mercredi 24 avril 2013

L'APRES-GUERRE A-T-IL COMMCENCE EN RDC ?



L’Après-guerre a-t-il commencé en RDC ?
Ce que je rêve, ce que je crois, ce que j’espère


Par Kä Mana
Ce que vous allez lire  est un rêve éveillé. Un rêve du genre dont parlent les philosophes et les poètes lorsqu’ils évoquent parfois les puissances merveilleuses des utopies critiques diurnes ou même nocturnes. Je parle de ces limons vifs qui jaillissent de temps en temps des profondeurs du subconscient et ouvrent peu à peu les horizons d’un futur inattendu, après avoir déchiré le voile des grisailles de nos existences quotidiennes dans leurs routines et leurs platitudes.
Tout commence dans un bateau au beau nom d’Emmanuel II
 Je suis dans une cabine première classe de ce bateau à Goma. J’ai  devant moi six heures de voyage jusqu’à Bukavu et je décidé de les consacrer à réfléchir sur la phase actuelle de la guerre dans l’est de la RDC, après l’accord d’Addis-Abeba et l’annonce de la reprise des pourparlers de Kampala que j’imaginais morts à jamais. C’est pour cette raison que je me suis enfermé dans cette cabine tranquille, loin de tout bruit et de tout risque de rencontrer une personne capable de troubler ma quiétude.
J’ai vécu le tohu-bohu de l’embarquement dans ce bateau avec un sentiment de confiance dans l’avenir du peuple congolais. Quand j’ai vu l’agitation des hommes et des femmes surchargés de marchandises, de bibelots de toutes sortes et d’objets hétéroclites portés par des voyageurs surchauffés d’énergie de vie et d’espoir, qui ont fait du port de Goma un véritable essaim d’abeilles humaines enthousiastes, je n’ai pas pu ne pas sentir ce que ce tintamarre avait de plus significatif dans une région en guerre : la volonté de vivre. Vivre à pleins poumons. Vivre abondamment. Vivre puissamment. Envers et contre tout. A pleine vitesse et en croquant l’existence à dents acérées. Avec toute l’esthétique du bien-être qu’exhibe l’habillement splendide des femmes dans leur préciosité rayonnante et des hommes dans leur orgueil magnanime.
A mon habitude, je regarde particulièrement les femmes : leur beauté, leur énergie, leur exubérance et leur sensualité jubilatoire qui font de la vie un rêve digne d’être rêvé dans toute sa plénitude et dans toute sa fulgurance.
 Le Lac Kivu est d’un calme insondable sous un ciel caressé par de petits nuages blancs, tout silencieux dans leur immobilité matinale. Je sais que le jour se réchauffera petit à petit et que le bateau partira dans une lenteur lourde et paisible, avant d’atteindre sa vitesse de croisière dans la symphonie des îles riantes  que nous rencontrerons en plein lac.
Je suis allongé sur un petit lit austère et doux dans le calme de ma cabine et je réfléchis sur la guerre dans l’est de la République démocratique du Congo, comme très souvent depuis de longs mois d’inquiétude et d’espoir.
Une semaine plus tôt, le matin du dimanche de Pâques, sans doute sous l’impulsion de l’esprit de la résurrection et l’intensité des espérances, j’avais écrit un texte où j’affirmais que la guerre était finie dans l’est de la République démocratique du Congo et que s’ouvrait maintenant l’ère de la résurrection congolaise dans la construction d’une paix durable et du développement pacifique. J’avais écrit cette réflexion en priant, l’esprit nourri par le texte d’un prophète biblique dans sa splendide vision des ossements desséchés qui reprennent vie, qui reprennent souffle et qui triomphent de la mort, comme le Congo dont je me sens convaincu qu’il reprendra vie, qu’il prendra souffle et qu’il triomphera de la guerre.
 Dans mon entourage le plus proche, ce texte d’inspiration chrétienne fut accueilli avec prudence. Soit dans un silence gêné où je sentais qu’il ne fallait pas prendre mes désirs pour des réalités, soit avec des sourires d’amitié qui me conseillaient de ne pas rendre ma réflexion publique, de peur de paraître, au cas où les déflagrations meurtrières reprendraient, comme un penseur sans lucidité ou  un analyste sans crédibilité.
Les raisons de la prudence
Les raisons pour m’inviter à la prudence étaient multiples et j’avais, dans la cabine d’Emmanuel II sur le lac Kivu, tout le temps nécessaire pour dérouler dans mon esprit le beau  tapis de leur argumentaire, de sa justesse et de sa pertinence.
Avant tout, il est clair pour beaucoup de nos compatriotes que les effets d’annonce sur la fin de la guerre dans l’est de la RDC font partie du rythme même de la guerre. Un certain 23 mars 2009, les populations avaient déjà été gratifiées de cette annonce et la guerre avait repris de plus belle. Avant cela, il y a eu moult accords et moult ententes entre belligérants pour en finir une fois pour toutes avec les batailles. Cela n’avait rien donné. Plus on annonçait la fin des hostilités, plus rebondissaient les élans guerriers, avec une amplitude de plus en plus impressionnante, si l’on prend pour paramètre d’analyse le nombre toujours croissant des milices et des groupes armés. Pourquoi l’accord d’Addis-Abeba et son onde de choc obéirait-ils à une autre logique que celle du déjà vu et du déjà connu ?
En plus, l’un des nœuds de la guerre dans l’est de la RDC est la place de ceux que l’on appelle globalement les Rwandophones dans l’espace du Kivu. Dans l’accord d’Addis-Abeba comme dans toutes les autres négociations pour la paix, ce nœud n’a pas une seule fois été correctement dénoué.  Si les choses restent telles qu’elles sont et qu’on fait recours à une armée internationale pour imposer une paix qui ne résout pas cette question, de nouveaux Nkunda, Ntaganda et Makenga surgiront en vue de chercher une vraie place au soleil pour les leurs et ils auront le soutien des leurs qui sont au Rwanda pour continuer la guerre, sous une forme ou sous une autre. Tant qu’on oubliera que la quête d’un espace vital tranquille et sécurisé pour les Hutu et les Tutsi congolais est l’un des ressorts de fond pour la guerre, on aura nagé à la surface des choses et un jour ou un autre, on se retrouvera à la case de départ. Or Kinshasa a des difficultés à comprendre cette logique et s’époumone à réclamer l’autodestruction du M23, comme si la disparition de celui-ci et des autres milices extirpait des cœurs les haines et les instincts meurtriers accumulés au cours de l’histoire de ces dernières années dans le Kivu. Cela du côté des peuples qui s’affirment comme autochtones meurtris, dans les souffrances indescriptibles toujours ressassés, tout aussi bien que du côté des Rwandophones congolais qui n’ont pas l’intention de terminer leur vie comme réfugiés au Rwanda ou comme moutons à l’abattoir des vindictes populaires congolaises. Pour les uns et pour les autres, la guerre est encore une réalité à assumer et bien naïf celui qui croirait que tout est fini rien que par la magie des accords signés. Ce n’est pas cette magie qui compte, mais  une politique globale de solution globale qui exige que tous les Congolais et toutes les Congolaises choisissent ensemble la voie de la paix et du développement pacifique.
Il y a plus. La RDC a toujours accusé le Rwanda et l’Ouganda d’être la cause de ses malheurs. Il a toujours affirmé qu’il subit, de la part de ces pays. des assauts de prédation toujours recommencés. Le Rwanda et l’Ouganda, eux, jurent le contraire. Mais dans les allégations comme dans les dénégations, il n’y a pas lieu d’être dupe et de refuser de voir qu’un problème d’intérêts économiques de fond se pose. Un problème qu’aucun accord n’a jusqu’ici pris en compte. On s’appesantit sur les dimensions politiques de la guerre de l’est de la RDC sans creuser sérieusement leurs soubassements économiques et financiers. Sans ces soubassements, la guerre ne peut pas finir. Il faut le courage d’une conférence économique de la région des Grands Lacs, pour poser dans sa globalité la question du développement pacifique de la région, selon les intérêts de tous les pays. Sans cela, le beau vernis des décisions prises dans les accords politiques ne fera que cacher l’exigence du courage pour une paix régionale véritable.
En plus : la guerre dans l’est de la RDC est entretenue par des forces clairement visibles comme par des puissances de l’ombre dont aucune n’apparaît dans les multiples négociations pour la paix. Les pays comme le Canada ou la Chine,  tout comme les entreprises internationales et les trusts vendeurs d’armes, dont les intérêts sont immenses dans la question congolaise, personne ne dit ce qu’ils pensent du processus actuel de paix. Il n’y a aucune politique visible des protagonistes étatiques, privés ou mafieux, qui permette de dire que tout le monde adhère au schéma général des Nations Unies. Il y a encore moins une volonté internationale puissamment partagée pour que le Congo entre dans un processus irréversible de développement pacifique. Comment peut-on espérer une vraie paix dans de telles conditions ?
En même temps, il n’est pas bon d’oublier que le Rwanda n’a aucune confiance en l’Afrique du Sud, pays qui abrite les opposants au régime de Kagamé et qui est censé fournir un grande partie du contingent pour l’action de neutralisation des forces négatives en RDC. Laisser la tâche d’éradiquer les FDLR à une force aussi aléatoire, ce serait  non seulement une naïveté politique inacceptable pour les autorités rwandaises, mais surtout une erreur politique inimaginable. Le Rwanda ne peut vivre qu’en mettant en œuvre la vielles sagesse militaire : « Si tu veux la paix, prépare la guerre. »
  Last but not least : la guerre n’est pas seulement un problème d’armes, mais un problème de vision du monde et de structures de mentalité. Elle naît, se développe et finit dans l’esprit des hommes. Or, aujourd’hui, cet esprit de guerre est tellement ancré dans certaines mentalités qu’il ne peut être éradiqué que par une éducation de longue haleine. Malgré la présence d’une multitude d’associations, organisations non gouvernementales, centres de recherches et institutions universitaires  pour la paix, rien ne donne l’impression d’un changement de fond dans l’être des tribus de l’est de la RDC pour un vivre-ensemble fondé sur les valeurs de paix profonde. Affirmer que la guerre est finie dans un tel contexte, c’est aller vite en besogne. La guerre n’est pas finie quand l’esprit des hommes n’est pas transformé ni les haines totalement éradiquées des consciences et des cœurs.
La sophistique est à la vérité ce que l’humour est à la vie
            On frappe à ma cabine. Je suis tiré brusquement de mon inventaire des raisons pour lesquelles il est difficile de décréter sans légèreté philosophique la fin de la guerre dans l’est de la RDC. Je me lève lentement, les yeux happés par deux petites îles vertes en plein lac. Je prends conscience du calme de cœur et d’esprit que le lent mouvement du bateau glissant sur l’eau procure à tout mon être et je me dirige vers la porte.
 J’ouvre. Devant moi une apparition. Superbe dans son costume bleu ciel. Sa grosse bible sous le bras. Prédicateur de son état, lhommt m’annonce une séance de prière qui se tient dans le bateau même. Je m’étonne devant cette activité d’Eglise dans Emmanuel II. « Là où gronde le démon, il faut annoncer le Christ », affirme l’homme.
-          Le démon ? demandai-je
-          N’avez-vous pas entendu la musique folle qui gronde dans la boîte de nuit de ce bateau ?
-          Nous sommes en plein jour.
-          Justement, le démon a choisi de semer la nuit dans le jour, il faut le combattre dans la prière et la prédication. Je vous invite à venir au combat spirituel.
-          Merci de tout cœur.
 L’homme sourit et se dirige vers la cabine voisine. Le combat entre Dieu et le démon, le bien et le mal, les ténèbres et la lumière dans ce bateau me fait penser à toute la situation du Kivu et même à la condition humaine. Je pense à l’apôtre Jean et à Mani, qui avaient fait de cette bataille gigantesque le cœur de leur spiritualité. Ils rêvaient tous les deux des nouveaux cieux et d’une nouvelle terre, comme moi, comme tous les hommes et toutes les femmes qui veulent changer le monde. Ce rêve m’inonde de sa fraîcheur et j’y crois.
En même temps, j’ai l’esprit tourné vers mes collègues et mes amis qui ont du mal à imaginer que la guerre finisse  tout simplement comme ça, sans qu’aucun problème de fond ne soit résolu.   
Je leur donne raison, sans pourtant remettre en question le fait qu’à mes yeux la guerre de l’est est terminée. Comme toutes les guerres du monde, elle a eu un début, elle a eu une évolution et elle a maintenant une fin. Je sens cette fin mais j’éprouve en même temps la difficulté et de la théoriser et de la clamer dès maintenant comme une certitude.
-          D’ailleurs,  m’avait demandé un collègue philosophe, sur quoi vous fondez-vous pour décréter la fin de la guerre ? Ne craignez vous pas d’être ridicule si les belligérants reprennent les armes et que la guerre recommence ?
-          Et pourtant elle est finie, avais-je répondu, à la Galilée.
-          Comment cela ?
Les premières réponses qui m’étaient venues à l’esprit sont de l’ordre de la sophistique, dans des acrobaties intellectuelles que j’affectionne parfois, par gymnastique de l’intelligence. Et comme la sophistique est à la vérité ce que l’humour est à la vie, ce jeu de la pensée me sert de point de départ pour répondre à mes collègues. Aujourd’hui, j’ai d’autant plus besoin de ces réponses que les bruits courent déjà que le M23 veut reprendre Goma et relancer la guerre, sans états d’âme.
Je pense avant tout à un débat franco-français qui m’avait amusé au début de la décennie 1990. En ces temps déjà lointains, deux penseurs français s’étaient affrontés sur la guerre du Golfe lancée par George H. Bush contre l’Irak de Saddam Hussein. Avant cette guerre, le premier de ces penseurs avait affirmé haut et fort et à grands renforts de brillances médiatiques, comme seuls les penseurs français savent les orchestrer : « La guerre du Golfe n’aura lieu ». Sans doute voulait-il faire un clin d’œil littéraire à Jean Giraudoux et à son célèbre livre : La guerre de Troie n’aura pas lieu. Un mois à peine après la tonitruante affirmation du penseur français, les Etats-Unis lançaient leurs armées sur l’Irak. C’est là que le deuxième philosophe occupa les chaînes de télévision pour clamer haut et fort, et avec toute la brillance qui plaît aux Français : « La guerre du Golfe a bel et bien eu lieu ». Il ridiculisa ainsi le premier penseur non seulement sur le seul point de la guerre du Golfe, mais sur tous les fondements mêmes de toutes les approches philosophiques de cet ennemi médiatique présenté comme un imposteur.  Il faut mal connaître les Français pour croire que le penseur piqué au vif n’allait pas réagir. Il se tint lui aussi sur les plateaux de toutes les télévisions, après la victoire de l’Amérique sur l’Irak, pour affirmer avec aplomb : « La guerre du Golfe n’a jamais eu lieu ». Sa ligne de démonstration était lumineuse : elle montrait comment tout en Irak n’était qu’un jeu de simulacres dont les télévisions étaient le seul témoin, sans cadavres ni plans de guerre, avec des seuls discours pour dire qu’il y avait une guerre alors que Saddam régnait encore sur l’Irak. Un homme dont l’Amérique voulait cependant se débarrasser en lançant sa prétendue guerre, pour un nouvel ordre mondial.
Je me disais en moi-même que si jamais la guerre reprenait dans l’est de la RDC après mon texte, j’avais tout le loisir d’affirmer qu’il ne s’agissait plus d’une guerre, mais d’un simulacre de guerre, avec des simulacres d’armées, de simulacres d’enjeux et de simulacres d’acteurs. Après les accords d’Addis-Abeba, la dislocation du M23 en deux branches, la défaite d’une des branches et le transfert de Bosco Ntaganda à La Haye, qui sonnaient le glas de la vraie guerre, on ne pouvait entrer que dans le simulacre de guerre car la seule voie de paix ne peut être que la recherche de la paix. Personne n’a plus intérêt à la guerre et personne n’a la vraie possibilité de la gagner : ni le M23, ni les FDLR, ni les petites milices disséminées partout, ni le Rwanda, ni l’Ouganda, ni la RDC, ni même les  « petites mains du capitalisme », commanditaires de l’ombre dont les intérêts risquent de disparaître si la guerre se poursuit. Il ne reste plus qu’à faire semblant et à jouer à la guerre au lieu de la faire.
Cette solution sophistique à la française me donnait à sourire devant les ondulations du lac Kivu et la puissance calme d’Emmanuel II naviguant dans l’impériale  majesté liquide. Je me disais : « Ah ces Français et leur art de penser avec élégances toutes les solutions même pour les problèmes les plus  insolubles ! »
Mais mon esprit ne s’arrêtait pas à eux. Il se tournait vers Kinshasa et son univers politico-médiatico-intellectuel. Le discours triomphant des Kinois m’intéressait car il plaçait toute son espérance dans l’arrivée d’une armée internationale et dans la transformation de la mission de la Monusco en force guerrière. Ce que Kinshasa ne voit pas, selon ma vision sophistique, c’est le fait même que l’acceptation d’une mission guerrière par les troupes de la Monusco, dont la vision du problème congolais ne voulait pas faire jusqu’ici autre chose que protéger les populations, signifie que les stratèges onusiens sont convaincus, sur le terrain, d’une réalité : la Monusco n’aurait pas à se battre parce que la guerre est finie. Ses militaires pourraient ainsi accumuler les frais de risques en émoluments gigantesques sans rien risquer du tout. Leur séjour au Congo relèverait de ce que le président Museveni a un jour appelé le tourisme militaire, dans une région superbe, loin de toute possibilité d’une guerre qui les engagerait à traquer les milices dans le fins fond de la forêt équatoriale, avec les militaires sud africains en avant-plan.  Après sa débâcle en Centrafrique, avec la chute du régime de Bozize, si l’Afrique du Sud vient au Congo, cela ne peut être possible que dans la mesure où elle sait qu’elle aura à redorer son blason sans prendre aucun risque, ni militaire ni politique. Tous les autres pays qui alimenteront l’armée d’intervention au Congo sont sans doute dans le même état d’esprit d’une guerre sans guerre du tout.
Quant au gouvernement de la RDC, il ne peut pas ne pas savoir qu’il n’a pas d’armée fiable. Il sait aussi qu’on ne peut pas compter sur des armées étrangères dans un pays problématique comme le Congo actuel sans prendre soi-même le risque de devenir un gouvernement fantoche, un pouvoir fantomatique. Il ne peut par conséquent pas faire de l’option guerrière sa principale arme à un moment où la paix pourra être sa seule arme de survie. Il ne croit donc pas à une solution militaire, même si ses ministres se pavanent à la télévision pour exalter la guerre. Seule la paix est dans son intérêt et elle est maintenant à portée de main. Il suffit de la saisir par la force de l’intelligence. 

Trèves de girouettes sophistiques
« Trèves de sophistiques », dites-vous, sans aucun doute. Mais ce recours aux arguments au premier abord sophistiques ne manque pas de sens, encore moins de suc. Elle veut tout simplement dire que la guerre a cessé d’être le centre des intérêts qui l’ont rendue possible et que nous devons pousser la réflexion pour voir quelles sont les forces qui militent pour la paix en RDC.
J’attends de petits coups frappés à ma cabine. Je crois au retour de l’apparition importune du prédicateur exalté. Je me lève. J’ouvre. Non, ce n’est pas l’apparition. Je suis devant un de mes anciens étudiants de l’Université Evangélique en Afrique à Bukavu, qui souhaitait me dire bonjour parce qu’il m’avait aperçu quand je prenais place dans ma cabine. Avec courtoisie, je lui demande d’entrer. Il entre. Je lui propose de s’assoir sur le seul fauteuil de ma cabine. Il prend place et je me réinstalle sur mon lit.
Le jeune homme s’enquit de mon travail de penseur et du livre que, sans doute, j’écrivais en ce moment..
-          Je rassemble actuellement, lui dis-je, toutes mes réflexions sur la guerre dans l’est de la RDC,, maintenant que la guerree est en train de finir.
-          Vous pensez qu’elle est finie ?
J’entrepris de donner au jeune homme ma vision de la fin de la guerre.
-          Tu vois, lui dis-je, nous vivons dans un monde dont la plus grande force, c’est le Marché. Le Marché, ses lois, ses exigences, ses attentes. Et le Marché, c’est l’impératif des profits dans une compétition planétaire. Les plus forts veulent gagner toujours plus, qu’il s’agisse des pays ou des pouvoirs de l’ombre. Jusqu’ici, le Marché a poussé beaucoup de forces, visibles et invisibles, à croire que la guerre dans l’est du Congo était rentable. Maintenant, les choses ont changé. Cette guerre n’est plus rentable, même pas pour ceux qui en avaient fait une bonne affaire et un filon porteur. Faute de logique de profit, la guerre s’arrêtera comme un véhicule en panne sèche.
-          Je ne comprends pas très bien, professeur. J’ai lu qu’il y a beaucoup d’intérêts en jeu en matière de richesses minières et que la guerre est liée à ces intérêts.
-          N’oublie pas que les intérêts économiques sont liés aux exigences politiques et qu’aujourd’hui la mode en politique mondiale est à l’éthique, à la moralisation de la politique et aux droits humains. L’effet de mode a une onde de choc qui se répandra jusqu’au Congo. Tous les belligérants le savent et il est illusoire de croire que cette mode, même si elle ne constitue pas un changement de fond, n’affecte pas la manière dont le monde entier perçoit le conflit dans l’est de la RDC. Il essouffle la guerre et donne une chance à la paix.
-          A court ou à long terme ? demanda le jeune homme.
-          Les deux. A court terme pour faire cesser les armes. A long terme pour libérer les dynamiques d’éducation profonde au développement pacifique et bâtir les institutions de paix. Entre les deux, il y a le moyen terme qui concerne les discussions politiques et économiques à poursuivre pour donner un visage de paix à l’avenir. 
Emmanuel II est maintenant en face de l’île d’Idjwui, l’endroit du monde auquel mon cœur est le plus attaché aujourd’hui. Je propose au jeune homme que nous sortions de la cabine pour prendre place à l’avant du bateau. J’admire l’île en silence et tout mon être chante. Le temps passe et  Emmanuel II glisse sur la surface bleue du lac Kivu. Le ciel est maintenant d’une clarté profuse. Le soleil y rayonne. De temps en temps, un gros oiseau noir vol à ras le lac, plonge en profondeur avant de surgir loin pour reprendre souffle. D’autres oiseaux, tout blancs, virevoltent en grappes dans l’air frais, fonçant vers les lointains dans une compétition ardente de vitesse et de magnificence. Tout dans la nature rayonne de beauté et de charme, en moi-même comme tout aux alentours d’Emmanuel II. Deux heures passent ainsi dans une communion paisible avec tout l’univers. Je médite et je réfléchis. Enfin, je pris la parole pour dire au jeune homme :
-          Il n’y a pas que le marché et la mode de la moralisation de la vie politique qui refusent la logique de la guerre dans l’est de notre pays. Il y a surtout nos cœurs, nos esprits, nos consciences et tout l’imaginaire qu’ils vont  nourrir actuellement au Congo, dans la région des Grands Lacs et partout dans le monde. Le souci de la paix et de la sécurité est devenue une lame de fond irrésistible et nous ressentons tous et toutes cela, avec une vigueur indomptable, il me semble. Contre cette vague, aucune puissance de guerre ne pourra résister. Il y aura sans doute de soubresauts et des spasmes à un coin ou à un autre de notre région, mais la grande logique de guerre dans laquelle nous avons vécu jusqu’à maintenant n’a plus d’épine dorsale. La guerre a rendu l’âme et c’est merveilleux pour notre région.
Le jeune homme n’a pas répondu. Il sait que je ne lui parle pas vraiment et que je m’adresse à moi-même dans un monologue dont il n’est que le témoin. Je m’en rends compte et je lui dis :
-          Jeune homme, c’est dans mon cœur que je sais que la guerre est finie et que l’après-guerre a commencé. Et le cœur est le ferment de la vérité.
        Une jeune fille qui se tenait à côté de nous et nous écoutait en silence posa sur moi un regard étrange d’étonnement et d’éblouissement. C’était un regard de pleine lune.
         



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire