vendredi 7 juin 2013

TRANSCENDER LES FRONTIERES INTERIEURES



 
La force unificatrice du système fédéral au Nigeria peut-elle constituer un modèle d’avenir pour la RDC ?

Par Kä Mana et Jean Patrice Ngoyi


Notre intervention au présent colloque sur les frontières et les conflits en Afrique est consacrée à l’expérience du Nigeria : un pays qui a construit un système fédéral solide et viable, malgré les conflits, les tensions et les tragédies sociales dont il a été le sujet depuis son indépendance jusqu’à nos jours. Nous décrirons d’abord ces conflits, ces tensions et ces tragédies en termes de frontières intérieures : des fractures et des fragmentations réelles qui n’ont pourtant pas détruit les ressorts de l’identité nigériane multiethnique, multiculturelle et plurireligieuse. Ensuite, nous mettrons en lumière les mécanismes de fond que le Nigeria met en œuvre pour transcender, c’est-à-dire conserver et dépasser, les multiples différences qui constituent son être comme nation.  Nous tirerons enfin, brièvement mais fermement, les leçons que la RDC peut apprendre du modèle nigérian dans ses force comme dans ses difficultés.


Des frontières intérieures au cœur d’une impressionnante entité étatique 

Au Nigeria, le problème des frontières n’est pas avant tout ni principalement un problème de relations avec les pays voisins et la manière de les gérer. Quand de tels problèmes de voisinage se posent, comme ce fut le cas face au Cameroun concernant la presqu’île de Bakassi, une analyse, même rapide, de la situation montrerait que ce sont les enjeux intérieurs de pouvoir qui ont déterminé l’issue du conflit frontalier avec le pouvoir camerounais. La question de l’appartenance de Bakassi au Nigeria ou au Cameroun montait en tension ou diminuait en intensité selon que tel ou tel groupe de dirigeants et leurs entourages nationaux ou internationaux s’emparait des rênes du pays. Au temps de la dictature féroce du Général Sani Abacha, par exemple, en fonction des intérêts de trusts pétroliers étrangers, Bakassi avait des allures d’une question de souveraineté inaliénable et de Cassus belli induscutable. En revanche, sous le Général Obasanjo, dont le tempérament et les options de méthodes politiques cassaient avec les orientations de Sani Abacha, la presqu’île devenait un différend  négociable avec le Cameroun devant les instances judiciaires internationales, au point que tout s’acheva par le retour de la terre disputée dans le giron territorial du Cameroun, purement et simplement.
Ce que le conflit de Bakassi a révélé du Nigeria, c’est le fait que dans ce pays, les enjeux extérieurs de conflits de frontières sont profondément liés à la virulence des différends politiques qui sont des véritables frontières étanches, des fractures qui ont poussé la nation au bord de la sécession. Dès les premières années de son indépendance, en effet, le Nigeria a été précipité dans un conflit historiquement connu sous le nom de la guerre du Biafra. S’y affrontaient deux forces politiques : le pouvoir central, qui défendait la légitimité souveraine de son emprise sur tout le pays, et le pouvoir sécessionniste, qui visait l’indépendance du Biafra pour des enjeux néocoloniaux attisés par Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, au nom de la France. Le Biafra, c’étaient des frontières politiques intérieures manipulées pour des enjeux mondiaux du néocolonialisme, dans des manœuvres de puissance qui faillirent démanteler une nation et la plonger dans le gouffre du désordre et du chaos. Heureusement, les sécessionnistes furent vaincus et le Général Odjuku, leu chef, dut reconnaître publiquement sa défaite.
Malgré  cette victoire des fédéraux, les frontières internes demeurèrent vives selon le schéma d’antagonisme entre acteurs engagés dans la politique au sens strict du terme : «  l’administration du droit et du civique, la gestion des légalités et de la justice dans l’esprit du bien commun d’une communauté », selon la définition qu’en donne V.Y. Mudimbe. [1]
La force de ces frontières politiques au sens de luttes de factions et de cliques, c’est d’être alimentée, à l’intérieur même du pays, par des alluvions dangereuses : celles des groupes ethniques et de leurs intérêts intrinsèques. Comme tout le monde le sait, le Nigeria est une mosaïque de tribus dont les plus grandes et les plus dynamiques, comme les Yoruba, les Haussa ou les Igbo, constituent de vastes aires culturelles et développent des identités fortes et des dynamiques politico-économiques torrides. Des vraies centrales nucléaires culturelles et hégémoniques dont les énergies peuvent faire exploser le pays, si aucun principe cohérent de gestion n’est mis en œuvre pour pacifier les esprits et les unir dans un même projet d’ensemble.
Au Nigeria, la ligne de partage Nord-Sud, fortement connue dans le monde, est la cristallisation et la stylisation, pour ainsi dire, des intérêts politiques et économiques très vifs. Ces intérêts font que le Nord, c’est le Nord, et le Sud, le Sud. Chacun est conscient d’être un bloc psychique et culturel de passions et d’intérêts identitaires. Chacun sait qu’il faut défendre ce bloc à tout prix, chaque fois que cela est nécessaire, et par tous les moyens nécessaires. En même temps, et nous sommes là au cœur de la puissance nigériane, chaque bloc sait, consciemment ou inconsciemment, dans le discours public comme dans les sphères privées, que l’intensité des centrales nucléaires constituées par les identités ethniques, n’ont d’avenir que dans la puissance de la fédération nigériane à l’échelle mondiale. Les intérêts des groupes particuliers, s’ils ne sont pas fortement et profondément intégrés dans cette dynamique d’ensemble, deviennent des pouvoirs de destruction. Il n’est pas question ici d’un savoir moral, mais d’une véritable conscience politique qui connaît ses fragilités et qui doit défendre à tout moment son socle et son horizon contre les puissances de dissolution et les pesanteurs du chaos. Surtout contre les religions quand elles sont utilisées comme des identités séparatistes et dissolvantes.
Les religions ont en effet au Nigeria une double fonction comme frontière spirituelle : elles peuvent être des murs comme elle peuvent être des ponts. Elles nourrissent souvent de manières positives la conscience des populations dans le sens d’humanité, mais elles explosent aussi comme de terribles tsunami psychiques et suscitent des carnages indescriptibles. Selon qu’elles sont des frontières pour unir les conceptions d’humanisme communautaire ou qu’elles deviennent des monstres de haine et de rage comme dans des sectes extrémistes, elles sont au service de la nation ou au travail de sa fragmentation intérieure, de son implosion même. On le voit quand un mouvement comme Boko Haram et les groupes extrémistes musulmans suscitent des réactions chrétiennes de carnages ravageurs ou des sectes comme celle qui, récemment, s’est affirmée païenne et s’est engagée dans le terrorisme au nom même de son paganisme. Ici, les frontières religieuses dérivent vers le mal radical, faisant oublier tout ce que le pays a de sublime dans l’inter-fécondation entre l’islam, le christianisme et l’animisme pour la construction de l’unité nigériane sur un socle spirituel solide. On ne peut pas oublier ici la grande idée de Blyden qui affirmait que l’islam est la forme que prend le christianisme quand il arrive en Afrique. C’est-à-dire dans un limon communautaire animiste où la quête de la vie en abondance unit les esprits, les consciences et les cœurs dans un même sillon d’amour et de vérité. Tout le problème au Nigeria, c’est la gestion du religieux selon cette fécondité spirituelle, en rupture avec les pratiques séparatistes et les idéologies religieuses destructrices qui n’ont pas la majorité du peuple avec eux, même si, dans les villes comme Joos, Kano ou Maiduguri, les pulsations religieuses entrent constamment en éruptions comme des volcans indomptables, incontrôlables.
   A ce niveau de notre réflexion, nous devons impérativement évoquer un autre type de frontières : les frontières sociales, celles des inégalités et de leurs pulsations psychiques, qui maintiennent dans le fond de la société des structures de frustrations, d’envies, de passions, énergies porteuses de changements brusques, sources de ces destructions créatrices que l’on nomme révolutions. Au Nigeria, les effarantes inégalités entre l’aire des richesses inimaginables et les espaces de misère indicible ou de pauvretés endémiques, qu’elles soient anthropologiques ou économico-financières, sont grosses de fracas, de fractures et de fragmentations révolutionnaires. Les religions apaisent souvent les esprits  et nombreuses d’entre elles jouent à l’opium, pour parler comme Marx. D’autres, en revanche, - et c’est là la grande force du Nigeria-, suscitent de gigantesques volontés de réussite personnelle ou collective à travers la théologie de la prospérité et les innombrables messianismes de terroir qui animent des spiritualités de nouvelles espérances fortement engagées dans la lutte contre la misère et la pauvreté. L’islam de confréries et celui inspiré des rationalités modernisantes au sein de la société nigériane ont la même dynamique créatrice. Celle-ci tranche avec les envies de restauration des orthodoxies traditionnelles du type wahhabite, qui engraissent les frustrations populaires pour des cassures et des explosions sociales de terreur. Entre un tel islam de créativité et le christianisme catholique ou protestant traditionnelle, des ententes se nouent, des alliances de profondeur dans une idéologie de profondeur qui tient ensemble la société. Les pentecôtismes d’enrichissement, tout comme les religiosités des terroirs que l’on voit dans des Eglises africaines traditionnelles (christianisme céleste, Aladura, Séraphins et Chérubins), concourent à la même dynamique de cohésion, d’harmonie, de solidification intérieure pour dépasser les frontière entre riches extrêmes et pauvretés extrêmes. Les politiques de grands travaux de l’Etat vont dans le même sens tout comme le grand dynamisme de l’informel où la société nigériane excelle pour juguler les dangers des frontières entre la haute société et l’aire des laissés-pour-compte.

Frontières ethniques, frontières politiques, frontières socio-économiques. Ce qui est frappant au Nigeria, c’est le fait que toutes ces fragmentations intérieures font système. Elles fonctionnent dans une entité nationale qui tient ensemble, malgré elles et même grâce à elles en quelque sorte, sous une figure d’oignon où chaque pelure renvoie à d’autres en renforçant l’être même de l’oignon. On peut appliquer à ce système la vieille sagesse antique : «  Ne cherche pas l’oignon en pelant l’oignon » : chaque pelure est lui-même l’oignon. Le Nigeria est ainsi l’ensemble du système de ses frontières internes : de leurs dialectiques, de leurs lois d’attraction et de répulsion, de leur gravitation nationale, de leur fascination réciproque et de leur gestion dans un ensemble qui donne un certain sens à tout cela. Depuis l’indépendance, le système tient, dans un mystérieux dynamisme qui a fait du Nigeria l’une des nations africaines les plus impressionnantes de créativité et du désir de vivre. Pourquoi en est-il ainsi ?

Le système nigérian comme modèle pour transcender les frontières intérieures

Qu’est-ce qui tient ensemble le système ? Son fédéralisme, son attachement au multiculturalisme, son esprit de puissance nationale, son imaginaire social, ses appareils idéologiques d’Etat et sa volonté de persévérer dans son être.
Le choix du fédéralisme dans un pays comme le Nigeria a été un choix judicieux. Il a posé les bases d’une prise en compte des frontières intérieures comme réalités et la nécessité de les transcender, c’est-à-dire de les conserver et de les dépasser en les en même temps, en les enrichissant par leur intégration dans une réalité plus vaste qui leur confère un nouveau sens. Contrairement au modèle jacobin des pays francophone et conformément à la grande tradition anglo-saxonne des démocraties locales. Si le ciment fédéraliste n’avait pas créé une conscience des intérêts à la fois locaux et communautaires, à l’échelles des terroirs comme au plan national, il n’y aurait plus aujourd’hui de nation nigériane : les pesanteurs religieuses, les intérêts politiciens et les pouvoirs centrifuges manipulés par des forces néocoloniales auraient déjà balkanisé le pays. Heureusement, la conscience fédérale a créé un pouvoir central à la fois suffisamment fort et suffisamment souple pour accorder aux citoyens le sens de leurs propres intérêts et le sens des intérêts nationaux. Malgré l’immensité du pays et sa force démographique, malgré les permanentes tentatives de déstabilisation et de division, le Nigeria tient toujours ensemble et construit son destin. C’est la preuve qu’une nation multiethnique et multiculturelle est possible et qu’elle peut vivre selon des lois et des règles communes sans que les forces centrifuges en cassent les ressorts.
Cette voie de la sagesse  a comme moteur un choix idéologique d’une grande importance pour tous les Nigérians: le choix de la puissance du pays et la culture de cette puissance dans une créativité permanente, à la fois individuelle, communautaire et étatique. De ce point de vue, le pays est une fourmilière : tout y bouge dans une intensité effarante, avec des populations en constante ébullition, dans tous les domaines, au sein d’une virulente passion de faire des affaires, de gagner de marchés, d’ouvrir de petites, moyennes ou grandes entreprises, de fabriquer de vrais comme de faux produits, d’inventer de structures d’escroqueries étonnantes et d’entretenir le sentiment de foi dans le destin d’une nation appelée à la grandeur. Il suffit de se concentrer sur le cinéma nigérian, sur sa littérature, sur son football, sur sa musique comme sur son marché intérieur pour se rendre compte qu’on est dans un espace de gigantomachie permanente : une lutte pour la vie dans un imaginaire fascinant d’inventivité et de vigueur, en bien comme en mal.  En bien : le Nigeria a créé un génie propre de la recherche des solutions à tous problème dans la vie de tous les jours, contre toute mentalité d’impuissance ou de désespoir. En mal : le pays s’est hissé à un niveau d’escroquerie impensable ailleurs, qui l’a hissé au niveau des grands systèmes du crime organisé. Tout cela dans la conviction que tout l’espace national est un et indivisible, grâce à la solidité des terroirs compétitifs qui ne souffriraient aujourd’hui aucune balkanisation.
Tous les appareils idéologiques d’Etat, comme dirait Althusser, sont mis au servir de cet imaginaire d’unité plurielle. Du temps de la dictature des Généraux comme pendant les périodes de démocratie, l’Etat dispose toujours d’une puissance de coercition indomptable. Il impose sa présence par une administration centrale solide relayée par des administrations locales tout aussi solides. Aucune force de désintégration n’est parvenue à briser ce ressort-là : ni les sécessionnistes du hier ni les activistes de l’extrémisme religieux aujourd’hui. L’armée, la police, les renseignements généraux, les faiseurs d’opinions, les animateurs religieux les plus significatifs tout comme les producteurs de culture et de pensées, un système institutionnel extrêmement solide encadre, cadre et oriente le pays pour lutter contre le divisionnisme. Boko Haram comme le Mend, en tant que mouvements d’action dissolvante, en savent quelques choses, malgré une certaine audience locale de leurs revendications. Ils ne sont jamais parvenus à mettre les médias, officiels ou privés, au service de leur cause. La toile d’araignée de l’information et de la production du discours légitime a toujours mis les intérêts supérieurs de la nation au-dessus des velléités  de revendications partisanes. La violence d’Etat gère les violences des forces destructrices sans état d’âme, dans la ferme volonté de maintenir la dialectique publique unité-diversité au cœur de l’être ensemble. Ne pensez pas que nous décrivons ici un système idyllique : nous parlons d’un monde d’une extrême violence, mais qui tient parce que la violence d’Etat, structurée et organisée, arrive toujours à vaincre les violences locales de groupes armées ou des milices. Au fond, le Nigeria tient parce qu’il est un Etat et en tant qu’Etat, il a la maîtrise de sa dynamique de violence publique ; au service du projet national.
L’imaginaire du peuple est conditionné par ce grand cadre et il y fonctionne dans la foi en ses institutions : en leur solidité, en leur fondements collectifs, en leur vision du présent et de l’avenir, en leur vitalité comme cadre de vie commune, sans aucune remise en question de la conscience historique qui fait du peuple nigérian une seule et même entité consciente de sa force. Ce mental de l’être-ensemble est une énergie psychique de cohésion extraordinaire. Les structures d’enseignement primaire, supérieur et universitaire travaillent à solidifier cet imaginaire, dans des ancrages locaux et nationaux qui fondent les légitimités de terroir comme les légitimités de vision nationale. Un fédéralisme mental, psychique, s’impose ainsi comme un cadre incontestable d’une certaine idée du Nigeria par les citoyens nigérians. Il rend possible la solution des problèmes et des crises, même les plus virulents, dans le une dynamique de destinée commune. C’est dans cet imaginaire que le système de la présidence tournante (Nord-Sus) et du club des généraux te des barons qui comptent par leur poids sociopolitique et représentent les grands intérêts locaux et le sens de l’unité nationale a pu donner une chance à la démocratie nigériane.       
C’est cette force qui donne au pays son poids géopolitique au Nigeria et élargit sa puissance à la dimension africaine et à la dimension du monde. Il faut entendre par là manière dont le pays veut se placer sur l’échiquier international et ouvrir ses frontières aux autres pays, dans une posture tant de conquête que d’enrichissement par les autres.
Dans le domaine économique, le Nigeria a toujours développé la conscience d’être la locomotive de l’économie africaine, à partir de celle d’Afrique de l’ouest, qu’il domine manifestement. Il voit dans les pays voisins comme dans beaucoup d’autres pays africains un vaste marché, réel ou potentiel. Les temps ne sont pas lointains où ses produits, avant l’émergence de la Chine sur le marché africain, se retrouvaient partout et inondaient l’espace commercial de nombreux pays. Les opportunités commerciales que son dynamisme ouvrait et l’accessibilité  de son propre marché aux nations voisines ont été l’une des clés de la réussite de la CEDEAO. En Afrique, les hommes d’affaires nigérians sont parmi les grandes fortunes d’Afrique et du monde, comme on peut s’en rendre compte dans le classement annuel établi par Forbes.
De  même, son gigantesque potentiel militaire lui a permis d’intervenir dans les conflits extérieurs et de régler, au nom de la CEDEAO, des conflits comme ceux du Libéria et de la Sierra Leone. Même aujourd’hui, on reconnaît en ce pays une énorme potentialité de servir de force de stabilisation et de maintien de la paix partout où l’Afrique pourrait avoir besoin de ses services. Sans oublier que son espace militaire sert de champ de formation aux autres armées des pays voisins qui reconnaissent l’efficacité de son système de formation.
Dans le domaine de la religion, le dynamisme expansionniste du Nigeria est actuellement sans limites. Ce pays est devenu une puissance religieuse dont l’élan et l’aura missionnaire chez les chrétiens, tout comme son engagement au service d’un islam radical, envahissent l’Afrique entière. Ses Eglises essaiment partout, non seulement dans les mouvements pentecôtistes venus de l’étranger, mais aussi dans les Eglises fondées au Nigeria même et destinées à s’implanter ailleurs comme de nouvelles semences du dynamisme chrétien africain. Même pour les Eglises africaines indépendantes, c’est au Nigeria que l’on trouve celles dont la dynamique conquérante est la plus époustouflante.
Le pays a ainsi un poids politique, économique, militaire et religieux qui attire beaucoup d’investisseurs à l’échelle mondiale ? Il est de ceux que l’on appelle aujourd’hui les lions africains prêts à rugir par leur croissance, par leur volonté d’émergence et par leur pouvoir de tirer toute l’Afrique vers le haut, rompant ainsi avec le pessimisme qui avait dominé la situation du continent durant les dernières décennies.
Quand on s’interroge sur le secret de tout ce dynamisme, la réponse que les spécialistes du Nigeria, ceux de l’intérieur comme ceux de l’extérieur, donnent est toujours la même : un certain type d’esprit, une certaine idée de soi-même et de son destin, une certaine ambition qui se diffuse dans le système éducatif dans tous les milieux où se forgent les mentalités (les Eglises, les écoles, les universités, les mouvements de jeunesse, les clubs et cercles économiques, les partis politiques, les familles). Dans ce pays se vérifie l’idée de Marianne de Boisredon partagée par beaucoup d’économistes dans le monde : « La première richesse est la personne humaine, quelle que soit sa condition. »[2]


Et la RDC ?

De l’expérience du Nigeria que nous venons de présenter, nous tirons quatre leçons pour la RDC. Trois leçons que la similitude entre les deux pays en matière d’étendue, du dynamisme démographique, du potentiel économique, du bouillonnement social et de la créativité culturelle valide comme perspectives pour la nation congolaise.
Un : la RDC  gagnerait à étudier le modèle fédéraliste nigérian pour en comprendre les mécanismes politiques, les rouages économiques, les pulsations culturelles et les ressorts mentaux. C’est un modèle qui aiderait le Congo à transcender les haines tribales, à juguler les querelles entre régions et à libérer une dialectique identitaire entre la nation et ses terroirs.
Deux : la RDC gagnerait à mettre ses appareils idéologiques d’Etat au service d’une ambition et d’un désir de puissance dans les domaines politiques et économiques : une certaine idée du Congo et de sa grandeur devrait créer une idéologie nationale dynamique et forte, ouverte sur l’avenir dans une unité nationale clairement assumée.
Trois : Contrairement à la tentation actuelle d’enfermement dans ses frontières issues de la colonisation, la RDC devrait se penser en termes d’économie ouverte et de politique conquérante, pour faire de son marché intérieur un espace ouvert non seulement entre ses régions, mais avec ses voisins et avec le monde entier, non pas dans une posture néocoloniale, mais à partir du dynamisme interne au pays. La construction des infrastructures et la modernisation des institutions devient de ce point de vue un impératif central, à la manière de ce que le Nigeria a fait.

Quatre : la RDC a le devoir de créer un homme congolais à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui, capable de dominer son propre destin, de maîtriser les enjeux du présent et de l’avenir, à travers un système éducatif tourné vers l’avenir, loin du désordre dans lequel baigne son système scolaire et universitaire. Si la « première richesse est la personne humaine », il faut au Congo une éducation pour développer cette richesse.

Certes, le Nigeria n’est pas le modèle idéal dans tous ces domaines. Loin s’en faut. Mais pour la RDC, le Nigeria donne à penser.








[1] V.Y. Mudimbe, « A propos d’un passe-vue conceptuel, Une méditation sur « le tiers » et des histoires conceptuelles d’un monde, En mémoire de Fabien Eboussi Boulaga », in Lidia Procesi et Kasereka Kavwahirehi, Au-delà des lignes : Fabien Eboussi Boulaga, Une pratique philosophique, LINCOM cultural Studies, 2012, p. 389.
[2] Marianne de Boisredon, Inventer une économie yin et yang, Témoignage d’une femme de terrain pour un monde plus juste, Paris, Presses de la Renaissance, 2006, p. 177.

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