Introduction
Nous nous proposons de réfléchir ici sur
les conditions nécessaires, les orientations indispensables et les facteurs
déterminants pour une paix durable dans l’est de la République démocratique du
Congo et dans la région des Grands Lacs aujourd’hui. Les conditions, les
orientations et les facteurs dont il s’agit sont constitués par ce que nous
appelons les quatre verrous à faire sauter
pour que le Kivu devienne une société de paix heureuse et un espace de
promotion humaine solide.
Le premier verrou est celui des
tribalismes meurtriers dont il convient de bien saisir la dramatique réalité et
le fonctionnement terrifiant pour pouvoir les combattre et les éradiquer non
seulement dans le Kivu, mais sur l’ensemble du territoire congolais.
Le deuxième verrou est celui de nos
relations avec le Rwanda et l’Ouganda, des pays avec lesquels les tensions et
les conflagrations sont telles qu’il n’est pas possible d’imaginer une
quelconque paix, une quelconque sécurité et une quelconque cohabitation
harmonieuse sans transformer radicalement nos liens actuels de mort avec eux en
liens de vie pour le peuple congolais, pour le peuple ougandais et pour le
peuple rwandais.
Le troisième verrou est celui des
étroitesses de vision et d’horizon des pays des Grands Lacs : leur
incapacité à se donner une communauté de destinée sans laquelle le Congo ne
serra jamais tranquille dans ses frontières héritées de la colonisation.
Le quatrième verrou est celui de la
communauté internationale et de ses institutions qui traitent du problème de
l’est du Congo et des moyens pour le résoudre.
Faire
sauter le verrou des tribalismes meurtriers
Le phénomène qui caractérise le Kivu et
que l’on retrouve dans beaucoup d’autres régions de notre pays, c’est le fait,
orageusement massif, d’un tribalisme devenu meurtrier : une arme de
destruction des esprits et de l’espace social tout entier. Avec des identités
nuisibles qui sont revendiquées sans complexes et qui servent d’idéologie de
haine et d’ostracisme. Ces identités sont portées et exhibées par des milices
dressées pour tuer, des groupes armés terrifiants, qui sèment la mort en toute
bonne conscience, banalisent les carnages et rêvent de voir certaines tribus
disparaître purement et simplement de la carte de leur région, selon une
implacable nécessité que l’on justifie par d’innombrables raisons, les unes
toujours plus tonitruantes que les autres.
Nous devons nous poser la question de
savoir comment nos identités sont devenues meurtrières et pourquoi leur logique
de destruction s’est implantée dans les esprits de manière aussi profondément
tragique.
Il y a des tribalismes dans beaucoup de pays et dans
beaucoup de régions du monde. Certains demeurent des luttes souterraines et
larvées. D’autres grondent sans exploser. Certains, malheureusement implosent
en terreurs sanglantes ou éclatent en logiques destructrices. Le Kivu est dans
cette dernière catégorie et il serait intéressant de savoir comment et
pourquoi.
Ce qui frappe tout chercheur qui se pose
cette question, c’est la manière dont a fonctionné le tribalisme et les formes
de plus en plus inquiétantes que la question ethnique a prises au point de
faire du Kivu un cimetière à ciel ouvert et une aire de toutes les souffrances,
de toutes les misères et de toutes les désespérances.
Tout
ne s’est pas fait en un jour
L’exacerbation des identités tribales
devenues aujourd’hui meurtrières ne se s’est pas faite en un jour. Il eut des
temps de cohabitation et de coexistence entre communautés vivant au Kivu. Il
eut aussi des temps des tensions et des conflits sur des enjeux fonciers et sur
des conflits d’hégémonie sans conséquences dramatiques. C’était aux heures où
le Congo était un Etat fort et où il était difficile aux forces centrifuges de
le déstabiliser avec des revendications tribalistes sans déclencher, de la part
du pouvoir central, une réaction vigoureuse et ferme, au nom de l’identité
nationale.
On ne peut pas ne pas évoquer ici une
période de notre pays où les gouverneurs de provinces devaient être
automatiquement d’une autre région que celles qu’ils dirigeaient, où les
investisseurs du Kivu pouvaient s’installer à Kinshasa ou au Katanga sans être
inquiétés, où toute Congolaise et tout Congolais pouvaient s’installer où ils
voulaient sans vivre la peur dans le ventre. Tout cela montrait à quel point la
construction d’un Etat digne de ce nom pouvait casser les ressorts des
ethnismes dangereux et pernicieux. Ressorts dont on avait déjà vu le
fonctionnement à l’indépendance du pays, quand l’Etat était encore fragile et
précaire. A cette époque-là, les Baluba furent chassés du Katanga et du Kasaï
occidental, dans une logique meurtrière liée aux enjeux de pouvoir manipulés
par les autorités coloniales. Lorsque l’Etat se consolida et que le pays eut
une vraie colonne vertébrale politique et un cerveau solide pour assumer l’autorité
de l’Etat, les velléités tribalistes diminuèrent et ses volcans entrèrent en
période froide, en attendant le moment favorable pour entrer en ébullition.
Ce moment vint avec la crise du Zaïre et
la lente agonie du régime de Mobutu Sese Seko. C’est au cours de cette lente
agonie que l’affaiblissement de l’Etat, son effondrement et le vide qu’il a
laissé dans nos sociétés donnèrent aux ethnismes pernicieux un nouveau champ
d’essor. Le régime de Mobutu avait lui-même commencé à précipiter le pays dans
cette logique lorsqu’il fit d’une armée complètement tribalisée l’un des
piliers de sa pérennisation, à côte du pouvoir de l’argent et du règne de la
terreur. A partir de cette période, un nouveau processus de réveil du volcan
tribaliste débuta.
Le Congo des tribus unies dans le régime
fort de Mobutu commença à se disloquer, à craquer de partout, dans des fracas
macabres qui firent craindre la décomposition même du pays. Symbole de cette
résurgence : les Baluba furent de nouveau persécutés au Katanga et chassés
comme des animaux malades de la peste.
Les Bakongo firent resurgir la nostalgie de leur grandeur passée, dans un
messianisme politique et religieux renouvelé, dont le but ne faisait aucun
mystère : avoir une place de choix dans l’espace congolais et exploiter
les richesses locales au seul profit des autochtones. Le Katanga réaffirma sa
volonté d’autonomie. C’étaient là des signes avant-coureurs d’une gangrène
profonde dans une société sans vrai Etat.
Une
pathologie des esprits et des consciences
C’est dans les esprits et dans les
consciences que quelque chose de profond avait changé et qu’une réalité
nouvelle naissait de manière nuisible : les identités ethniques viraient
vers des ethnismes criminels. Peu à peu, des hommes et des femmes s’installaient
sereinement dans le tribalisme, mais celui-ci n’était plus seulement un
ensemble d’attitudes ou de prétentions velléitaires, mais un milieu de vie, un
système de mentalités, la base et le code de fonctionnement d’une société où la
mort lente de l’Etat permettait la redistribution des cartes des enjeux
politiques, économiques, financiers et géostratégiques. Ce n’est plus sur
l’Etat dans son unité que se décidait l’avenir, mais sur les appartenances
tribales et les identités ethniques aux intérêts destructeurs.
Dans ce nouvel état d’esprit, le Kivu
redécouvrit, comme on dirait au Cameroun, le caillou qu’il avait dans sa
chaussure depuis longtemps : la question tutsi et, plus globalement, la
question des communautés banyarwanda sur le territoire du Congo. Exactement
comme le Katanga avait le caillou dans sa chaussure, la question kasaïenne que
l’on cherchait à régler par la violence et la chasse aux Baluba, le Kivu fut
précipité dans la tentation de la même logique. Jusqu``a nos jours, cette
question n’est pas réglée et elle a plongé la région dans la logique de la
violence que nous connaissons encore sous forme des conflits meurtriers et des
crimes sans nombre, sans fond, sans limites.
La
question tutsi et le devoir de violence : symbole maléfique
Quand nous parlons ici de la question
tutsi au Congo, nous pensons au problème que pose aujourd’hui aux Congolais et
à leur imaginaire la présence des Tutsi sur le territoire du Congo. A quel
titre y sont-ils ? Comme des Congolais à part entière ou comme des
étrangers rwandais que l’on tolère à peine ? Dans les conflits multiples
qui opposent le Congo au Rwanda comme dans les accords, tout aussi multiples
que le Rwanda signe avec le gouvernement congolais, ouvertement ou
clandestinement, les Tutsi sont-ils le cheval de Troie du Rwanda ou sont-ils des
patriotes prêts à défendre leur pays ? Face à ces questions, l’enjeu est
de pouvoir affirmer ou pas, clairement
et fortement ou non, que ces
compatriotes sont congolais. Dans le cas où ils le seraient, ils doivent alors,
comme toutes les tribus congolaises, vivre dans ce pays avec la conviction et
la certitude qu’il est le leur, qu’ils y ont des droits, des devoirs et des
pouvoirs comme les autres peuples du Congo et qu’ils doivent y vivre en toute sécurité, sur une
terre qui est la leur et dans l’ambition de participer à la construction de la
grandeur, de la prospérité et du développement de la RDC.
Depuis des années, on a assisté dans
notre pays à la remise en question de ces droits, de ces devoirs et de ces
pouvoirs des Tutsi congolais que l’on affuble du qualificatif de nationalité
douteuse et que l’on veut voir traverser la frontière pour laisser le Congo en
paix, comme l’a proposé, en tout cynisme et sans état d’âme, le pamphlétaire
français Pierre Péan. Souvent, dans une confusion totale entre faciès et
nationalité, un certain imaginaire congolais verse dans le tribalisme primaire
et développe des théories identitaires complètement meurtrières à l’égard de
Tutsi vite considérés comme des Rwandais envahisseurs et pilleurs des richesses
du Congo. Eux et les autres Banyarwanda, qui ne peuvent bénéficier ni du droit
du sol, ni du droit du sang, aux yeux de certains Congolais. Même pas de la
possibilité de dire que la nationalité devrait être non pas seulement d’une
question de sol et de sang, mais une question de choix, d’esprit et de
participation, en toute vérité, à la construction de la grandeur d’une nation.
Dans le contexte d’une conception étroite de
la nationalité, surtout en situation des conflits ouverts autour des enjeux de
la terre à posséder ou du pouvoir à exercer,
une socio-psychologie de la haine se forge au sein de certains milieux
fortement tribalisés à bloc en RDC. De même, chez les Tutsi congolais, une psychose doublée d’une volonté d’autodéfense
ou de recours au Rwanda comme bouclier et comme ressort pour une politique de
guerre permanente à l’est du pays se déchaîne. On évoque l’autodéfense là où
les Congolais ne voient qu’agression, volonté de puissance, visée de
balkanisation et tempête de prédation. Toute possibilité d’une réflexion
sereine pour penser une destinée commune se perd. Seul brûle alors l’enfer des
carnages. La reconnaissance paisible de l’identité des autres, de leurs droits
comme de leurs devoirs et de leurs pouvoirs cesse d’être une possibilité
concevable.
La question est effectivement celle-là :
l’identité qui devrait s’épanouir et être reconnue autrement que dans la
logique de la violence, des carnages et de la banalisation du crime dans un
Congo meurtri par d’insondables souffrances. Une identité qui ne devrait plus
se constituer en armes de guerre pour des revendications que la paix seule peut
satisfaire. Une paix construite par l’ensemble des tribus aujourd’hui en
conflits, ouvertement ou souterrainement, au nom d’une vision d’ensemble du
Congo comme communauté de destinée.
Pourquoi parlons-nous ainsi de la
question tutsi ? Parce que, d’une manière ou d’une autre, selon des
tonalités multiples et selon des variations diverses de sens, elle au cœur des
logiques des identités meurtrières dans le Kivu. Elle en concentre les
pulsations. Elle en couve les tranchants sauvages à grande échelle, avec tout
le potentiel de mensonges, de manipulations, de propagandes aiguës et de
justifications perverses de tous les systèmes d’exclusion ou de destruction.
Tout cela avec la bonne foi nécessaire propre aux rationalités ou aux
irrationalités des tribalismes meurtriers.
Au fond, la question tutsi, comme la question
globale des Banyarwanda au Congo, est un symbole : le symbole de la fermentation
de toutes les cruautés par lesquelles les tribus deviennent des armes pour des
carnages massifs. Elle est de l’ordre de l’implicite dans les pratiques
sociales qui visent à détruire au nom de l’identité : pratique
d’autodéfense ou de défense de son territoire, pratique de meurtres préventifs
pour ne pas être un jour victime d’une volonté maléfique que l’on attribue
toujours à l’autre dans le discours. A partir de ces logiques de meurtre à la
fois justifiées et justifiantes, tout s’emballe : tout le monde devient à
la fois victime et acteur des violences extrêmes, même sans s’en rendre compte.
Par peur. Par vengeance. Par méfiance. Ou par haine. Dans les volcans
d’aberrations par lesquelles le crime acquiert une légitimité et le déni des
droits humains s’affirme comme un art macabre, profondément intériorisé et
licite.
Un mal généralisé
Mais les enjeux de la reconfiguration
des pouvoirs suite à l’affaiblissement et à l’effondrement de l’Etat ne se
réduisent pas à la question tutsi ou à la communauté rwandophone au Congo. Ils
ont embrasé toute la région du Kivu où les conflits tribaux ont eu tendance à
s’enflammer autour des problèmes fonciers, miniers, politiques et sociaux. Les
Hema et les Lendu sont des tribus en chiens de faïence aujourd’hui, prêtes à en
découdre à chaque instant, comme elles l’ont fait déjà il y a quelques années,
dans des carnages indescriptibles, sous le chapiteau des intérêts ougandais.
Les Bashi et les Barega n’ont pas tardé, il y a quelques années, à s’empoigner
à mort et à déclencher un processus de haine meurtrière, une fois qu’ils
avaient chassé les Rwandophones de Bukavu. Les Banande de Butembo et les Banande
de Goma ont développé des relations de mépris et d’accusation d’impureté
complètement irrationnelles, alors qu’ils constituent une seule et même
communauté ethnique. A Kolwezi ou à
Funguzume, on se démarque non seulement contre les Kasaïens, mais contre tous
ceux qui viennent d’ailleurs. A Manono, actuellement, les entrepreneurs Bashi
n’ont plus le droit de cité aux yeux des populations locales qui veulent jouir
seules des richesses des mines. Ce ne sont là que des exemples, mais ils sont
significatifs et ils expriment un certain fond de l’imaginaire congolais dans
tout son potentiel meurtrier.
Que se cache-t-il derrière toutes ces
logiques d’exclusion et toutes ces passions promptes à devenir
cannibales ? Le poids de l’ignorance, sans doute, dans un pays où
l’éducation n’a pas suffisamment promu le développement de la raison, de
l’esprit d’organisation communautaire pour le bien et la force de la
connaissance réciproque pour forger des synergies supra-ethniques créatrices de
richesses communautaires. Il y a aussi le poids des misères et de la pauvreté,
vite récupéré par des politiciens manipulateurs dans leur volonté de pouvoir et
dans leurs égoïsmes sans limite. Il y a surtout, et de plus en plus,
accoutumance à la culture de la mort et de la destruction, au poids du malheur
et à la banalisation du crime.
Les
conséquences d’un effet d’accoutumance
On comprend alors pourquoi, dans des
conditions épouvantables des guerres à répétition, tout le monde joue sa
partition de mort dans une absurdité totale. On vit dans une ambiance où
l’on se croit toujours victime des autres. Ceux-ci cessent d’être perçus comme
des êtres humains : ils sont des monstres, des tueurs en série, même s’ils
sont des voisins avec qui on a vécu pendant de longues décennies. Le plus dur
dans la situation, c’est que l’on ne voit même pas que la diabolisation des
autres et la victimisation de soi vous rendent vous-même susceptible d’être un
monstre et de vous précipiter dans la logique des crimes contre l’humanité,
sans même que vous vous en rendiez compte, par manque d’un espace de distance
par rapport aux effets d’accoutumance à
la logique des meurtres à grande échelle.
C’est ainsi que les tribalismes sont
devenus meurtriers. C’est ainsi que les identités exacerbées crachent leur lave
volcanique à partir d’un milieu social, d’un système de vie, d’une base de
l’être et d’un code d’action que
l’esprit tribaliste est devenu dans un Congo à Etat faible, ou plus exactement
dans un Congo dépourvu d’Etat véritable.
Il faut aujourd’hui régler ce problème
en faisant sauter le verrou des identités meurtrières, en vue de construire une
société de paix, de sécurité et d’harmonie entre les ethnies, surtout en ce
moment où les identités meurtrières au Congo sont envenimées par les tensions
et les suspicions qui opposent le Rwanda et l’Ouganda comme bloc d’un côté et
de l’autre côté le Congo en général et les populations du Kivu en particulier.
Que
convient-il de faire ?
A la question de savoir ce qu’il
convient de faire, ma réflexion ne me conduit pas à un rapide court-termisme,
qui fournirait des solutions du genre « prêt-à-porter ». Ce type de
solution, je n’en vois pas clairement maintenant.
La voie de l’intensification des
conflagrations tribales, pour qu’une tribu impose son hégémonie sur les autres,
n’a aucune chance. Elle ne mène qu’à la multiplication des milices et à la
militarisation des tribus pour des massacres sans fin.
La voie du discours moralisateur et des
incantations spiritualistes n’a pas porté de fruits jusqu’à ce jour non plus.
Ni les réunions des bonnes âmes qui prônent la voie du bien, ni les
prédications des Eglises tous les dimanches et dans toutes les prières toujours
recommencées, ni les exaltations des prophètes des valeurs humanistes, n’ont eu
d’échos favorables dans les esprits pour casser les ressorts de l’identité
meurtrière. On est dans une situation où la perspective de « aimez-vous
les uns les autres » ne mène à rien face aux pragmatismes cruels et aux
méfiances ancrées dans les haines.
La voie d’une entente politique entre
les chefs de guerre est également bloquée. Les haines sont telles que rien ne
permet un accord des esprits et des consciences chez les élites guerrières
actuelles.
L’Etat congolais étant faible, fragile
ou inexistant en tant que force crédible ; ses autorités n’ayant par
ailleurs aucune crédibilité morale ni aucune légitimité populaire ; son
armée étant aujourd’hui un repaire de la désorganisation et du désordre
entretenu, on ne peut rien attendre de lui pour rassembler et fédérer les
tribus dans une paix vraiment durable,
Même la communauté internationale ne
semble pas avoir une solution magique contre les tribalismes meurtriers qui
alimentent les guerres au Kivu maintenant.
Toutes les voies à court terme qui
auraient pu fournir du « prêt-à-porter » sont bouchées. Il reste le
chemin long et difficile de la construction d’une citoyenneté responsable par
une nouvelle éducation, à partir des forces de la paix qui s’assument en tant
que telles et qui mènent la bataille d’un nouvel imaginaire pour de nouvelles
pratiques culturelles et politiques en vue d’une nouvelle destinée.
Pour définir cette voie étroite et
difficile de la citoyenneté responsable, je la caractérise par quatre
expressions que je reprends à des grands esprits de notre temps.
La première orientation est celle que le
philosophe tchèque Jan Patocka appelle le
courage des intrépides : l’option pour ramer et vivre à contre-courant
des idées reçues et refuser les sentiers battus, individuellement, dans un
choix que l’on assume soi-même et auquel on décide de se tenir fermement.
La deuxième orientation, Patocka la
désigne par l’expression de solidarité
des ébranlés, c’est-à-dire les synergies assumées par ceux qui ont pris
conscience de la faillite de l’ordre existant et qui luttent pour la construction
d’un nouvel ordre du sens.
La troisième orientation, je l’emprunte
au philosophe français Michel Foucault qui parle des pratiques de liberté. Dans un ordre social gangrené par des
pathologies comme le tribalisme et les guerres, le courage des intrépides et la
solidarité des ébranlés ne peuvent s’assumer que dans les pratiques, les
initiatives et les actions d’une liberté créatrice dont la voie ouvre des
perspectives autres que celles de l’idiote accoutumance à la banalité de
l’opinion générale, surtout quand cette opinion promeut les logiques des
crimes.
La quatrième orientation est celle
qu’Abdou Diouf a appelé le changement
maîtrisé. Il faut entendre par là non pas les changements dans la violence
et les crimes, mais par une transformation profonde basée sur une réflexion de
fond concernant les enjeux fertiles d’une situation donnée.
Aujourd’hui, on sait que des porteurs de
telles orientations ne tombent pas du ciel : ils émergent d’une dynamique
éducative de longue haleine. Si l’on veut une paix durable, il faut aussi une
éducation durable. C’est elle la clé de l’avenir contre les identités
meurtrières.
Faire
sauter le verrou des relations du Congo avec le Rwanda et l’Ouganda
Une question surgit sans doute des
esprits : si la situation est telle que nous l’avons décrite, pourquoi
c’est dans le Kivu seulement que les identités meurtrières ont libéré toutes
leurs puissances destructrices à l’échelle de l’horreur absolue, alors que
c’est tout le Congo qui est concerné par la question tribale ?
Un
rendez-vous manqué avec l’Histoire
La réponse est la suivante : c’est
parce que le Kivu a été le point de départ d’une guerre pour reconfigurer
l’ordre politique au Congo et réinventer l’Etat congolais qu’il s’est
trouvé précipité dans les turbulences des interventions rwandaise et
ougandaise, nouveau verrou à casser pour construire la paix, assurer la
sécurité et aménager un espace d’harmonie relationnelle entre les ethnies.
C’est en effet du Kivu que fut lancé le
grand rendez-vous manqué avec l’histoire. C’est là que fut déclenché le
fracassant processus de renversement du régime de Mobutu par la coalition
militaire dont le Rwanda et l’Ouganda furent les maîtres d’œuvre. Le Congo eut
à ce moment là l’occasion et l’immense opportunité de refonder l’Etat, de
renouveler l’imaginaire de la population et d’engager un processus de lancement
d’une nouvelle politique de coopération entre les pays des Grands-Lacs sur un
vaste territoire d’ethnies soudées pour un même élan de développement durable
et solidaire. L’occasion fut manquée, l’opportunité gaspillée et le rendez-vous
avec le destin complètement dilapidé.
Ils auraient pourtant pu être réussis,
compte tenu des espérances libérées et des utopies investies dans les esprits.
Ils auraient pu l’être si et seulement si :
-
le Rwanda principalement, et l’Ouganda à sa
suite, s’étaient comportés en puissances de vraie libération d’un peuple
opprimé par la dictature mobutiste, au lieu de s’être vite transformés en
puissances d’occupation, de prédation et d’auto-enrichissement, faisant
rapidement du Congo un butin de guerre au sens des plus archaïques des logiques
propres aux armées victorieuses ;
-
les responsables politiques du Rwanda, de
l’Ouganda et du Congo avaient pu mettre en place des dynamiques de
responsabilité commune pour faire du Congo le nouvel espoir au service de tous
les pays des Grands Lacs, au lieu de se lancer dans des antagonismes violents
qui conduisirent à des guerres tribales et interrégionales multiformes sur le
territoire congolais, et surtout à un Etat de guerre permanent dont le Congo
post-Mobutu n’a cessé de souffrir ,
-
le
nouveau pouvoir en RDC avait eu la sagesse de rassembler en une seule dynamique
nationale toutes les composantes politiques qui avaient combattu Mobutu pendant
des années, au lieu de se constituer en une nouvelle clique ethnico-dictatoriale
dominée par une seule région, dans un processus désastreux où la société
congolaise se voyait replonger dans du déjà-vu tribaliste qui avait pourri le
Zaïre de Mobutu ;
-
dans plusieurs rounds de négociations
inter-congolaises, on était parvenu à un projet politique national fondé sur
une volonté commune de bâtir une unité et une communauté de destinée, au lieu
de promouvoir des visions où les appartenances ethniques et régionales avaient
un rôle capital et décisif ;
-
le Congo s’était doté d’institutions permettant
à chaque région du pays de s’organiser en pôle de richesse et d’enrichissement
des autres, au lieu d’une centralisation incohérente et inconsistance qui fit
de la nation un royaume divisé contre lui-même, en profondeur ;
-
la société congolaise avait pu mettre sur pied
une politique de défense solide et des mécanismes de sécurité territoriale dans
la paix avec ses voisins, au lieu ne s’accoutumer à sa propre fragilisation
interne et externe, sans aucune possibilité de devenir ce qu’il aurait pu être
vraiment : une puissance régionale aux échelles politique, économique,
sociale, culturelle et militaire.
Dans
les logiques macabres, des imaginaires pathologiques
Le rendez-vous du destin ayant été ainsi
manqué, ce furent les logiques macabres de la guerre endémique, de l’insécurité
chronique et des identités meurtrières qui s’imposèrent. Cela dans une région
qui avaient tous les ingrédients pour s’enliser dans une dynamique
d’inter-destruction tribale à grande échelle. A savoir : une importante masse
des réfugiés rwandais pris en otages par les génocidaires de 1994 ; les
tribus tutsi et hutu congolaises que l’on découvrit soudain ou qui se
découvrirent elles-mêmes soudain comme des entités rwandaises ; d’autres
tribus congolaises dont les liens entre elles-mêmes et avec les tribus
rwandophones n’avaient rien des grandes amours paisibles ; d’immenses
richesses foncières et minières convoitées, dans une explosive puissance de
violence mimétique ; et pour couronner tout cela, des hommes politiques
assoiffés du pouvoir qui mirent sur pied, à leur service et pour leurs propres
objectifs, des milices destructrices, véritables machines de guerres à
répétition.
Ces logiques macabres fertilisent des
imaginaires pathologiques. Le Rwanda a son imaginaire du Congo et le Congo
exalte son imaginaire du Rwanda. Ces imaginaires sont irrigués par des
perceptions souvent négatives, que les propagandes dans les deux pays, de
manière explicite ou selon des codes implicites, attisent, embrasent, surtout
en ces temps de crise et de tension entre les gouvernements de ces deux
nations.
En plus, ces imaginaires produisent de
types de relations complètement viciés : relations de ressentiments, de
rancœurs, de passions cruelles, de suspicions en folie, de pulsions
destructrices ; ou, dans les meilleurs des cas, des baves de
faux-semblant, d’hypocrisies, de fausses promesses et de trahisons de la parole
donnée ainsi que des accords signés. Dans un tel contexte, il n’est pas
possible qu’entre Tutsi, Hutu et tribus congolaises, à l’intérieur même du
Congo, soient créées et entretenues des relations paisibles. Le verrou des
relations entre le Rwanda et le Congo ne peut pas rendre cela possible.
Que
faire, dans cette situation ?
Conformément aux quatre orientations que
j’ai ouvertes contre les ethnismes meurtriers et qui valent aussi contre les
nationalismes étroits, je pense à une éducation des générations montantes,
basée sur l’art de se déconditionner du
vécu, pour reprendre une expression de Krishnamurti. Se déconditionner des
imaginaires actuels du Congo et du Rwanda. Se déconditionner des discours dominants
au sein de ces pays, dans leurs présupposés, dans leurs préjugés et dans leurs
suspicions politiquement téléguidées. En fait, opérer un double déplacement de
centre de gravité.
Premier
déplacement :
quitter la logique dominée par les pouvoirs politiques qui nous gouvernent dans
les deux pays actuellement pour construire des lieux de remise en question de
ce que ces pouvoirs ont d’aveugle sur les exigences d’un nouvel ordre de relations
entre le Rwanda et la RDC, avec de nouvelles visions, de nouvelles ambitions et
de nouvelles espérances de paix durable. Avec, surtout, de nouvelles
initiatives pour un vivre-ensemble social fécondé par une véritable volonté de
concorde et de créativité commune pour le développement. Contrairement à ce que
l’on pense dans la situation actuelle de tensions entre les deux pays, de
telles initiatives sont possibles et elles ont le seul chemin d’avenir pour la
paix. Je pense particulièrement ici aux liens du commerce frontalier, aux
possibles lieux de rencontres culturelles, aux réseaux nécessaires de la
société civile, aux dynamiques d’interactions de forces religieuses et aux
colloques de l’intelligentsia, loin des déterminismes politiques et de leurs manichéismes
traumatisants.
Deuxième
déplacement :
passer de la logique de la régression vers la recherche des causes de conflits
entre le Rwanda et le Congo (causes que l’on ressasse à mort dans des débats
interminables sans jamais se mettre d’accord), à la logique d’invention d’une
nouvelle volonté et d’un nouveau sens de l’être-ensemble. Plus exactement, il
s’agit de neutraliser les causes de la guerre par la dynamique d’un
volontarisme unificateur, d’un souci fertile de paix durable, grâce à
l’éducation de l’imaginaire et à son orientation vers de nouvelles ambitions de
développement.
Avec ce double déplacement, on pourra
faire sauter le verrou actuel des tensions entre le Rwanda et le Congo, non pas
dans le court-terme des solutions politiques et militaires de surface, mais
dans un souffle pour une alliance des peuples, profondément, avec de nouvelles
forces antidestin à créer et à vitaliser.
Faire
sauter le verrou des irrationalités des pays des Grands Lacs
Pour ce faire, il faut élargir le champ
de l’action jusqu’à l’échelle de tous les pays des Grands Lacs. Ceux-ci ne se
sont pas encore donné une véritable conscience de leur être-ensemble, de leurs
intérêts communs profonds à travers des institutions régionales vraiment
crédibles, qui puissent rendre possible .le double déplacement de sens dont
j’ai parlé, dans un cadre solide à l’intérieur duquel le Congo et le Rwanda se
sentiraient unis dans une destinée commune.
Regards
tournés vers les ailleurs
Le Rwanda, clé de la paix dans la
région, pense sa destinée plus vers les institutions économico-politiques de
l’Est de l’Afrique que vers l’Afrique centrale où se déploie le Congo.
Celui-ci, autre clé de la paix et de la sécurité dans cette région, est happée
par les institutions économico-politiques de la région Sud du continent, avec
l’Afrique du Sud comme moteur. Les autres nations de la région ne semblent pas
intéressées par une communauté de destinée dans la région des Grands Lacs,
autour des enjeux qui mériteraient un engagement total. Le Burundi veut
maintenant entrer au Commonwealth, dans un élan vers des ailleurs qui
l’éloignent des intérêts de la région à laquelle il appartient. Tout donne
l’impression que tout tourne vers
l’Afrique de l’est et australe ou vers le vaste monde, alors que la RDC, même
quand elle se tourne vers la SADEC, ne tourne qu’autour de sa propre
autodestruction. Il est d’ailleurs
symptomatique qu’aucun leader politique d’envergure dans la région des
Grands Lacs n’ait à ce jour pris pour cause essentielle de son combat la construction
d’un vrai et grand espace social, économique,
politique, culturel, spirituel et militaire pour le bonheur de tous les
peuples de notre région. Nous sommes ainsi, du point de vue de la solidité des
institutions régionales, un véritable ventre mou pour l’Afrique d’aujourd’hui.
Un
double endiguement
Il y a là un verrou à faire sauter, pour
que les peuples aient le sentiment d’appartenir à une seule et même région,
avec une même mystique de la volonté d’être ensemble, de vivre ensemble, d’agir
ensemble et de rêver ensemble pour une paix durable, une sécurité sereine et
une cohabitation harmonieuse entre les pays et entre les ethnies.
Une double dynamique est nécessaire à ce
niveau, pour la construction d’un grand imaginaire de la grandeur de la région
des Grands-Lacs :
-
L’endiguement de petits nationalismes
idéologiques. Ceux dans lesquels le Rwanda et la RDC s’enferment dans leurs
antagonismes inutiles et dans toutes les logiques de guerre que cet enfermement
entraîne, au lieu d’ouvrir leurs frontières dans un projet
d’inter-enrichissement aujourd’hui possible dans tous les domaines, à commencer
par celui de la paix ;
-
L’endiguement des fortes peurs que les
individus éprouvent, au Congo comme au Rwanda, de ne pas suivre la ligne du
discours officiel de la propagande de leurs pays. Quand on sait qu’en situation
de tensions et de conflits entre nations, les propagandes sont toujours
enclines aux falsifications de la vérité au nom des intérêts des pouvoirs en
place, il est important que des individus qui veulent la paix puissent se
démarquer de la parole officielle pour tracer le chemin de la paix. Chaque
individu, au Congo comme au Rwanda, a le pouvoir de dire : « Je ne
suis pas esclave des conditionnements du discours de propagande du gouvernement
de mon pays. Je suis un homme libre, une femme de liberté et j’agirai désormais
à partir de cette responsabilité de ma liberté, pour des liens de paix entre
mon pays et ses voisins. » La liberté et la responsabilité qu’elle porte
deviendraient ainsi le socle d’une autre politique rwando-congolaise
possible : une politique de paix. Une politique fertilisée par des
ambitions, des perspectives, des rêves et des utopies de paix et de bonheur
partagé.
Comme dynamique de l’imaginaire, le
double endiguement ainsi défini devra conduire à regarder plus vers le futur
que vers le passé. Il rend chaque personne capable de tenir à son propre compte
le discours suivant : « Je suis libre. Ni le passé ni le présent ne
m’empêcheront d’imaginer, de créer et de vivre l’avenir qui correspond le mieux
aux espérances, aux attentes et aux enjeux d’une existence fertile. Dans
l’Afrique des Grands Lacs, ces espérances, ces attentes et ses enjeux ont une
vibration intime : la paix.
Et
le verrou de la communauté internationale ?
Au Congo aujourd’hui, la communauté
internationale a un rôle capital dans la gestion de la guerre de l’est. Depuis
la Monuc jusqu’à la Monusco, deux missions des Nations Unies pour la paix et pour
la stabitisation en RDC, on ne peut pas
compter le nombre des rencontres qui n’ont accouché que d’une souris, sans
mettre fin à une guerre destructrice dont personne ne croit plus qu’elle aura
vraiment une fin heureuse. Certains Congolais en viennent aujourd’hui à penser
que les Nations Unies, loin d’être une solution, font désormais partie du
problème congolais. Des remises en question radicale de la mission de la
Monusco jaillissent de partout, comme si cette mission commençait à agacer les
esprits et à inquiéter les consciences au Congo.
On se rend surtout compte que cette
mission ne pèse vraiment pas lourd là où elle aurait dû peser le plus lourd. A
savoir : sur la dimension internationale du conflit congolais dont on sait
qu’il est aussi lié aux intérêts économiques et financiers des certains trusts
mondiaux et de certaines mafias internationales.
Sur ce verrou, l’action internationale
est très fragile, comme elle est aussi fragile concernant les modes de
gouvernance qui, au Congo comme au Rwanda, favorisent les logiques de la
guerre.
L’imaginaire international est moulé par
des clichés qui l’empêchent de voir les vrais problèmes. Dans cet imaginaire,
il y a d’un côté un pays d’ordre et de discipline, le Rwanda, auquel on ne
reproche que son soutien aux rebellions congolaises. De l’autre, il y a un pays
du désordre, sans logique d’un véritable Etat, la RDC, qui ne peut s’en sortir
sans des forces mondiales du maintien de la paix.
Avec une telle vision, on ne voit pas ce
qui lie les deux pays dans leur logique de guerre : un véritable autisme
par rapport aux intérêts les plus profonds et les plus radicaux de leurs
peuples, sur le long terme. J’insiste bien : sur le long terme.
Il suffit pourtant de se pencher sur le
bilan humain de la guerre de l’est du Congo et sur les cruautés indescriptibles
auxquelles tous les acteurs de cette guerre se sont livrés pour se rendre
compte que la seule issue d’avenir c’est la paix et que cette paix n’est
possible que si un système démocratique qui voit les intérêts à long terme des
populations se met en place au Rwanda et au Congo, pour libérer le génie des
peuples dans la construction du développement solidaire, sur la base des
problèmes réels auxquels le Rwanda et le Congo font face dans le monde actuel
dominé par une globalisation féroce.
Sur les effets de cet ordre mondial ans
la gouvernance au Rwanda comme au Congo, les Nations Unies ont un mutisme
étonnant, comme si la logique des systèmes politiques en place dans les Grands
Lacs importait peu, de même qu’importe peu le jeu des agents du capitalisme
mondial au Congo aujourd’hui.
Il n’y aura pas de paix au Congo si l’on
ne casse pas le verrou de la communauté internationale comme partie intégrante
du problème de la guerre à l’est du Congo aujourd’hui.
De quelle manière ? Par un double
mécanisme, qui conduirait à voir les dimensions du problème que les Nations
Unies ne voient pas :
Le premier mécanisme est la critique de
la toute-puissance de l’Etat au Rwanda et de l’impuissance critique du peuple
face à cette toute-puissance ; tout comme la critique du vide de l’Etat au
Congo et de la gouvernance de corruption
qu’un tel vide crée.
Le deuxième mécanisme est la mise en
lumière de l’action pernicieuse de toutes les forces économico-industrielles et
militaro-mafieuses qui détruisent le Congo dans une guerre de pillage et de
prédation.
Il ne faudra prendre au sérieux la
communauté internationale dans la construction de la paix à l’est du Congo qu’à
partir du moment où elle considérera que
sa mission concerne aussi la gouvernance au Congo et au Rwanda ainsi que
l’emprise du capitalise ultralibéral sur ces pays. Sans cela, tout ce qu’elle
fait n’est qu’une vaste comédie, une comédie tragique face aux populations
aujourd’hui.
Chemin
d’avenir
L’analyse à laquelle je viens de me
livrer et les orientations que j’y ai ouvertes montrent à quel point un immense
travail sur les intelligences, sur les consciences et sur les imaginaires
devrait être fait pour ouvrir un chemin d’avenir à la paix durable. Tout ce
travail devra viser à extirper des esprits tout un ensemble d’archaïsmes
mentaux et d’idées fausses qui nous empêchent de voir, au Congo et au Rwanda,
qu’une rupture avec les logiques de guerres et de crimes est aujourd’hui
indispensable, dans un renouveau de vision du monde.
Les archaïsmes et les idées fausses dont je parle sont les suivantes:
-
L’idée de la centralité de la tribu comme
dynamique identitaire fondamentale. Cette idée est simpliste et réductrice.
Elle ne voit pas que chaque être humain et chaque groupe social sont des
carrefours d’identifications multiples, réelles comme virtuelles, qui
construisent des personnalités plurielles et infiniment riches de possibilités
qu’offrent les rencontres et les perspectives de vie.
-
L’idée des références nationales actuelles
comme unique base des relations entre citoyens de divers pays. Dans la mesure
où elle enferme les personnes dans une nationalité une et exclusive, comme en
RDC, elle est extrêmement pauvre et inféconde. Elle fait de la nation une
prison politique, une caverne sociale ou une caserne culturelle sans horizon
sur le vaste monde.
-
L’idée que les frontières issues de la
colonisation sont éternelles et intangibles et qu’elles ne pourront jamais
évoluer en fonction des enjeux du présent et des nécessités du futur, sur la
base des intérêts communs qui peuvent conduire des pays à se reconfigurer dans
des entités plus vastes et plus productives, selon des orientations
d’enrichissement dont les populations bénéficieraient. Cette idée est un carcan
idéologique qui casse les ressorts d’une réflexion de fond sur les possibilités
de nouvelles richesses pour les nations.
-
L’idée que les réseaux transnationaux de
prédation et de domination, qui attisent souvent des guerres locales à leur
profit, font désormais partie intégrante de la géopolitique mondiale et qu’on
ne peut rien contre elles quand elles se déchaînent dans un espace social
déterminé. Une telle idée enferme les esprits dans l’impuissance et dans la
démobilisation. Elle condamne les personnes et les peuples à refuser de
regarder en eux-mêmes pour susciter des forces « antidestin » et
s’organiser en vue de leurs intérêts propres, intérêts de puissance, de dignité
et de bonheur collectif.
-
L’idée selon laquelle la guerre serait la seule
voie nécessaire pour résoudre les problèmes des nations comme la RDC et le
Rwanda dans l’antagonisme de leurs intérêts respectifs. Cette idée est un
archaïsme nuisible, qui ne voit ni la fécondité des évolutions de la conscience
éthique et spirituelle de l’humanité, ni les impératifs des droits de l’homme
et des peuples, ni les exigences d’une politique du développement solidaire
mondiale à laquelle aboutira un jour ou l’autre le mouvement actuel
d’altermondialisation.
Kä Mana
Président de l’Institut interculturel dans le Région des
Grands Lacs (Pole Institute)
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