau commencement dans les réflexions d’une multitude de personnes, j’ai été fortement impressionné par le
dynamisme du mouvement contre la balkanisation de la RDC. Dans les débats
intellectuels publics, c’est actuellement le courant le plus visible, qui
cherche à mobiliser le monde universitaire et les milieux de la culture et de
la pensée avec le plus de vigueur et de conviction.
Au centre de sa pensée : la
conviction qu’il existe un plan international de balkanisation du Congo et que
ce plan est en marche, avec des hauts et des bas liés à la capacité du peuple
congolais à réagir ou pas. L’est de la RDC est l’enjeu de ce projet dont les
pays voisins tirent profit dans une guerre de prédation dont le chaos actuel
est le résultat.
Pour nourrir cette conviction de
fond, tous les signes d’une volonté de balkanisation sont notés au jour les
jours, les plus manifestes comme les plus subtils. Ceux du poids militaire du
Rwanda dans le Kivu. Ceux des tribulations causées par les FDLR dans les
populations congolaises pour dépeupler les villages. Ceux de l’ambition
ougandaise d’exploiter le pétrole congolais. Ceux du regard féroce et froid d
l’Ogre angolais sur les richesses aux frontières avec le Congo. Ceux des
déclarations américaines successives depuis Bill Clinton jusqu’à nos jours,
ceux de l’orientation de plus en plus visible de la région du Kivu vers
l’espace économico-financier des pays d’Afrique de l’est. Même le monde de
l’imaginaire littéraire comme les romans de John le Carré est mis à profit pour
valider la thèse du complot anglo-saxon en vue de déstabiliser, puis de diviser
le Congo. Le journal Le Potentiel, vitrine d’un certain Congo de l’intelligence, s’est d’ailleurs donné un mot
d’ordre significatif : « Non à la balkanisation du Congo. »
Quand on y regarde de plus près,
on se rend compte que ce courant anti-balkanisation ne se présente pas
seulement comme un mouvement anti-balkanisation. Il a un projet positif qui est
de penser et de construire l’unité du Congo sur des bases qu’aucune dynamique
de balkanisation ne pourra plus ébranler. A mon avis, l’agitation qui est créée
par ses thuriféraires autour de l’idée du complot contre le Congo vise moins à
fournir des informations scientifiques justes et vérifiables qu’à créer un
nouvel imaginaire de la refondation de l’unité du Congo. Il s’agit moins de
science que de furie idéologique qui cherche à exploiter les affects congolais
les plus profonds en vue de résister aux puissances internes et externes qui
affaiblissent le pays et de créer un sursaut psychique pour la renaissance de
la nation comme puissance en Afrique centrale, au sein du continent africain
tout entier et dans le monde. D’où un travail particulier que les
antibalkanisateurs abattent dans le monde universitaire à travers des
conférences-débats et des ateliers de réflexion. D’où aussi le matraquage
médiatique dont les émissions radio et télé en constante ébullition sont des
symboles fougueux.
Comme dans tout combat
idéologique fort, l’unité visée a ses bases
dans les « tripes », dans les émotions les plus torrides, avec
un ancrage profond dans les peurs irrationnelles et dans le refus de se faire
phagocyter par des voisins que l’on transforme en épouvantails permanents. Mais
elle est aussi une unité à construire et à sauvegarder dans la vigilance
permanente face aux ennemis externes ainsi que dans la critique constante des
faiblesses internes qui divisent le pays contre lui-même.
On peut reprocher aux
antibalkanisateurs leur dramatisation de la thèse du complot contre le Congo et
leur hyperbolisation de tout élément qui conforte leur thèse. Il est pourtant
indéniable que leur discours a un poids politique certain dans le monde du
savoir, de la culture et de l’intelligence. C’est un discours auquel les
milieux diplomatiques sont maintenant sensibles et que les pouvoirs politiques
prennent au sérieux, même s’ils ne lui donnent pas des réponses à la hauteur
des menaces mises en lumière.
Un autre groupe de réflexion dont
l’action frappe l’esprit à Kinshasa, c’est celui qui rassemble en son sein des
néopharaonistes et des néotraditionalistes qui veulent asseoir une nouvelle
politique congolaise sur le socle d’une refondation globale de l’être africain.
J’appelle néopharaonistes les
élites intellectuelles fascinées par la référence à l’Egypte pharaonique dans
leurs recherches sur les problèmes de l’Afrique actuelle. Leur pensée
s’articule autour de cinq nœuds dont chacun est à leurs yeux un enjeu politique
actuel pour le continent africain.
Le
nœud de la spiritualité.
Dans la pensée néopharaoniste, la spiritualité désigne le mouvement d’ouverture
aux grandes sphères d’énergie dont tout être humain et les sociétés doivent se
nourrir pour s’accomplir. Cela depuis le cœur énergétique de la réalité qu’est
Dieu jusqu’aux énergies végétale et minérale, en passant par l’énergie des
dieux, l’énergie des esprits, l’énergie des ancêtres et l’énergie des hommes
parfaits, chaque sphère représentant une exigence pour l’homme d’être dans un
certain type de porosité avec la réalité. Chaque fois que sont oubliées ces
exigences de fécondation de l’homme par des énergies fondamentales, les
individus et la société dépérissent, faute de force spirituelle. C’est cela qui
arrive au Congo, avec pour conséquence politique un manque manifeste
d’orientation vers l’avenir.
Le
nœud de l’éthique.
Dans la pensée néopharaoniste congolaise, l’éthique est l’incarnation des
valeurs irriguées par la spiritualité dans la vie concrète. C’est le domaine
des valeurs d’humanité profonde, qui unissent les êtres et composent la trame
de leur destinée communautaire. Là où manquent ces valeurs d’humanité, la
société se déstructure. C’est ce qui arrive au Congo aujourd’hui.
Le
nœud de la gouvernance.
Il s’agit ici du leadership dans une société, domaine où les dirigeants doivent
être ouverts à l’exigence éthique et à la puissance de la spiritualité. Quand
les leaders n’ont aucun sens de ce à
quoi engagent ces réalités sublimes, toute la société se délite, faute de
boussole et de gouvernail. C’est ce qui arrive au Congo aujourd’hui.
Le
nœud de l’éducation.
Les néopharaonistes congolais voient dans l’éducation un vrai lieu initiatique
de transmission des valeurs, du sens spirituel de l’existence et de la solidité
de l’être pour conduire les hommes vers l’état d’homme parfait et le statut
d’ancêtre. Quand une société n’a plus de tels repères fondamentaux et que son
système éducatif se réduit à la course vers les biens matériels et
l’enrichissement insensé, la société se vide de toute substance et dépérit.
C’est ce qui arrive au Congo aujourd’hui.
Le
nœud de la langue.
Les peuples qui n’honorent pas leurs langues pour en faire des langues de
culture, de savoir, de pensée et de rayonnement mondial sont des peuples
d’aliénation et d’extraversion, condamnés à n’avoir aucune influence sur la
marche et le destin du monde. C’est ce qui arrive au Congo aujourd’hui.
Dans la pensée néopharaoniste,
les cinq nœuds ainsi définis ont un statut spécial : celui de définir la
mesure à partir de laquelle il est possible de penser la refondation de l’être,
condition même de la refondation de la société dans ses dimensions politique,
économique, sociale culturelle et religieuse. Plus exactement, ils constituent
un protocole d’évaluation de la néopharaonité d’un pays ou d’un peuple en
Afrique, par rapport à la grandeur de la pharaonité antique qui, grâce à ces
critères, fit de l’Egypte ancienne une nation de première grandeur, selon le
pape actuel du néopharaonisme à Kinshasa, Martin Massonssa-wa-Massonssa.
De cette Egypte, dans la
perspective spécifique de la refondation de l’Etat qui est le problème actuel
de la RDC, trois figures de pharaons sont toujours invoquées comme
représentations de ce qu’il y a lieu de construire en termes de mythes porteurs
de vie nouvelle :
-
Le
pharaon Menès Narmer, fondateur de l’empire de l’Egypte antique par un acte
d’unification politique qui est aujourd’hui encore la route politique à suivre
en Afrique et au Congo : s’unir en vue de la nouvelle puissance.
-
Le
pharaon Akhenaton, inventeur du monothéisme comme symbole d’une unité
spirituelle rassemblant toutes les identités religieuses en une grande vision
d’identité commune pour construire une nouvelle destinée au peuple. On voit
bien tout le bénéfice que le Congo peut tirer de cette figure tutélaire pour
casser les reins aux identités meurtrières actuelles.
-
Le
pharaon Sesostris, qui fut un conquérant plus grand et plus fascinant
qu’Alexandre Le Grand et Napoléon ensemble, puisque ses conquêtes furent la
source d’une civilisation mondiale nourrie par le souci des valeurs d’humanité.
Il s’agit ici plus de vision
mythique dans l’imaginaire que de construction historique scientifique. Ce que
l’on veut, c’est de forger pour les nouvelles générations qui rêvent d’une
nouvelle Afrique et d’un nouveau Congo un esprit de puissance créatrice et
organisatrice. Les néopharaonistes leur proposent un mythe de refondation de
l’être et de la société : le mythe de la nouvelle puissance pour un
nouveau rayonnement mondial de l’Afrique et du Congo. Pour réussir la
renaissance et la reconstruction du Congo, le nouvel Etat à bâtir doit se
ressourcer à l’esprit de la grande pharaonité politico-éthico-spirituelle que
représentent Narmer, Akenathon et Sesostris, symboles dynamiques d’une
puissance et d’une grandeur à construire comme énergie d’avenir.
Vu sous cet angle, le
néopharaonisme de Kinshasa est fortement lié à un autre courant
anthropologico-politique dont j’ai découvert la substance au cours de mon
voyage : le néo-traditionalisme. Il s’agit d’une volonté ferme de
redécouvrir les traditions culturelles de l’Afrique et du Congo de manière à la
fois scientifique et idéologico-mythologique. Cela selon une double perspective :
enseigner l’Afrique aux nouvelles générations et booster l’imaginaire de la
jeunesse avec les normes africaines capables de les décomplexer totalement et
de les conduire à inventer une modernité nouvelle dans la rencontre avec les
autres civilisations. Ce néo-traditionalisme résolument tourné vers l’avenir a
pour objectif de créer un nouveau type de conscience congolaise : la
conscience d’une authenticité créatrice, différente de la farce mobutiste qui
fut une catastrophe politique et culturelle pour le Congo. Selon Olivier Sangi,
le représentant le plus marquant de cette néo-authenticité enracinée dans une
tradition inventive et libératrice, l’ambition est de reprendre toutes les
grandes luttes des figures de la liberté africaine dans l’histoire pour en
faire une nouvelle sève anthropologique et politique : la sève de la
nouvelle puissance d’ humanité africaine.
Deux idées ont frappé mon esprit
dans la nouvelle authenticité congolaise prônée par les néo-traditionalistes de
Kinshasa.
Premièrement, la tradition africaine
est invoquée comme puissance à reconquérir dans ses mystiques vitales, dans ses
valeurs initiatiques, dans ses efflorescences anthropologiques et dans ses
ambitions de créer une société forte. Il s’agit, pour reprendre un concept
popularisé par Placide Tempels, de donner à l’Afrique et au Congo une nouvelle
force vitale, fondée sur la vitalité même de l’histoire et de l’humanité
africaine, sur la vitalité profonde de l’histoire de l’humanité africaine.
Deuxièmement, il s’agit d’un
processus de fertilisation d’un instinct d’amour du pays, en vue des
initiatives qui soient des preuves d’amour pour la nation, « car aimer son
pays, affirme Olivier Sangi, n’est pas
une question d’attachement sentimental, mais un commandement pour le changer en
liant son avenir au présent et au passé ».
Un jour, soucieux de ne pas
laisser les néo-traditionalistes verser dans l’idyllisme et la délectation
d’une Afrique purement et faussement fantasmée, je rappelai à leur souvenir
toute la littérature d’attaque contre la culture africaine et ses atavismes
destructeurs. Notamment : la mentalité anti-développement, l’arriération
des structures sociales et la faiblesse des rationalités traditionnelles. La
réponse que je reçus fut cinglante de lucidité : « Nous préparons un
nouveau panafricanisme, nous et ceux que tu appelles néopharaonistes et
antibalkanisateurs. Nous sommes un et nous ramons tous dans le même sens
contre les politiques d’aliénation, de division, d’affaiblissement et de
destruction du Congo.»
L’idée du néopanafricanisme me
parut alors comme le véritable horizon politique du mythe du nouveau
commencement de l’Afrique et du mythe de la nouvelle puissance africaine, deux
leviers du discours politique dans la haute sphère des hommes de la culture et
de la pensée au cœur de la capitale. L’homme qui incarne aujourd’hui le
néopanafricanisme à Kinshasa, Emmanuel Kabongo Malu, est un féru de la
conscience historique africaine, un militant anti-balkanisation et un
panafricaniste kadhafiste. Il unit toutes ces dimensions de ses recherches dans
une volonté d’action contre la faiblesse actuelle de la RDC dans le monde. Son panafricanisme est avant tout un
pancongolisme destiné à donner à la nation le statut de tête de pont du nouveau
panafricanissme, après la mort de Kadhafi. « Les projets des Etats-Unis
d’Afrique, d’un Fonds monétaire africain, d’une organisation panafricaine de
communication, d’un gouvernement continental et d’une action commune des pays
africains pour une nouvelle mondialisation délestée de la domination occidentale
du monde, tout cela dont le colonel Kadhafi rêvait, nous devons en faire
l’orientation décisive de la politique congolaise », m’a affirmé Kabongo
Malu.
Il se rapproche ainsi, malgré
leurs différences d’appréciation de la conscience historique africaine et des
valeurs culturelles de l’Afrique, des ambitions du penseur politique le plus en
vue à Kinshasa aujourd’hui : Philippe Biyoya Makutu. Celui-ci est un
spécialiste en géostratégie. Il prône un
néo-réalisme politique où il convient de penser le Congo en fonction du monde
tel qu’il est et non en fonction d’un monde idyllique que nous désirerions.
Dans ses discussions avec les néopharaonistes, avec les néo-traditionalistes et
avec les anti-balkanisateurs, il m’a paru
être une conscience concrète pour une puissance congolaise qui intègre, sans
état d’âme, la puissance militaire, la puissance économique, la puissance
politique et la puissance culturelle dans des luttes concrètes au sein de
l’actuelle mondialisation. « Il faut que les Congolais sachent cela et
s’organisent en conséquence », affirme-t-il. J’ai senti dans cette pensée
une énergie utile à la jeunesse actuelle.
Et
la révolution de la modernité ?
« Et la révolution de la
modernité dont parle le pouvoir politique en place, qu’en avez-vous appris à
kinshasa ? » me demanderez-vous.
J’ai appris qu’il faut encore lui
donner un contenu politique et philosophique solide. Elle n’est pas encore une idéologie
construite, encore moins une action visible.
J’ai compris qu’il s’agit de relancer la politique de cinq chantiers
dont les résultats sont fort mitigés à Kinshasa et très décevants sur
l’ensemble du territoire national. Quand
on vit dans un pays où l’eau potable, l’électricité, la nutrition, le système
de santé et l’emploi sont des denrées rares pour la majorité de la population,
la modernisation est une exigence majeure en termes d’infrastructures. Mais il
faut plus pour que cette modernisation devienne une révolution de la modernité,
c’est-à-dire l’invention de nouvelles rationalités et de nouvelles structures
logiques capables de changer le pays. En plus, le mot modernité est
philosophiquement mal choisi comme slogan. Il a une connotation spécifique en
Occident, que le monde actuel a déjà dépassée au profit des combats
altermondialistes tournée vers la conquête de vraies valeurs d’humanité.
Et
quel Etat congolais à venir ? Et quelle orientation politique ?
Dans la pensée politique
congolaise actuelle telle que j’ai pu en saisir les contours dans mes
discussions avec les élites et les hommes du peuple, au cours de mon voyage,
j’ai identifié trois formes d’Etat dont les modulations et les puissances de
rêve nouveau peuvent rendre possible l’imagination concrète d’une nouvelle
forme d’espace de gouvernance aujourd’hui. L’espace d’un Etat qui
corresponde concrètement aux attentes du peuple congolais dans la manière dont
il aimerait être gouverné non pas seulement comme Etat au sens moderne du
terme, mais comme force novatrice dans la dynamique d’un autre monde
possible : le Tout-Monde dont parle René Edouard Glissant..
Ce que je cherche à mettre en
lumière au bout de ma présentation des lames de fond de la vision de la
politique et de l’Etat dans la capitale congolaise, c’est la manière dont la
construction d’un nouveau type d’Etat au Congo est indissociable des grands
souffles de l’imaginaire congolais tel qu’il doit repenser la politique selon
les perspectives de réimagination de toute l’histoire africaine et de toute la
splendeur du Tout-Monde, vaste rêve d’une pensée postmoderne en Afrique et au
Congo..
La
réimagination de l’Etat pharaonique en Afrique
Il faut avant tout que je parle
de l’Etat pharaonique tel qu’en lui-même les rêves africains du passé glorieux
et des origines prestigieuses du continent l’ont figé. Cet Etat n’est pas à
prendre comme une réalité historique que l’on pourrait étudier de manière
scientifique dans sa philosophie, dans ses structures institutionnelles et dans
son fonctionnement pratique. Une telle description relèverait du travail des
historiens qui cherchent la vérité du passé avec la volonté de connaître ce
passé dans se dimensions perceptibles sur la base des vestiges concrets et des
traditions orales. Des historiens africains comme Cheikh Anta Diop, Théophile
Obenga, Bilolo Mubabinge et Kabongo Malu ont déjà fourni le travail de ce type
avec un certain bonheur. Ils ont pu mettre en lumière ce que la science
historique permet de dire clairement sur les longs et fructueux siècles de
l’Egypte pharaonique dans ses dynasties successives et dans les dioramas de
leur gouvernance et de leur exercice de la fonction politique. Grâce aux
recherches de ces historiens et égyptologues, nous savons que l’Etat à cette
époque était théocratique et que ses fondements étaient spirituels. Nous savons
que ces bases ont oscillé entre une théocratie fondée sur les valeurs
d’orientation communautaire et une théocratie animée par la vision pyramidale
et oppressive du pouvoir. Nous savons aussi à quel point cette double
orientation déterminait, de dynastie en dynastie, la participation du peuple à
la construction de la société. Il y eut des périodes de splendeur où la
théocratie irriguait des énergies pour une société de prospérité partagée. Mais
il eut aussi des périodes de dictature féroce comme celle dont parle les textes
du livre de l’Exode dans la Bible, témoins d’une politique de fer à laquelle
Moïse opposa une extraordinaire énergie de libération en lançant une partie du
peuple dans la voie de la révolte contre les dérives despotiques. Sous l’angle
de la prospérité partagée ou sous celui de l’oppression inique, la religion
déterminait la dynamique de la gouvernance. C’est en elle que les valeurs
essentielles de la société concentrées dans le concept de la Maat donnaient la
plus haute mesure de l’idée et du sens du pouvoir politique. Celui-ci, dans l’idéal
de son exercice, était un lieu d’une visée d’humanité : un ordre social
alimenté par le souci de la justice, de la vérité, de l’équité et du respect
des équilibres instaurés par le divin. Le pharaon étant garant du divin dans la
société par sa nature de monarque d’origine transcendante, il lui était exigé
d’exercer le pouvoir selon la dynamique de la Maat, fondement et substance de
l’humanité éthique et spirituelle véritable.
Mais la réalité de l’Etat
pharaonique n’était pas toujours conforme à cet idéal de la Maat. Des pharaons
féroces et tyranniques ont régné sur le
peuple selon des antivaleurs qui cassaient les exigences de la Maat. Cela a
même donné à Ismaël Kadaré, célèbre romancier de notre temps, l’idée de penser
que la construction des pyramides était dictée par des ambitions politiques de
mettre le peuple au travail pour l’empêcher d’imaginer une quelconque révolte,
tellement il aura été exténué dans les travaux de construction d’édifice
mortuaires gigantesques. Sans aller jusqu’à cette hypothèse extrême, on peut
dire avec certitude que la réalité du pouvoir pharaonique était complexe dans
son exercice, avec des moments d’oppression et des moments du respect de la
Maat comme force de fertilisation de l’imaginaire de la gouvernance.
Mais ce n’est pas cette réalité
complexe de la vérité historique qui nous intéresse en Afrique maintenant. Le
plus important, l’essentiel pour l’imaginaire africain aujourd’hui, c’est
l’Etat pharaonique comme réalité imaginale. C’est-à-dire puissance, pouvoir et
énergie de vision et de représentation grâce auxquelles un peuple se forge un
indomptable imaginaire et une visée d’idéal pour la construction de son avenir.
Avec des normes, des valeurs et des ambitions pour changer la société en
mettant en branle « la formidable puissance du rêve » dont tout homme
et tout peuple sont dotés, pour reprendre l’expression de Laënnec Hurbon.[1]
La perspective imaginale, c’est, en fait, la perspective de la fougue des
utopies qui permet à une population, « par un déplacement et une
projection de ses structures de fiction »[2],
de rompre avec l’ordre régnant des choses pour l’avènement du possible.
L’utopie se présente ici comme « puissance d’anticipation » :
elle «délivre du fatalisme et exprime l’espérance des masses en un changement
radical de leurs conditions d’oppression».[3]
Quand l’Afrique actuelle, dans le
chefs de ses penseurs de l’Etat, fait appel à l’Etat pharaonique, c’est selon
cette perspective d’utopie essentielle qui renvoie à ce que Elie Wiesel appelle l’imagination en amont.
C’est-à-dire la manière dont, aujourd’hui,
les Africains pensent que leurs Ancêtres pharaoniens les ont inventés
dans la puissance de leurs rêves et dans l’énergie de leur pouvoir
d’anticipation. Quand on regarde le passé avec les yeux de cette imagination en
amont, on le fait en vue de l’imagination en aval, toujours selon le mot d’Elie
Wiesel. Cette imagination en aval projette le possible à léguer aux générations
futures, sur la base des rêves du présent qui grondent dans l’imaginaire
social, selon « la perception de l’horizon des possibilités réelles
inscrites dans le monde » d’aujourd’hui, comme aurait dit Ernst Bloch.[4]
L’Etat pharaonique devient ainsi,
pour l’Afrique actuelle, un principe d’espérance politique par excellence. Le
lieu d’une vision de la Maat comme énergie qui peut et doit fertiliser la
vision de l’Etat en Afrique, ici et maintenant, en vue de l’Etat du futur,
accomplissement même d’une gouvernance essentiellement éthique et spirituelle.
Comment cet Etat est-il perçu en
tant que réalité imaginale ? Essentiellement comme l’énergie d’une
contre-culture politique qui combat vigoureusement la culture politique dont
l’Etat africain actuel se nourrit. Contre-culture, mais surtout contre-modèle
de l’imaginaire du pouvoir et de la gouvernance.
Au modèle et à la culture
d’extraversion et d’aliénation, il oppose l’utopie politique d’un Etat
autocentré et ouvert aux autres Etats à partir d’une vision de la grandeur
fondatrice d’une Afrique irriguée par ses propres valeurs politiques, celles de
la Maat rémaginée face aux défis africains d’aujourd’hui.
Au modèle des dictatures
tropicales sans vision ni du passé, ni du présent, ni de l’avenir, il oppose un
Etat fondé sur une conscience historique claire. Conscience de réimagination du
passé selon la grandeur des sources africaines du politique. Conscience des
catastrophes politiques actuelles du continent. Conscience d’anticipation de ce
que nous devons avoir comme Etat dans le futur grâce à notre volonté nationale
de construire un Congo nouveau.
Vous l’avez compris : nous
sommes ici en plein mythe et l’Etat pharaonique est le moteur de cette nouvelle
dynamique mythique pour l’imaginaire africain. Ce mythe, c’est de fonder l’Etat
sur la Maat. Ou plus exactement : fonder l’Etat sur une énergie de type
spirituel qui, selon « ce que l’anthropologie sociale et culturelle
considère comme le cœur de la religion : la transmission de l’humanité de
l’homme comme héritage. »[5]
Aujourd’hui, la tâche par
excellence de la refondation de l’Etat en RDC, c’est de donner une substance
concrète à cette vision, sans s’enfermer dans l’exaltation passéiste de l’Etat
pharaonique ni s’engluer dans une imagination stérile d’une politique idéale
dont la férocité des politiques africaines interdissent toute possibilité d’accomplissement.
Pour ce faire, il ne convient pas de chercher la matérialité des faits et
l’existence réelle de l’Etat pharaonique. Il faut situer cet Etat comme une
dynamique de l’esprit : la force du nouveau rêve pour une politique de la
grandeur africaine dans le monde. C’est là un nouveau chemin de l’imaginaire
politique pour notre pays aujourd’hui.
Dans
la réimagination du pouvoir traditionnel africain
Ce qui vient d’être présenté
concernant l’Etat pharaonique, il convient de le prendre comme grille pour saisir
les analyses du pouvoir dit traditionnel dans la pensée africaine aujourd’hui.
Nombreuses sont les approches de
ce pouvoir tel qu’il fut exercé au temps des grands empires africains :
ceux du Ghana, du Songhaï, du Mali, ou des royaumes Luba, Kuba, Lunda, Zulu ou
Monomotapa.
Des historiens comme Elikia
M’Bokolo, Ibrahim Baba Kake ou Joseph Ki-Zerbo ont donné de la réalité de ces
Etats des descriptions claires et honnêtes, dans la complexité de ce dont l’âme humaine est capable dans l’exercice
du pouvoir politique. Grâce à l’analyse des faits et des événements
incontestables, ils ont décrit ce que l’on pourrait appeler la banalité de
l’exercice du pouvoir. Banalité du mal politique avec ses violences, ses ruses,
ses mensonges et ses férocités. Mais également splendeur du bien politique
d’une certaine gouvernance africaine avec ses solidarités, ses systèmes de
sécurité pour les populations, ses réalisations de prestige impériale, ses
recours aux valeurs et son respect pour l’ordre de la transcendance du bien
commun.
Du côté de la banalité du mal
politique, le célèbre roman de Yambo Ouologuem, Le devoir de violence[6],
a donné toute la mesure des cruautés et des carnages dans les empires
traditionnels africains. On y voit présenter, avec tout le génie littéraire
qu’il faut, les folies meurtrières et les rites macabres dont les souverains
africains ont émaillé leurs règnes, à la manière du royaume d’Abomey dont les
peintures de sang sur les murs sont encore visibles actuellement. Dans la
relecture de la traite des nègres par les historiens aujourd’hui, l’accent est
aussi mis sur l’implication des potentats locaux dans la traque des esclaves à
vendre, avec tout ce que cela comportait de barbarie et de sauvagerie
indicibles. Si l’on ajoute à cela l’emprise de l’invisible fétichiste sur la
vision du pouvoir dans l’Afrique traditionnelle et que l’on invoque les
sacrifices humains dans l’atmosphère de l’occultisme et de l’ésotérisme où ont
baigné les chefferies traditionnelles africaines, le tableau devient tragiquement
sombre.
Côté splendeur du bien politique,
les descriptions idylliques des royaumes précoloniaux africains abondent dans
la littérature de nos pays, depuis les récits du beau vieux temps des ancêtres
et de leurs splendeurs par Hampâte Bâ jusqu’aux modernes reconstructions
scintillantes de la gloire du Royaume Kongo au temps de Nzinga Nkuvu dans l’imaginaire
kongo actuel.
Souvent, ces côtés ombre et
lumière s’imbriquent dans la vision africaine actuelle du pouvoir traditionnel,
surtout quand les travaux historiques sont faits avec la lucidité
méthodologique des universitaires soucieux de ne pas être accusés de
complaisance face au passé africain, et soucieux également de ne pas reprendre
purement et simplement les images négatives répandues par une certaine
littérature coloniale.
Du point de vue de la
construction d’un nouvel imaginaire de l’Etat au Congo, ce n’est pas cette
dimension de la réalité historique qui est intéressante et capitale.
L’intéressant et le capital se trouvent du côté du pouvoir traditionnel comme
réalité imaginale, exactement comme pour l’Etat pharaonique. On ne perçoit
cette réalité qu’à travers les principes fondateurs les plus féconds pour le
vivre-ensemble dans une communauté historico-sociale. Bilolo Mubabinge et
Kabongo Kanundowi ont définitces principes dans un excellent livre sur
l’exercice du pouvoir dans le Royaume Luba.
Le premier principe est
celui-ci : le pouvoir du chef est pour le peuple comme le pouvoir du
peuple pour le chef (« Mukalenga wa bantu, bantu wa Mukanlenga »).
Cette circumincession du pouvoir fait de celui-ci une responsabilité
communautaire qui se diffuse par la recherche de l’unité et du bonheur partagé.
Le pouvoir, c’est pour garantir l’unité et pour assurer le bonheur
communautaire. L’Etat traditionnel n’a de sens que dans cette perspective de
dynamisme créateur et promoteur de vie. Lorsqu’om fait recours à cette vision
des choses, ce n’est pas pour exalter une quelconque Afrique qui étincèlerait
dans le ciel éternel des béatitudes transcendantes, mais pour affirmer un
principe régulateur sans lequel le pouvoir politique devient vide, dénué de
toute crédibilité. Ce principe est une force de rêve anticipateur et
mobilisateur, une énergétique de l’imaginaire.
L’autre principe régulateur qui
se dégage de la recherche de Bilolo et Kabongo est celui des liens entre les
générations comme base de validation du pouvoir[7].
Ce principe signifie que le pouvoir (bumfumu) s’exerce selon l’esprit positif
des ancêtres qui en garantissent la fécondité tout comme il est une responsabilité
à l’égard des générations futures au nom desquelles il s’exerce dans l’harmonie
communautaire, pour améliorer les conditions de vie dans le pays (bulongololi), maintenant et pour les
siècles futurs. Quand on sait que le
champ politique est ainsi régulé, on ne peut pas se permettre d’exercer le
pouvoir de n’importe quelle manière. On fait de lui une dynamique toujours
contrôlé par les ancêtres et par les descendants dont les notables sont les
représentants. Il n’y a donc pas de pouvoir absolu. Il n’y a que les pouvoirs
qui se contrôlent et s’inter-fécondent, avec le chef comme garant des
équilibres qui tournent autour de sa personne. Ici aussi, il n’y a pas lieu de
croire que l’on décrit une réalité existante. On décrit un principe de fond qui
doit porter et nourrir les rêves vitaux d’un peuple, ses utopies essentielles.
Il faut tenir ces deux principes
de circumincession du pouvoir et des équilibres vitaux de la gouvernance comme
ce sans quoi, dans la vision africaine de la politique, tout système de
gouvernance s’effrite et s’effondre, faute de substance métaphysique.
Aujourd’hui, la tâche essentielle
de la refondation de l’Etat en RDC est de tout faire pour que ces principes
régulateurs ne perdent ni leur substance ni leur sens dans la cacophonie des
dictatures féroces et des démocraties de façade qui plongent l’Afrique actuelle
dans l’insignifiance politique. Il s’agit d’une exigence d’insérer ce que l’Afrique, politiquement partant, a de
plus haut, de plus de fertile et de plus authentique dans l’ordre de la
gouvernance.
Réimaginer
l’Etat moderne en Afrique
La modernité, comme on le sait,
est caractérisée par un ensemble de traits et de valeurs de civilisation dont
les plus fondamentaux sont les suivants : «exigence de rationalité, libre
examen, émancipation vis-à-vis de l’autorité de la tradition, exigence de
démocratie, développement es sciences et des techniques. »[8]
Animée par le souci du progrès et de l’efficacité, elle a induit des idées
politico-économiques de rationalisation et de bureaucratisation qui ont coupé
la politique des normes traditionnelles où l’invisible jouait un rôle
essentiel. En même temps, de par la puissance nouvelle qu’elle a conférée à la
civilisation occidentale pour la conquête du monde, elle a imposé une politique
fondée sur la souveraineté de l’Etat-nation comme entité de base et sur les
relations internationales où les peuples dominés n’avaient pas la possibilité
de se prendre en charge et d’assurer leur liberté créatrice. A l’intérieur même
du monde occidental, la puissance de la science et de l’économie a fait
basculer la politique dans des conflits meurtriers dont les deux guerres
mondiales ont donné toute la mesure destructrice.
Il y a donc en la modernité une
ambiguïté foncière qui pousse beaucoup de penseurs à chercher de nouvelles
lumières en vue d’éclairer la politique et la gouvernance. De nouvelles
lumières qui transcendent, c’est-à-dire dépassent et conservent en même temps,
le noyau de l’ère moderne pour une autre vision de l’Etat.
Ce que l’on veut dépasser, c’est
l’étroitesse d’une raison occidentale dominatrice et réductrice, au profit
d’une raison plus vaste, ouverte aux forces les plus profondes de
l’humain. On veut dépasser aussi la
morgue d’une science sans conscience et d’une technologie sans perspective de
sens, au profit d’une techno-science sensible au bien de l’humanité et aux
exigences de la sauvegarde de la vie et de la création.
En même temps que l’on dépasse
ainsi la modernité, on veut en garder les acquis du libre examen, du développement
des droits humains et de la promotion de la démocratie au sens plein du terme.
La greffe de la modernité ainsi
conservée et dépassée n’a pas pris en Afrique, et plus particulièrement au Congo où la logique
de la rationalité démocratique a été étouffée par les dictatures irrationnelles
et absurdes. L’Etat moderne s’est trouvé plombé par les atavismes fétichistes
et les archaïsmes des traditions précritiques qui ne pouvaient conduire qu’aux
échecs de l’indépendance.
Comme toute greffe qui n’a pas pu
prendre, l’Etat a subi un phénomène de rejet de la part d’une société dont il
n’incarnait ni les aspirations ni les ambitions. Plus grave : il a pris ce
que la modernité avait de plus faible, la barbarie dominatrice, et a laissé
dans l’ombre ce qu’elle a de plus fécond, l’ambition de progrès novateur pour
le bien-être des populations.
D’où ses politiques ubuesques au
temps de Mobutu au Congo et ses incompétences en matière de gestion,
d’administration et de gouvernance modernes.
D’où aussi sa culture d’incompétence
et d’incapacité à forger une personnalité d’inventivité et d’innovation dans un
monde où le vrai capital pour maîtriser l’avenir est le capital humain
créateur : l’homme créateur comme moteur et levier du développement, pour
reprendre la vision du philosophe camerounais Ebénézer Njo Mouelle.
L’ère
post Etat-nation : perspectives du Tout-Monde
Aujourd’hui, le monde est dans
les douleurs d’enfantement de l’ère post Etat-nation. La nation, avec tous ses
repères classiques de souverainet, chancelle et craque de partout.. Prise dans
les vertiges de la mondialisation et de l’altermondialisation, la nouvelle ère
pousse les entités étatiques existantes à s’unir dans des constellations plus
vastes et à construire de nouvelles rationalités organisatrices et gestionnaires
tendues vers une gouvernance planétaire.
Dans ce contexte nouveau, on ne
peut pas poser le problème de la refondation de l’Etat congolais comme si le
Congo était encore dans la perspective d’un Etat-nation souverain au sens
ancien du terme. On ne peut penser la refondation qu’en termes de fondations de
nouvelles orientations d’intégration et d’inscription dans des nouvelles
logiques d’alliances et des réseaux mondiaux dont il revient à la politique de
canaliser les effets pour le bonheur des populations. La question centrale est
la place qu’il faut assumer dans ce nouveau cadre et la manière dont on se
pense comme lieu de nouveaux liens avec ses voisins, avec le continent dans son
ensemble et avec le monde comme champ global d’action.
Dans une telle pensée, le passé
des sources pharaoniques de l’Etat et le souffle positif des royaumes et
empires africains traditionnels dans leur philosophie du pouvoir sont des
atouts majeurs. Dans leur limon, ils constituent ce que l’Afrique et le Congo
ont à offrir au rendez-vous du donner et
du recevoir mondial, comme aurait dit Senghor. Dans l’ère du Tout-Monde dont parle Edouard Glissant, ils ouvrent
la voie à l’utopie de la politique de l’humain, de la politique du bien, de la
politique de civilisation sans lesquelles le Tout-Monde ne sera pas du tout le
Tout-Monde. C’est à partir d’eux que l’héritage politique de la modernité
pourrait être reconfiguré par l’imaginaire d’une modernité africaine ayant
digéré toute l’histoire politique du monde à partir de la réimagination
africaine du passé et du présent du continent, dans une vaste utopie d’un
nouveau monde possible.
L’Etat congolais sera alors une
réalité imaginale à inventer dans la
réimagination de la politique du monde dans son ensemble et non une vue étroite
d’une petite identité nationale au centre de l’Afrique.
C’est cet Etat là qui devrait
être dans tous nos rêves, dans toutes les pulsations d’inventeurs d’une
nouvelle destinée pour le monde dans son ensemble.
Le jour où les Congolaises et les
Congolais comprendront cela, la respiration de la politique au Congo changera
d’amplitude et de modulation. Nous serons le Congo-Monde, terre d’accueil,
terre d’avenir, terre de vision, terre d’ouverture, terre de puissance
créatrice. Avec un Etat à la dimension de cette vision, de cette volonté et de
cette espérance.
Conclusion
J’avais cette plantureuse vision
en tête au moment où décollait l’avion de Brussels Airlines qui me ramenait au
Cameroun par une belle nuit calme. J’ai
regardé du haut du ciel les lumières de la ville. J’ai ressenti un profond
sentiment d’amour pour mon pays et tout mon esprit fut envahi par la figure du
poète qui m’a accueilli, guidé et orienté dans Kinshasa durant tout mon
séjour : François Médard Mayengo. J’ai pensé à ce qu’il a cherché à me
faire comprendre dans sa parole poétique et dans sa force d’humanité, à savoir
que la politique est l’art de rêver un
nouveau monde possible et d’imaginer les moyens de le construire.
Ce fut sans doute là la plus
belle leçon de ma saison à Kinshasa, manifestement.
[1] Laënnec Hurbon, Ernst Bloch, Utopie et Espérance, Paris, Cerf, 1974,
p. 37.
[2] L’expression est de Louis Marin. Elle
est reprise par Laënnec Hurbon pour parler de laforce et de la valeur de
l’utopie.
[3] Laënnec Hurbon, Ibid., p. 58.
[4] IErnst Bloch, cité par Laënnec Hurbon.
[5] Eloi Messi Metogo,“Religions,
christianisme et modernité : quelle mission pour le second synode ? » in
Joseph Ndi-Okalla (sous la direction), Le
deuxième synode africain face aux défis socio-économiques et éthiques du
continent, Paris, Karthala,2009.
[6]
Paris, Editions du Sueil, 1968.
[7] Kabongo
Kanundowi. et Bilolo Mubabinge, Conception
Bantu de l’Autorité. Suivie de Baluba : Bumfumu ne Bulongolodi,
Publications Universitiares Africaines, Munich-Kinshasa, 1994.
[8] Eloi Messi Metogo, art. cit,, p.27
Ma premiere observation est que ni le prof. Ka-Mana ni les intellectuals Congolais dont il rapporte les point de vues ne semblent pas remettre en question l'Etat Congolais tel que nous l'avons herite de la colonisation. Le pouvoir colonial avait concu le Congo-free state comme un espace economique, le Congo-belge qui l'a suivi apres 1908 etait toujours un espace extractif, pour extraire les minerais et d'autres richesses qu'on envoyait vers la metropole. Meme les routes ou chemins de fer etaient contruits des points d'extraction vers les ports d'evacuations. Maintenant, pour passer d'un espace economique a un espace politique, il aurait fallu un consensus populaire, qui ailleurs s'etait solde par des revolutions (Anglaise, Francaise, Americaine) car la rupture qu'exige le passeage de l'espace economique vers l'espace politique est generallement tres violente. Nous n'avons pas eu cette phase revolutionnaire d'ou devrait naitre un second consensus ou contrat social et surtout territorial dans la maniere de gouverner les aspirations des habitants de cet espace.
RépondreSupprimerDeuxiement, l'analyse et la conclusion du prof Ka-Mana me rappelle les types de resistance passive de James Scott dans le "Weapon of the Weak." Dans un article dans African Studies Review, je parle de trois types de resistance, a) la resistance par commerage (les gens savent et peuvent meme articuler ce qui devrait etre fait, mais n'ont pas le pouvoir de changer les choses), b) la resistance par AK47 (des miliciens qui refusent au gouvernement le controle d'un territoire, generalement autour des mines: dans ce type de resistance malheureusement, les civils sont aussi mal traites que dans la partie controlee par le gouvernement), et C) enfin la resistance que moi je vois chez les Nande qui arrivent a creer une sorte de pre-carre economique et politique en tablant sur une certaine cohesion ethnique et en soudoyant l'Etat central pour qu'il les laisse tranquille (nous pouvons en discuter plustard).
Je vois dans les esperances du prof Ka-Mana le premier type de resistance qui par nature, n'a pas de capacite de changer les choses. C'est exactement comme les decennies de diagnostiques que la Conference episcopale du Zaire d'abord, et du Congo ensuite fait. Des diagnostiques justes, mais qui ne sont jamais suivi de traitements adequats. La justesse de l'analyse ne provoque pas necessairement l'impulsion pour l'action immediate. Nous sommes a un tournant de l'histoire du pays ou nous savons plus ou moins clairement ce que nous voulons du pays, la phase des analyses est passee, c'est maintenant le moment de la transformation ou de l'action. Une transformation qui sera informee par les multiples analyses que nous avons ingurgitees pendant des decennies.
Concretement, comment passer du premier type de restance, a une resistance transformatrice?